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Quand les sommeliers ouvrent des restaurants

Quand les sommeliers ouvrent des restaurants

Bérangère Chanel | 21/01/2025 16:25

Longtemps cantonnés à leur rôle de précepteurs de bonnes étiquettes pour escorter un plat, les sommeliers.ières ne s’en tiennent plus à leur rôle de gardiens de cave. Ils sont les nouveaux patrons de belles tables où l’expérience devient totale.

Les sommeliers et les sommelières ont pris leur envol pour ouvrir leur propre table et devenir les patrons. Présents en cuisine pour cerner les accords qui donneront du relief aux plats, ils sont aussi des chefs d’entreprise grâce à leur gestion de la cave, dont la trésorerie du restaurant repose en partie. « Les sommeliers ont cette capacité de détecter le bon » analyse Guillaume Keusch, aux commandes du restaurant Elsass à Paris, une table entièrement dévouée aux pépites bachiques alsaciennes, dont la carte a été sculptée par l’ancienne sommelière de Jean-François Piège, Caroline Furstoss.

 Les exemples sont nombreux, avec Jonathan Caron (ex-l’Innocence) aux commandes de l’Itinérance à Mers-les-Bains, ou le meilleur jeune sommelier de France Clément Delécluse à Lille (Coup de main). Voici cinq adresses à Paris et en régions pour comprendre ce nouveau répertoire de tables.

Le Bistrot du Sommelier à Paris

S’il fallait dater le début de l’histoire des restaurants de sommelier, tout commencerait en 1984, lorsque Philippe Faure-Brac reprend aux côtés du journaliste Nicolas de Rabaudy un fonds de commerce du boulevard Haussmann pour en faire un restaurant comme nul autre pareil. Les fourneaux sont confiés à un futur grand : Laurent Petit. Les deux associés ont l’idée d’adapter une cuisine à une offre bachique. On est aux prémices des accords mets et vins. « Je me souviens que la carte indiquait "pour accompagner nos plats, le chef vous propose" » se remémore Philippe Faure-Brac. Et de commenter « et cela a marché immédiatement : nous étions complets au bout d’une semaine ! ». Si le grand chef Alain Senderens a conceptualisé l'accord des mets et vins, Philippe Faure-Brac a tout autant participé à rendre les choix bachiques comme partie intégrante de l’expérience au restaurant. « Auparavant, le vin était un plaisir culturel. Il pouvait être hors sol et on ne l’imaginait pas en association gustative avec un plat » raconte le grand sommelier.

À plus d’un titre, la table de celui qui deviendra meilleur sommelier du monde en 1992 fait office de laboratoire. C’est l’un des premiers cabinets où l’on a servi le vin au verre. « Nous proposions du sur-mesure pour accompagner notre menu surprise. À l’époque, le métier se demandait comment nous procédions pour la conservation des bouteilles. Et il est vrai que nous avons testé toutes les technologies qui ont été inventées et ont soutenu la consommation du vin au verre, comme Coravin » nous confie Philippe Faure-Brac, reconnaissant que ses distinctions dans les concours de sommellerie ont appuyé l’intérêt pour sa table. Cependant, Philippe Faure-Brac nous rappelle que son initiative ne fut pas une exception. « Il faut aussi se souvenir du meilleur sommelier de France 1972 Jean-Marie Stoeckel qui avait fondé le wistub du sommelier à Bergheim, en Alsace » conclut-il.

Jérôme Mauchamp/Sainte Joie
©Jérôme Mauchamp/Sainte Joie

Le Petit Sommelier à Paris

Lps Janvier 24  007

« Les tables ouvertes par des sommeliers existent depuis longtemps, mais le phénomène s’est accéléré parce que les clients sont devenus des consommateurs très connaisseurs et qu’ils attendent de vivre une expérience globale » analyse Pierre Vila Palleja. L’ancien élève sommelier du Crillon, passé au Ritz et Lasserre, a parfaitement conscience « qu’aller au restaurant, ce n’est pas pour manger ou boire, mais on y vient pour se faire servir ».

Le Parisien a repris les rênes du bistrot familial en 2014, après avoir jeté les bases d’une nouvelle offre bachique qui bouscule les codes. « En travaillant dans les palaces, et en découvrant les prix des vins dans ces cadres luxueux, j’ai voulu proposer les mêmes grands vins dans le contexte d’un bistrot, accessible donc » nous explique-t-il. Et de confier avec sourire « c’est vrai que mes parents n’ont pas bien réagi au début ». Désormais capitaine du navire, Pierre Vila Palleja décide de mettre la cuisine en phase avec la promesse de son établissement, celle d’être « une maison de vin ». « La problématique n’est pas simple. On doit esquisser une carte qui n’aille pas trop dans les extrêmes, que ce ne soit ni trop amer ni trop acide. Les plats doivent être texturés et dans la nuance juste pour s’accorder avec nos vins » explique celui qui est aussi dégustateur pour la Revue du vin de France. Il prend l’exemple d’une cuisine dite vinaigrée, qui ne conviendrait pas.

Vantre à Paris

C’est la table de quartier que tout amoureux de Bacchus parisien connaît bien. Dans sa cave, le patron cache de merveilleuses pépites. Rien de très surprenant quand on connaît son CV. Marco Pelletier est l’ancien chef sommelier du Bristol, passé aussi par un autre repaire emblématique du jus bachique : le Taillevent. Un homme du vin venu du froid canadien qui parle de ses étiquettes comme on raconte une histoire du soir à sa progéniture. Il y a de la douceur, des détails et de l’émerveillement autant que de la pédagogie. Celui qui a puisé dans le répertoire du vocabulaire moyenâgeux pour intituler sa table – « vantre » signifiant « lieu de réjouissance », propose spontanément des dégustations à l’aveugle, faisant du bistrot un endroit où décomplexer le sujet du vin tout en prodiguant un maximum de connaissances sans en avoir l’air.

  • Voir notre avis sur le restaurant Vantre
  • 19 Rue de la Fontaine au Roi, 75011 Paris

Le Clos des Sens à Annecy

42 6 Clos Des Sens Féra Maturée Livèche Et Raifort 7 - Matthieu Cellard

De l’avis de Thomas Lorival, nouveau propriétaire du Clos des Sens en collaboration avec le chef Franck Derouet, il y a un point commun entre tous ces sommeliers qui sont devenus patrons de leurs propres tables : « ils ont une âme d’aubergiste ». Comprendre : avoir cette aptitude à déguster, analyser et mettre ses capacités olfactives au service de l’analyse d’un plat. Voilà pourquoi les exemples de duos chef-sommelier à la tête de nouveaux restaurants ne sont pas rares. « Je suis entrée à l’école hôtelière pour devenir cuisinier, mais je me suis dirigé vers la sommellerie, qui a finalement correspondu davantage à ce que je cherchais » nous raconte le chef sommelier, qui confie avoir toujours gardé cette âme pour la cuisine. CQFD.

« À mon sens, l’ouverture de restaurants par des sommeliers n’est possible que depuis l’ouverture de la cuisine sur la salle. Jadis, c’était exceptionnel si un sommelier goûtait un plat en cuisine » raconte Thomas Lorival. Et de marteler « il n’y avait aucun échange entre les deux parties ». Un effacement des frontières que le précédent chef du Clos des Sens, Laurent Petit, a compris en intégrant son chef sommelier dans le comité de dégustation des plats. « Il souhaitait avoir la perspective de la sommellerie dans son processus de création et de validation » conclut-il en précisant bien que « c’est la somme de ses expériences passées (chez les chefs Marcon et Troisgros notamment) qui lui ont donné la confiance de devenir propriétaire de sa maison ».

  • Voir notre avis sur le restaurant Le Clos des Sens
  • 13 Rue Jean Mermoz, 74940 Annecy

Ressources à Bordeaux 

Maxime Courvoisier est ce que l’on peut appeler une étoile de la sommellerie. Son CV est constellé de belles maisons : le restaurant de Jean-Paul Jeunet à Arbois ou la table de Sylvain Sendra, Fleur de Pavé, à Paris. Armé de son titre de Meilleur Apprenti de France, le Franc-Comtois sculpte sa maîtrise du jus de Bacchus aux côtés de l’un des plus grands sommeliers français, David Biraud, lorsqu’il travaille au Mandarin Oriental à Paris. Une expérience clé puisque Maxime Courvoisier assiste à l’époque aux entraînements de ce dernier pour le concours du meilleur sommelier du monde… Autant de compétences acquises qui l’ont renforcé pour prendre confiance et devenir l’associé du chef Tanguy Laviale à Bordeaux. Tous deux ont redoré le blason gastronomique de l’établissement qui accueillit jadis le fameux Garopapilles, dans le quartier Saint-Pierre, repaire bachique reconnu de la capitale girondine. Chez Ressources, la carte des vins reste tout aussi fourni, en accord avec la cuisine du chef.

  • Voir notre avis sur le restaurant Ressources
  • 126 Rue Fondaudège, 33000 Bordeaux

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