Moelleux, entre résistance et extinction
Trois principales zones de production : le Sud-Ouest, l’Anjou et l’Alsace, une trentaine d’appellations, des volumes sujets à variation selon les millésimes, le marché des vins moelleux et liquoreux connaît des fortunes diverses face à une évolution des modes de consommation.
« Non merci, je n’aime pas les vins sucrés. » Qui n’a pas entendu ce refrain devant un flacon doré de sauternes ou un coteaux-du-layon ? Tentez une expérience : feintez les préjugés avec un côtes-de-bordeaux-saint-macaire, un pacherenc-du-vic-bilh pyrénéen ou un bonnezeaux angevin, des vins doux que tout le monde a oubliés. La dégustation fait souvent changer d’avis notamment parce que l’acidité élevée compense la sucrosité redoutée.
Volupté aromatique
Les vins doux, une production hétérogène, ont pour point commun un reste de sucre – après fermentation – supérieur à 12 grammes par litre. En dessous de 45 grammes, ils sont dits « mi-doux », et doux au-delà. Le « liquoreux » n’a pas de définition réglementaire : c’est un usage pour désigner les nectars les plus riches, jusqu’à 250 grammes par litre pour certains seigneurs alsaciens. Ces « confitures » d’automne recèlent une intense volupté aromatique, sculptée dans une gaine d’acidité. Les vins dits « moelleux » sont plus tendres, sur le fruit frais et la vivacité. Les vins doux sont issus de raisins vendangés en surmaturité, légère ou plus prononcée – on parle de passerillage ou de vendanges tardives, souvent cueillis en plusieurs « tries » (passages) pour sélectionner les baies à différents stades de déshydratation, et donc de concentration. À cela s’ajoute parfois la présence d’un champignon noble, le Botrytis cinerea – en sauternes, quarts-de-chaume ou en Alsace pour la sélection de grains nobles…
Monbazillac, le champion
Au sud de Bergerac, l’appellation monbazillac avec 2 300 hectares pour 7,5 millions de bouteilles (60 000 hectolitres) propose ce vin riche, couleur d’or, paré d’arômes de fruits confits et pain d’épices. Vendu à 70 % en supermarché, il est le pendant « populaire » de l’élitiste sauternes du Bordelais. « On arrache des vignes à rouge autour de nous, mais pas les cépages sémillon et muscadelle dont on fait le monbazillac », assure Annette Goulard, vice-présidente de la cave coopérative. Les vignerons gèrent les stocks en fixant collectivement un rendement maximum chaque année : « On maintient ainsi des revenus corrects à 3 500 euros les 900 litres même si on aimerait toujours un peu plus. » Sauternes a dû arracher, réduisant la voilure de 2 200 à 1 600 hectares il y a dix ans.
« Le niveau des stocks est redescendu au plus bas depuis vingt-cinq ans. Notre marché est tout petit, mais sain », assure Jean-Jacques Dubourdieu, du Château Doisy-Daëne, président de l’appellation sauternes-barsac. Ils sont 140 producteurs sur les rives du Ciron, le cours d’eau dont les brumes apportent l’humidité favorable au développement du botrytis sur la peau du sémillon. Le rendement limité à 25 hl/ha dégage trois à quatre millions de bouteilles, riches d’une palette de cinquante arômes. Et d’une infinité de teintes, de l’or clair à l’ambre en passant par le cuivre écarlate selon l’âge. Grand vin de garde, presque éternel, c’est le roi des liquoreux. Oubliez l’accord de grand-papa sur le foie gras et la forêt-noire, c’est sur le poulet rôti du dimanche, un poisson fin, un fromage persillé, un dessert acidulé ou des mets épicés qu’il se révélera dans toute sa majesté.
Pour redorer sa couronne ternie, sauternes veut rimer avec moderne et séduire les jeunes consommateurs en se glissant dans leurs cocktails. Les vins doux représentent 3 % des surfaces bordelaises. Outre sauternes et barsac, l’entre-deux-mers produit des bordeaux moelleux génériques et quelques pépites suaves telles que sainte-croix-du-mont (200 ha), loupiac (150 ha), cadillac (80 ha) ou côtes-de-bordeaux-saint-macaire, (18 ha à peine !). Des appellations menacées par l’âge des vignerons, proches de la retraite et souvent sans successeurs. Mais bien qu’en sursis, toutes ces appellations défendent leur pré carré, « ce qui n’a pas de sens à l’export », assure Emma Baudry, responsable de l’Union des vins doux de Bordeaux qui regrette Sweet Bordeaux, une marque commune créée en 2009 mais tombée en désuétude. « Les producteurs se tournent de plus en plus vers le crémant » observe-t-elle. « C’est notre principal concurrent », renchérit Annette Goulard, pour le monbazillac : « Vins doux et effervescents ont les mêmes temps de consommation : les fêtes de fin d’année et les célébrations, mariages, anniversaires… »
La résistance paloise
Au sud de Pau, à Jurançon, les vins à base de petit et gros manseng, dont l’acidité naturelle fouette le sucre, font mieux que résister : les sorties de moelleux ont augmenté de 3 % entre 2014 et 2023, même si l’extension de ce vignoble très dynamique (de 600 à 1 400 hectares en vingt- cinq ans) a surtout profité à l’essor du blanc sec.
