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L'agroforesterie, pour réenchanter le Château de Javernand

L'agroforesterie, pour réenchanter le Château de Javernand

Enherbement total, 240 arbres plantés à l’hectare au cœur des vignes, arrachage de ceps pour leur faire de la place... Au Château de Javernand en appellation chiroubles, Pierre Prost et Arthur Fourneau repensent tout pour ranimer leur sol et vinifier des cuvées détonantes, fraîches, et soyeuses.

Pierre Puchot

C'était un cru très prisé au tournant des années 1990 qui, peu à peu, est tombé en désuétude. Située à moins de cinq kilomètres du célèbre village de Villié-Morgon (Rhône), l’appellation chiroubles s’est endormie, embaumée dans la discrète nostalgie d’une gloire passée, la renommée fugace d’un goût suranné, incapable de résister à l’époque des vins « glouglou » et des vignerons starisés sur Instagram. Depuis la gare de Mâcon-Loché, on est pourtant saisi par la beauté de ce terroir vallonné. Et puis, au détour d’une combe, au bout d’une allée de tilleuls, se dresse une maison vigneronne toute rose, dominée par un noyer pluricentenaire, et une terrasse qui donne à voir une large partie du domaine en contrebas.

Ici, au Château de Javernand, le petit air d’Italie se retrouve dans le paysage comme dans le verre, quand la cuvée nature Indigène tient autant des goûts du Frioul que de ceux du Beaujolais. Du croquant, de la longueur, de beaux tanins, de la fraîcheur... Par quel miracle, au milieu des coteaux grillés par la chimie, du granit et des hectares couverts de gamay noir, retrouve-t-on autant de richesse aromatique ?

Produire moins, mais mieux

Jusque-là, le domaine familial vivait sa vie sans sortir du rang. Depuis 1917, précisément, et cinq générations, la route semblait toute tracée. Et puis, en 2017, changement de cap complet, un vrai saut dans le vide : Pierre Prost et Arthur Fourneau, 44 et 45 ans, qui dirigent ensemble le domaine après des études d’ingénieur, veulent faire moins, mais mieux. Pour cela, ils arrachent et passent de 12 hectares à 8. Pourquoi ce tournant radical dans un domaine qui produisait du vin depuis plus d’un siècle ? « Nous sommes devenus pères, explique Pierre Prost, et on a commencé à se demander ce qu’on allait nous-mêmes laisser derrière nous. L’érosion, l’appauvrissement des sols, le dérèglement climatique sont là, et la lutte pour le vivant nous est apparue comme une priorité pour l’avenir. »

S’il a jusqu’ici plutôt lissé les années et apporté une certaine régularité aux crus du Beaujolais, le réchauffement est désormais « de trop », indique le vigneron. Certaines années, il ne pleut pas de mi-mai à fin août. Comment retenir l’eau sur des coteaux abîmés par des décennies de travail de la vigne ? En 2017, Pierre et Arthur misent tout sur l’agroforesterie. Non pas celle, cosmétique, qui consiste à planter de courtes haies en bord de domaine pour se prémunir des intrants du voisin. 

Mais l’agroforesterie totale, au beau milieu des rangs de ceps, qu’il faut élargir et parfois arracher pour faire place aux arbres. Un travail de titan, alors même que les études manquent pour mesurer les futures vertus, et inconvénients potentiels, de la présence d’arbres dans les vignes. Pourquoi ce pari de tout changer ? « Le point de départ de la prise de conscience, ce sont les sols, poursuit Pierre Prost. Des sols granitiques de plus en plus pauvres après deux cents ans de viticulture. Chez nous, on arrivait à des taux de matière organique inférieurs à 1 %. Même l’herbe avait du mal à pousser ! Si on continuait à appauvrir les sols, c’était direction le désert. »

La méthode du sol nu d’autrefois de vignerons, qui avaient besoin de réfléchir le soleil pour que le raisin arrive à maturité, est désormais révolue. « C’était davantage durable quand les vignerons possédaient moins de surface, et apportaient de la matière organique via la polyculture et leurs vaches, rappelle Pierre Prost. L’humus est au cœur de notre réflexion. Tout découle de cela : l’humus, c’est le carbone, la vie du sol, la fertilité, la rétention d’eau, la nourriture pour les vers de terre qui décompactent les sols. Le cycle de l’azote même dépend de celui du carbone, qu’on capte au passage. »

Réflexion globale sur l’écosystème

À la fin du printemps, les sols du domaine apparaissent couverts des fleurs rouges du trèfle, et des légumineuses semées pour nourrir le sol. Un paysage bien différent de celui que présentait le Château de Javernand dix ans auparavant. Comment Pierre Prost et Arthur Fourneau se sont-ils lancés à l’époque ? Pourquoi avoir choisi non des arbres fruitiers, mais des arbres champêtres, plantés très jeunes en racines nues, et taillés en « trogne » dès qu’ils atteignent 2,50 mètres ? En 2017, les vignerons se forment via l’organisme Ver de terre production, qui s’est donné pour mission d’aider les agriculteurs de France en mettant en œuvre tout ce qui est nécessaire à la réalisation de leur transition agroécologique. « Ça nous a mis le pied à l’étrier et cela a renforcé notre prise de conscience qu’il existait aussi des solutions techniques », témoigne Pierre Prost.

À l’issue de cette formation, Pierre et Arthur montent un collectif, VVB pour Vigneron.ne.s du vivant en Beaujolais, qui réunit 24 domaines. Parmi eux, figurent, notamment, Julien Bertrand, du Domaine Bertrand, et Pierre Cotton et Marine Bonnet, du Domaine Bonnet-Cotton. Côte à côte, ces hommes et ces femmes travaillent, se forment tous azimuts sur l’agroforesterie, mais aussi sur la physiologie de la vigne avec Marceau Bourdarias, expert chez Ver de terre production. Le collectif est également en contact avec la mission Auvergne-Rhône-Alpes, qui les conseille sur les haies et leur rôle de climatiseur naturel. Le domaine étant d’un seul tenant, la plantation des multiples haies destinées à atteindre 5 à 6 mètres de hauteur répond autant au besoin de rafraichir les vignes, en déviant le vent, qu’à celui de créer un corridor écologique favorable à la faune locale. Cette réflexion globale sur l’écosystème a poussé Pierre et Arthur à recréer une ripisylve – comprendre une forêt autour du cours d’eau, que l’on aperçoit en contrebas de la terrasse. Une coulée verte qui offre une poche de fraîcheur et permet de retenir l’eau en évitant l’évaporation. 

Une fois par mois, le collectif se réunit pendant une demi-journée pour échanger sur les pratiques, résultats et difficultés. Arrachages, plantations, soins… les vignerons s’occupent de tout, et optent  pour des choix parfois radicaux. Afin de pouvoir travailler avec des couverts végétaux et des arbres, ils ont besoin d’élargir les rangs. Or, les vieilles vignes plantées à 10 000 pieds l’hectare sur des coteaux très raides ne s’y prêtent pas. Les deux vignerons préfèrent alors arracher et laisser plusieurs hectares en jachère, pour mieux se concentrer sur la conversion en bio, achevée en 2023, et le travail sur le reste du domaine.

Château De Javernand © Claire Jachymiak
© Claire Jachymiak

Faire jouer la concurrence

Spectaculaire entre les vignes, le résultat est aussi visible sous terre. Dès le premier coup de bêche, Pierre Prost débusque deux beaux lombrics nichés sous le couvert végétal, dans une terre plus riche que la surface sableuse ne le laissait paraître. L’accroissement des lombrics dû à la vitiforesterie (ou agroforesterie) est un point attesté par l’étude Vitiforest publiée en 2021 « Évaluation de l’impact de l’arbre agroforestier en contexte viticole ». Et côté inconvénient ? L’arbre et les légumineuses ne risquent-ils pas d’entraver l’épanouissement des ceps ? Eh bien, non : aucun des jeunes plants de vigne observés près des arbres ne semble présenter de fragilité ou de retard de croissance particulier.

La concurrence entre végétaux que redoutent certains détracteurs de la présence des arbres au cœur des vignes a en outre été infirmée par l’étude. « Sur le plan agronomique, écrivent les chercheurs en agronomie, la présence d’arbres depuis huit ou neuf ans à proximité de la vigne n’a pas d’effet direct sur sa vigueur et la composition des raisins. » Pierre Prost dément de son côté la résurgence de maladies comme le mildiou, désignant sous le couvert végétal la présence d’un champignon qui en prémunit la vigne. Compte tenu de la surface cultivée, le volume obtenu ne souffre guère des choix des vignerons : les rendements maximums de l’appellation chiroubles, fixés à 58 hl/ha, sont atteints par une première parcelle plantée en 2016 en agroforesterie. L’objectif général du domaine se situe autour de 45 à 50 hectolitres à l’hectare, ce qui offre, selon Pierre Prost, « un bon équilibre entre concentration et typicité du terroir ».

Et dans les verres ?

L’espoir des vignerons est de mieux connecter les vins au terroir, sur un sol vivant, rempli de mycorhizes – symbiose entre un champignon et une plante – qui permettent une meilleure exploration des sols pour les plantes. « On fait surtout ça pour la vigne et les sols, précise Pierre Prost. In fine, le but est que la vigne soit moins stressée et plus résiliente, avec davantage de matière organique et de rétention d’eau. Le soleil rasant de l’ouest nous grille parfois une face de raisin. On espère améliorer et lisser la qualité du raisin d’une année sur l’autre. En année non pluvieuse, le couvert végétal pompe l’eau. En année pluvieuse, le paillage permet de la conserver. L’idée, c’est d’amortir le climat, pour continuer à produire des vins sains et naturels. »

Parmi les cuvées 2023 dégustées au domaine, les quatre chiroubles révèlent de fait une qualité aromatique et une fraîcheur remarquables qui les distinguent au sein du petit vignoble (320 hectares). La cuvée Climax en particulier, est dotée d’une rondeur qu’on n’attendait pas d’un chiroubles. Ajoutez à cela un rosé Rose de gamay sobre et croquant en appellation beaujolais villages, et Java, un pétillant naturel brut, quasi métallique. Des crus qui disent tout le potentiel de ce domaine pilote, à l’avant-garde d’une pratique qui devrait convaincre bien des vignerons dans les années à venir.

Château de Javernand

Cet article est extrait du Magazine Gault&Millau Hors-Série Vins, Champagne & Spiritueux. Il est disponible sur notre boutique en ligne.
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