L’été, les chefs sortent de leur cuisine (enfin presque)
Quand les grands chefs décrochent, c’est rarement loin du feu. Barbecue sur une plage déserte, romaine grillée au retour d’une virée à vélo, ou poulette en crapaudine à l’ombre d’un figuier… Les vacances des chefs ont le goût du bonheur.
Loin de leurs cuisines professionnelles, les grands chefs changent de tempo mais pas de passion. L’été, ils troquent la précision des dressages pour le plaisir du partage. Paëlla entre amis, poissons grillés les pieds dans l’eau, salades improvisées au retour d’une balade… À la mer, à la montagne ou au jardin, ils cultivent un art de vivre estival fait de feu de bois, de produits simples et de moments vrais.
Car en vacances, on ne cuisine plus pour impressionner, mais pour rassembler. Et c’est sans doute ce que recherchent, chacun à leur façon, ces chefs qui, dès qu’ils peuvent, retrouvent le plaisir brut de cuisiner dehors, entre amis ou en famille, pour le simple bonheur d’être ensemble.
L’appel du large, la liberté retrouvée
À La Rochelle, Christopher Coutanceau (4 toques) ne se contente pas d’admirer la mer. Il y plonge, canne à la main, à la recherche du poisson du jour. « Quand le restaurant est fermé, on prend le bateau, on part pêcher du bar ou du maigre, puis on fait un barbecue avec les légumes du potager : aubergines, basilic, verveine, ail… Des choses bonnes, simples, saines. » Loin du cérémonial du restaurant, sa cuisine de vacances se fait instinctive et solaire.
Mais son moment préféré, c’est quand il embarque sa famille et quelques amis vers un banc de sable qui ne se découvre qu’à marée basse. « On part en maillot de bain, on s’installe pour pique-niquer, on se baigne, les enfants jouent dans les piscines naturelles… Et à marée montante, on remballe. » Une parenthèse hors du temps, où tout se partage, même les coquillages ramassés pour l’apéro.
Et puis, il y a les plaisirs simples : « J’adore les glaces et les sorbets. L’après-midi, ou en dessert, c’est ludique, joyeux… ça fait partie des petits bonheurs. » Des plaisirs régressifs que Florent Pietravalle, chef de La Mirande (4 toques) à Avignon, prolonge avec ses propres enfants : « On prépare une glace pistache avec une crème anglaise, de la pâte de pistache, un peu de fleur de sel, on turbine et on mange ça ensemble. »
Le feu, le monde et des tablées généreuses
Chez Florent Pietravalle, justement, l’été rime avec paëlla. Une grande, une belle, cuite à la braise dans un jardin, comme la dernière fois « chez un copain vigneron » : « On était quarante. Un feu de bois, une poêle large, un bon riz pas trop épais, bien saisi au fond… J’adore ça. C’est festif, ça rassemble, et quand c’est bon, c’est un régal. »
Le chef avignonnais a appris ce plat en Espagne, auprès de cuisiniers locaux. « Là-bas, chaque village, chaque famille a sa version. En Catalogne, ils mettent de l’ail, du lapin, des escargots. Moi, j’aime bien les crustacés. Avec des langoustines, ça marche super bien. »
Ce goût du feu, on le retrouve aussi chez Christophe Hay, chef de Fleur de Loire (4 toques) à Blois. Pour lui, les vacances sont indissociables de la cuisine en plein air. « On est enfermés toute l’année, alors l’été, je veux être dehors, avec les enfants, la famille. » Pas de charbon, mais du bois, ramassé sur place. Et surtout une volaille en crapaudine, souvenir de ses années d’école : « Une bonne poulette de Racan, qu’on ouvre par le dos. Une marinade maison à base d’huile de colza, moutarde d’Orléans, agrumes, ail, herbes fraîches… Et au barbecue, côté peau, pour un croustillant incroyable. » Un peu de courgettes en fleur, des aubergines blanches, quelques tomates, un soupçon d’origan : l’été dans l’assiette.
Montagne, silence, souvenirs d’enfance
Pour Charles Coulombeau, chef du restaurant La Maison dans le Parc (3 toques) à Nancy, l’été est synonyme de déconnexion. « Je pars en Auvergne avec ma fille. On fait de la randonnée, des pique-niques en montagne, le plus loin possible du téléphone. Pas d’ordi, pas de mails : un vrai huis clos numérique. » Le luxe du silence, et celui des petites choses : un sac à dos rempli de sandwichs maison, de gâteaux de voyage… et toujours ce brownie qu’elle adore, revisité par le chef : « Je prépare une pâte très chocolat noir, avec un peu de miso, de sauce soja et de sirop d’érable. Peu de sucre, mais l’amertume et le sel donnent cette illusion de douceur. » Compact, intense, presque comme une barre de céréales. Idéal pour avaler des sommets.
De retour à la maison, il retrouve les recettes de son enfance. « L’été, je fais souvent un gros repas le midi, puis quelque chose de léger le soir. J’adore les gaspachos. » Surtout celui au concombre, qu’il prépare depuis tout petit : fromage blanc, yaourt grec, ail cru, feuilles de menthe. « C’est une des premières recettes que mes parents me laissaient faire. Je l’avais trouvée dans le Journal de Mickey, il me semble », s’amuse-t-il. Aujourd’hui, il ajoute à ce festin ses inspirations japonaises, avec par exemple un ceviche de poisson ultra-frais avec une touche de curry vert, de la sauce soja et de l’huile de sésame… Une cuisine du quotidien, infusée de souvenirs et d’ailleurs.
De la haute montagne au bord de l’assiette
Plus au sud, sur les hauteurs du lac d’Annecy, Jean Sulpice (4 toques à l’Auberge du Père Bise) descend rarement de son vélo… sauf pour cuisiner. À la maison, le chef privilégie les plats simples, généreux, à partager. « Ce que j’aime, c’est cuisiner humblement, dans le but de me faire plaisir. » Une cuisse de volaille marinée dans un mélange fromage blanc, moutarde et épices, une romaine au barbecue et quelques radis et croûtons pour le croquant, ou un simple avocat avec un joli assaisonnement d’herbes, de citron et d’épices suffisent à son bonheur.
Quant à Sébastien Bras (Le Suquet, 4 toques), il quitte parfois les montagnes de l’Aubrac pour les rivages méditerranéens, où il s’adonne lui aussi à une cuisine de cœur. « Thon rouge, olives de Lucques, un blanc de l’Hérault… ou des côtes de cochon au barbecue, sauce aigre-douce épicée. » Ici aussi, la simplicité devient une fête, surtout quand elle s’ancre dans un lieu, une lumière, un souvenir.
Partout, le même élan : celui de retrouver une forme de liberté. Une cuisine du feu, du plein air, de l’instant. Moins de gestes techniques, plus d’instinct. Moins de dressage, plus de partage. Et ce plaisir intact de nourrir, vraiment, ceux qu’on aime.