L’or vert des Flandres
Dans les Flandres françaises, à quelques encablures du mont des Cats, du mont Noir et du mont Kokereel, d’étranges plantations attirent le regard peu habitué à ces lianes verticales qui semblent vouloir rejoindre le ciel. Bienvenue dans l’autre région des houblonnières.
Avec 95 % des surfaces françaises soit environ 500 hectares, l’Alsace domine de la tête et des épaules le marché de la production du houblon. Les 5 % restants ? Répartis en Auvergne, en Normandie, en Bretagne, dans le Berry et dans le Nord, notamment dans les Flandres qui tirent leur épingle du jeu grâce à la croissance des micro-brasseries qui veulent du houblon français – Humulus lupulus –. Chez les Pruvost, à Boeschepe, Roger, le grand-père, avait planté 11 hectares d'houblonnière dans les années 1950. Seulement, en 1985, la planète vit une crise du houblon. Il y en a trop et les producteurs français, petits acteurs au niveau mondial, sont priés d’arracher en contrepartie du versement d’une prime. Yvon Pruvost qui succède à Roger, au plus fort de la crise du houblon, arrache et se lance dans la culture du blé et de la pomme de terre mais garde en tête que les Flandres seront toujours une terre à houblon. Il finit par replanter petit à petit dès 2008 avant de passer le relais à son fils, Paul, qui aujourd’hui frôle les 10 hectares.
Une histoire qui ne tient qu’à un fil
Le tracteur s’avance dans les rangs. La tireuse située sur le côté du tracteur attrape chaque liane une à une au-dessus de la racine et la sectionne puis la tire jusqu’à ce que l’extrémité se détache du câble supérieur situé à 6 mètres de hauteur et tombe à plat dans la charrette accrochée derrière le tracteur. Au bout du rang, le chargement est tel qu’il faut rallier le hangar pour décharger et « nourrir » une machine qui ressemble vaguement à une moissonneuse-batteuse mais sans roues, qui va avaler, secouer, broyer et trier les lianes une par une (280 environ à l’heure) de façon à séparer les feuilles, le bois et les fleurs de houblon qui rejoignent un tapis roulant pendant que le bois est entraîné à l’extérieur. Il sera broyé et mélangé avec le compost des feuilles pour être épandu dans les champs de houblon, qui ont la particularité de ne pas nécessiter de rotation de culture. La récolte est le résultat de six mois de travail qui débutent vers la mi-mars avec la formation des buttes. Le mois suivant, les tiges sortent et atteignent rapidement une quinzaine de centimètres. Il faut alors les « mettre au fil », sinon elles pousseraient naturellement à l’horizontale. Il faut les contraindre à s’enrouler sur le fil attaché à un poteau installé tous les 10 mètres. Une fois l’enroulement en place, la plante continuera d’elle-même à croître le long du support jusqu’au câble supérieur.
Stockage et séchage
Après le tapis roulant, les fleurs de houblon rejoignent le lieu de stockage et de séchage. Dans un premier temps, entassées sur une hauteur d’environ 70 centimètres, elles vont être ventilées pour éviter qu’elles ne partent en fermentation puis, dans un second temps, séchées la nuit à l’air chaud, 60 °C. Une étape cruciale pour la qualité des fleurs. Au petit matin, les séchoirs sont vidés et les fleurs empaquetées en ballots de 65 à 70 kilos. Elles seront ensuite, pour partie, concassées et broyées en pellets pour faciliter le stockage. Sur environ 2,5 tonnes de fleurs ventilées, il ne reste, à la fin du séchage, que 600 kilos de matière première, soit sur 10 hectares, un tonnage en sec cumulé compris entre 16 à 17 tonnes qui ne restent pas sur le marché. Aujourd’hui, en effet, la demande est plus forte que l’offre, à commencer par les grandes brasseries régionales qui en achètent des tonnes à la coopérative Coophounord auxquelles il faut ajouter les demandes des micro-brasseries en quête de houblon français. Le houblon des Flandres a donc de belles heures devant lui. Il ne retrouvera pas demain son lustre d’antan – cette époque où la production locale représentait le tiers de la production française. Les agriculteurs de la région devraient davantage s’y intéresser, car il est rare dans le monde agricole de trouver des hommes ravis de dire qu’ils vivent très correctement de leur métier.
Cet article est extrait du guide Hauts-de-France 2026. Celui-ci est disponible en librairie et sur le e-shop Gault&Millau.