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Un chef, une maison de champagne

Un chef, une maison de champagne

02/12/2023

Le champagne est un vin comme les autres. À ce titre, il peut être le faire-valoir du meilleur de la gastronomie. Quelques maisons ont largement contribué à donner (enfin) toutes ses lettres de noblesse au vin à bulles.

Parce qu’ils symbolisent tous deux les mêmes instants festifs, le champagne et la gastronomie ont une longue histoire commune. Toutefois, accompagner les grandes tables est, pour les vins de champagne, une tendance plus récente que seuls quelques pionniers avaient su imaginer. Souvent, ces précurseurs étaient des grandes figures de la région. Par exemple, dès les années 1950, Bernard de Nonancourt a bâti une partie de l’essor de la maison Laurent-Perrier en se distinguant des grandes marques de l’époque. Son idée : faire sortir le champagne du cliché du dessert grâce aux chefs qu’il avait l’habitude de côtoyer au sein du fameux Club des Cent.

Taittinger, figure emblématique

Pour Pierre Taittinger aussi, la table était plus qu’un simple plaisir de bouche. Le fondateur de la maison rémoise, industriel et homme politique, en avait fait son « bureau de travail », selon les mots de son arrière-petite-fille Vitalie, aujourd’hui présidente de Champagne Taittinger: « La gastronomie a toujours été une partie non négociable de sa vie, le théâtre de tous les grands moments. C’est resté dans la famille, de génération en génération ! » Celui qui a assisté à l’émergence de la nouvelle cuisine a donné son nom, en 1967, à un prix culinaire international très convoité.

Les liens étroits avec les chefs

Ces connexions entre grands chefs et grandes maisons sont souvent nées de relations personnelles. Septième génération à la tête de Billecart-Salmon, Mathieu Roland-Billecart évoque avec fierté ces amitiés anciennes : « Comme avec la famille Pic depuis cinquante ans et le grand-père d’Anne-Sophie, nous devons beaucoup aux chefs qui ont poussé notre maison. Nous avons le respect de cet héritage et l’humilité de savoir qui nous a aidés à devenir le Billecart-Salmon d’aujourd’hui. » Des parrains comme Mauro Colagreco (Mirazur, à Menton) ou Frédéric Anton (Le Pré Catelan, à Paris) ont été associés aux lancements récents des cuvées de prestige alors que le duo champagne-gastronomie est devenu un marqueur généralisé. « À l’échelle de l’histoire de la Champagne, le pairing est finalement récent, poursuit Mathieu Roland-Billecart. Nous avons quatre empreintes gustatives différentes : assemblage traditionnel, rosé, blanc de blancs, sous-bois. Il est très facile de trouver des accords et construire tout un repas. » Comme l’a démontré entre autres le chef Arnaud Lallement (L’Assiette Champenoise, à Triqueux, près de Reims), tous les plats peuvent s’accorder avec le champagne : « On ne se pose pas la question pour le vin, qu’on associe naturellement, renchérit Vitalie Taittinger. Le champagne est un vin à part entière, en plus d’être un symbole. C’est un vin augmenté ! Les bulles donnent aussi un relief différent à la nourriture, une texture singulière. »

Laurent-Perrier et Christian Le Squer

La maison Laurent-Perrier fut, dès les années 1950, pionnière dans sa relation à la gastronomie. Aujourd’hui, les champagnes de cette marque familiale et indépendante accompagnent un événement novateur comme Taste of Paris, dont elle est partenaire depuis sa création, en 2014. À Paris, ce festival des chefs propose le meilleur de la scène culinaire française pendant quatre jours à 25000 visiteurs. Chaque menu trouve un accord avec les cuvées de la marque. À noter qu’après les Jeux olympiques, Taste of Paris reviendra en 2025 au Grand Palais. Avec toujours cette intention de réunir chefs confirmés et talents à découvrir, une formule qui sied à l’ADN de Laurent-Perrier. La maison est ainsi proche de cuisiniers très différents : de Christian Le Squer (Four Seasons George V, à Paris, 5 toques Gault&Millau) à Pierre Sang Boyer (plusieurs restaurants à Paris), qui a séduit Laurent-Perrier par son éclectisme, entre gastronomie et street food.

Krug et Pierre Chomet

Depuis plusieurs années, le programme « Single Ingredient » de Krug s’est installé dans le paysage gastronomique. L’idée : bâtir un pont entre la cuisine et la philosophie d’une « Grande Cuvée » ou du rosé de la marque, qui fait de chaque parcelle de vignes un ingrédient unique de l’assemblage. Cette année, c’est le citron qui était à l’honneur. Pendant trois jours, les 12 chefs des ambassades Krug à travers le monde étaient invités pour un voyage gastronomique au Brésil, afin d’étudier l’agrume sous toutes ses formes, et pour livrer une recette autour de ce thème. Côté français, Cristina et Pierre Chomet ont été choisis pour imaginer un plat inédit. Pour l’occasion, ils ont revisité une recette thaïlandaise, la soupe au lait de coco tom kha kai, infusée aux feuilles de combava, avec fruits de mer, papaye et… citron vert. Un plat qu’ils ont associé à un Krug rosé « 27e édition » pour un subtil accord entre douceur et vitalité.

©BazilHamard

Taittinger et Jan Smink

En créant dès 1967 un concours international en hommage à son père Pierre, Claude Taittinger montrait combien la cuisine était déjà ancrée dans la maison rémoise à l’époque. Le «Taittinger», comme on a fini par nommer le concours, a toujours eu la réputation d’être exigeant, technique et révélateur de jeunes chefs jugés par des pairs de renommée mondiale. Parmi la liste de lauréats, on trouve Joël Robuchon, Michel Roth, Régis Marcon… Dénicher des talents reste le credo actuel, mais la compétition, souvent vue comme un « Everest de la gastronomie », a été resserrée autour de la sélection d’un candidat par pays et d’une grande finale. L’excellence technique acquise, elle célèbre davantage la cuisine d’auteur, créative et inventive, qui puisse toucher le plus grand monde. Le Japonais Ryo Horiuchi et le Néerlandais Jan Smink sont les derniers lauréats du prix Taittinger, qui rassemble aujourd’hui une communauté de plus de 50 chefs autour de la maison, comme une autre grande famille.

©GildasBocle

Vranken-Pommery et Philippe Moret

L’idée est simple, tout entière contenue dans le nom de l’établissement ouvert en 2021 à Reims par Vranken-Pommery: Le Réfectoire propose de « retrouver le chemin de notre enfance et de présenter aux convives le conservatoire culinaire français avec un inventaire non exhaustif de ses platsiconiques». Le menu passe ainsi allègrement de l’œuf mayo (cuvée « Brut Apanage » en suggestion d’accord) à la profiterole (« Royal Blue Sky») en passant par la blanquette de veau (« Louise 2004 »). La carte évolue au fil des saisons et se rafraîchit en été d’un cœur de saumon salade poivrière ou d’un filet de bar tian provençal. Aux commandes de ce bel hommage à la cuisine tricolore, le chef Philippe Moret, qui a œuvré dans les plus belles brasseries parisiennes. Ouvert du jeudi au lundi, Le Réfectoire s’habille de créations contemporaines, comme cette sculpture sonore de Jean-Michel Othoniel, artiste que le domaine soutient depuis longtemps.

©BalladeStudio

Ruinart et Arnaud Donckele

L’un des chefs les plus talentueux et les plus récompensés de ces dix dernières années, Cuisinier de l’Année Gault&Millau en 2020, rencontre la maison Ruinart pour un partenariat singulier. À la tête de La Vague d’Or (Cheval Blanc Saint-Tropez) et de Plénitude (Cheval Blanc Paris) – deux propriétés du groupe LVMH, tout comme la maison Ruinart –, Arnaud Donckele va développer les expressions culinaires autour des différentes cuvées. Par exemple, imaginer des menus signature pour accompagner dans ses restaurants les « Dom Ruinart» blanc et rosé. Cette association conclue pour trois ans s’étend aussi à l’offre gastronomique déployée à Reims avec la cheffe en résidence, Valérie Radou, ou lors de grands événements de la maison. « Avec cet artiste du goût, Ruinart entame une collaboration authentique fondée sur les mêmes valeurs », insiste son président, Frédéric Dufour. 

©MakiManoukian

Moët & Chandon et Jean-Michel Bardet

Depuis un an qu’il a pris la succession de Marco Fadiga (désormais chez Dom Pérignon), sa vie n’a pas vraiment changé. Chef exécutif de Moët & Chandon, Jean-Michel Bardet évolue entre les cuisines d’Épernay et l’étranger, tout comme avant, il naviguait entre le Lapérouse parisien et Hong Kong, en passant par Flocons de Sel à Megève. « Je reste dans l’excellence à la française avec une dimension internationale », assure le cuisinier de 49 ans, désormais aux manettes, donc, de la résidence du Trianon ainsi que du château de Saran. Pour tous, il imagine des accords mis en avant sur le site web ou les réseaux sociaux. « C'est important de les partager avec le public. Nous prenons le temps de trouver le meilleur pairing, pour chaque cuvée, en échangeant avec Benoît Gouez [le chef de cave de la maison, NDLR] et toute l’équipe d’œnologie. Pour traduire ce que le vin m’a fait ressentir. »

Perrier-Jouët et Sébastien Morellon

Au cœur de l’avenue de Champagne à Épernay, la maison Belle Époque est une invitation en soi. Dotée de la plus grande collection privée d’Art nouveau français – notamment des œuvres de Guimard ou Toulouse-Lautrec –, elle se visite déjà avec délectation. Mais Perrier-Jouët a eu la volonté de sublimer l’expérience: un menu, inspiré par Pierre Gagnaire, est préparé par le chef Sébastien Morellon, qui a travaillé les accords en partant du vin (les cuvées de prestige) pour aller vers le plat. Sur réservation, le moment a un prix (350 € tout compris), mais il est exclusif. Dans une autre ambiance, mais toujours chic, à quelques numéros de la maison, le Cellier Belle Époque propose, en service continu, un bar à champagne (et cocktail) avec une offre de restauration. La finger food à partager et les plats malins sont signés également Sébastien Morellon. L’art n’est pas absent non plus, dans une facture plus contemporaine.

Jacques Selosse et Stéphane Rossillon

Anselme Selosse (aujourd’hui relayé par son fils Guillaume) en a fait une adresse iconique de la région, évidemment pour ses vins très singuliers : « Brut Initial », « Version Originale », « Substance »… Ses cuvées sont rares et très recherchées. Non content d’être devenu l’un de ses vignerons vedettes, il a doté le village d’Avize d’une belle table, en reprenant en 2011 le bien nommé hôtel-restaurant Les Avisés, proche de la cave du domaine. Dans une ambiance de maison de famille, la cuisine de Stéphane Rossillon met en lumière les produits locaux de saison dans un menu unique mené avec brio, de surcroît à prix raisonnables, avec une belle terrasse en sus. Ancien second d’Anne-Sophie Pic à Valence, le chef officie avec son épouse Nathalie en salle. « Avoir pour mission de faire des accords avec les champagnes -d’Anselme Selosse est pour moi un privilège extraordinaire », confie-t-il.

Billecart-Salmon et Mauro Colagreco

L’alliance de la maison avec les plus grands chefs est une histoire ancienne. Le premier champagne que Mauro Colagreco a goûté à ses débuts en France, chez Alain Passard, voilà plus de vingt ans, c’était le fameux « Brut Rosé » Billecart-Salmon. Ce compagnonnage s’est amplifié, jusqu’à perdurer dans les cuisines du Mirazur, à Menton : cette année, le chef -italo-argentin est devenu le parrain officiel du millésime 2008 de la cuvée de prestige « Nicolas -François ». « Ce vin de caractère dévoile une belle rondeur qui évolue vers une tension d’agrumes caractéristique du chardonnay », commente le chef qui, pour l’occasion, a créé deux assiettes : une rose de betterave, sculptée et parfumée d’un jus à l’hibiscus, et une tartelette de homard et de radis. Après Anne-Sophie Pic et Frédéric Anton sur les cuvées « Élisabeth Salmon » et « Louis Salmon », Mauro Colagreco clôt une trilogie de grands chefs au service du meilleur de la Champagne.

Mumm et Kelly Rangama

C’est l’une des dernières initiatives du genre, la plus originale peut-être. Mumm a aménagé la maison de famille, un hôtel particulier de la fin du XIXe, pour ouvrir une table avec chef en résidence autour d’une brigade permanente. Inaugurée par Mallory Gabsi en mai dernier, elle est passée aux mains de Florian Barbarot en août. L’ancien de « Top Chef », qui a lancé son restaurant pa-risien, Quelque Part, y a trouvé toute sa place : avec la cuvée emblématique « Cordon Rouge » en fil conducteur, il signe « une cuisine libre et imprévisible avec des associations inattendues », en phase avec la totale liberté laissée par la maison à ses résidents. Le menu se décline en 3, 4 ou 6 séquences, à partir de 65 €. Le tarif est d’autant plus attractif que la carte des vins, signée du Meilleur sommelier du monde Raimonds Tomsons, est tout aussi abordable. Depuis le 30 novembre, Kelly Rangama (Le Faham, à Paris) prendra la suite. Un chef étranger est attendu pour 2024… 

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