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La tomate, fruit du Nouveau Monde et du monde nouveau

La tomate, fruit du Nouveau Monde et du monde nouveau

« Légume » le plus cultivé dans le monde, la tomate attire les convoitises et les innovations. Elle montre jusqu’où les modes de culture actuels peuvent aller, voyageant à travers tous les continents et dans des milliers de préparations. En France, on s’est attaché à elle en toute saison. C’est le légume frais le plus acheté et on ne sait plus cuisiner sans, même si l’on a failli perdre son goût. Mais celui-ci revient depuis une vingtaine d’années, grâce à des producteurs qui lui font également retrouver ses sublimes couleurs !

Caroline Mignot

En botanique, un fruit est le produit d’une fleur et il est destiné à protéger les graines, noyaux ou pépins. La tomate, plante annuelle de la famille des Solanacées, est un donc un fruit ! Originaire de la cordillère des Andes, la tomate est jaune ou rouge à l’état sauvage. On attribue aux Incas les débuts de sa sélection, puis aux Aztèques sa mise en culture et sa dénomination « Tomatl ». Elle fait la taille d’une balle de ping-pong quand les conquistadors la découvrent et l’embarquent en Europe au XVIe siècle. La famille des Solanacées comprenant des plantes dites de sorcières (belladone, mandragore), les botanistes préfèrent s’en méfier et la classent comme toxique. En France, elle est uniquement cultivée dans les jardins pour ses qualités ornementales. Les Italiens, plus hardis, en font des sauces pour agrémenter les viandes et lui donnent le nom de « pomodoro » (pomme d’or).

Les esprits s’ouvrent et la tomate gagne son titre de fruit au milieu du XVIIIe siècle, faisant son entrée dans les catalogues de graines (1778). Au XIXe siècle, les Européens qui migrent aux États-Unis en emportent avec eux. Un nouveau marché s’ouvre. Pendant ce temps, la tomate se met à voyager en Europe, car tout le monde veut en consommer. Au XXe siècle, on « ose » enfin la manger, crue et en salade.

Un vertigineux marché

Au niveau mondial, la tomate représente une production annuelle de 190 millions de tonnes, dont 70 rien que pour la Chine, premier pays producteur et exportateur. Une importante part de ce volume est destinée à l’industrie de transformation – concentré, purée, coulis.

Devenu universel, le concentré de tomate entre dans des milliers de préparations culinaires. La production mondiale de tomates a ainsi été multipliée par plus de six en soixante ans, entraînant des bouleversements agricoles et écologiques. En 40e position, la France a produit, en 2024, 475 500 tonnes de tomates, dont 225 700 tonnes ont été exportées, quand 422 300 tonnes sont arrivées sur notre sol en provenance du Maroc (75 %), d’Espagne (13 %), de Belgique et des Pays‑Bas. Dans l’Hexagone, les principales régions productrices sont la Bretagne, la Provence-Alpes-Côte d’Azur et les Pays de la Loire, et la surface de culture sous serre représente trois fois celle de plein air. Bien des arguments jouent en faveur de la première : les serres protègent les plants du froid et de la grêle – les tomates arrivent ainsi dès le printemps –, elles contribuent à réduire l’utilisation des pesticides et permettent la régulation de l’eau dont la tomate est très consommatrice.

Enfin, cultiver sous serre, c’est éventuellement s’épargner la présence du redoutable mildiou, la maladie liée à l’humidité. Comme pour beaucoup d’autres fruits et légumes, le mode de production en serre et hors-sol – les racines des plantes reposent alors dans un substrat, détaché du sol, l’eau délivrée au goutte‑à‑goutte peut être enrichie en nutriments – se généralise. Variétés spécialement créées – les tomates doivent être résistantes face aux maladies et aux transports –, semences hybrides, apports de nutriments, installations chauffées et factures énergétiques parfois très élevées… Si ce mode de culture est loin d’être écoresponsable, il répond aux besoins galopants de l’industrie agroalimentaire et aux envies des consommateurs qui veulent des tomates toute l’année.

Le goût disparu

Dans les années 1990, les affaires de « malbouffe » et de désastres sanitaires éclatent. Les tomates rondes et fermes qui inondent le marché n’ont plus de goût, les consciences se réveillent. Louis‑Albert de Broglie, qui a commencé une collection de variétés de tomates dans son potager du château de la Bourdaisière à Montlouis‑sur‑Loire, attire l’attention des médias. Le « Prince jardinier », comme on le surnomme, grand amateur de diversité, d’histoire et de poésie, a à cœur de retrouver le goût des tomates perdues de son enfance. « La particularité des tomates, c’est l’inattendu. Elles peuvent être de toutes les couleurs comme des bonbons », s’enthousiasme‑t‑il.

Château De La Bourdaisière © Borja Mérino
© Borja Mérino

Grâce aux catalogues (dont celui de Terre de semences, aujourd’hui Kokopelli), aux revues et à ses contacts avec des collectionneurs à travers le monde, il réussit à constituer près de 400 variétés. En 1998, la collection est agréée par le Conservatoire des collections végétales spécialisées (CCVS) et le potager devient officiellement le Conservatoire national de la tomate ! Les fruits de ce conservatoire, comme ceux des producteurs résistants, sont ce que l’on appelle des tomates de plein champ ou de pleine terre. Plantées en mai, après les saints de glace, elles se cueillent et se dégustent de juillet à fin octobre. Ni avant ni après. Une culture qui respecte la saisonnalité offre des variétés riches en goût et des fruits de meilleure qualité. Leur tarif plus élevé se justifie par des rendements faibles et une culture artisanale de tomates cueillies à pleine maturité, une à une, à la main.

Le paradis de la tomate

L’arrivée au Conservatoire de la tomate du chef jardinier Nicolas Toutain en 2007 a contribué à développer encore la collection et à réorganiser le potager. « Un jardin ressemble à son jardinier », explique ce dernier. C’est ainsi qu’il recadre, recentre, travaille sur un étiquetage précis pour mieux mettre en valeur la collection qui comprend aujourd’hui 780 variétés ! Tous les plants sont produits sur place – on appelle plant une jeune plante destinée à être transplantée –, à partir de semis qui ont lieu entre janvier et février. Les serres qui les accueillent datent du XIXe siècle, magnifiquement restaurées à la fin des années 1990. Les graines, semées à la main et parfois à la pince à épiler, sont aussi maison, car récupérées des fruits abîmés. Une partie des plants – 12 000, correspondant à 50 variétés – est vendue lors de la Fête des plantes organisée chaque année durant le week-end de Pâques. Des variétés rares que les visiteurs sont enchantés de se procurer. En graines, on trouve également de nombreuses variétés disponibles à la boutique.

L’autre série de plants est réservée au potager du conservatoire : deux ou trois plants de chaque variété sont ainsi repiqués sur 9 000 m², soit 1 800 plants en tout, pour une production de tomates d’environ 3 tonnes. Entourés d’herbes aromatiques annuelles et vivaces et de fleurs d’ornement, les fruits cueillis se destinent au restaurant du château de la Bourdaisière et au Bar à Tomates, installé à proximité des serres (accessible au déjeuner pour les visiteurs et au dîner pour les clients de l’hôtel). Mais les fruits sur pied, sur tuteurs en forme de tipi, sont d’abord là pour montrer leur diversité, leur parfum (ce sont les tiges et les feuilles qui sont chargées de sève parfumée et non les fruits) et pour susciter la curiosité et l’émerveillement. Les variétés sont d’ailleurs plantées par couleur et par ordre alphabétique.

Le Festival de la tomate et des saveurs arrive au plus beau de la saison (les 13 et 14 septembre 2025, pour la 27e édition), avec des visites du conservatoire, des animations, des démonstrations culinaires, des conférences et l’extraordinaire marché de tomates. 

Tomate © Conservatoire De La Tomate
© Conservatoire De La Tomate

Les anciennes, les nouvelles ?

Quand il parle du goût des tomates du potager, le jardinier Nicolas Toutain a aussitôt le sourire : « Ce sont des fruits de grande qualité, les goûts d’un terroir. » La culture en serre chauffée est pour lui une catastrophe, « écologiquement et gustativement ! La tomate n’est pas comme une pomme de terre. Dès qu’elle est récoltée, elle doit être consommée rapidement. Les tomates de grande distribution sont récoltées très fermes, conservées dans des chambres froides. Pour les faire mûrir, on utilise du gaz éthylène, ce qui a une forte incidence sur le goût. » Il faut privilégier les tomates anciennes, de plein champ ou de pleine terre. Il s’agit de variétés reproductibles, appelées aussi « variétés de population ». C’est-à-dire les variétés de tomates dont la graine peut être replantée. À ne pas confondre avec les « hybrides F1 », qui sont destinées à la grande distribution – produites pour la complémentarité des caractères, leur résistance aux maladies, la qualité de la récolte, la précocité, le rendement… Ces variétés doivent être recréées à chaque génération et les graines, rachetées chaque année à des semenciers.

Selon Nicolas Toutain, « les vraies anciennes, on pourrait dire que ce sont des tomates des XVIIIe, XIXe et XXe siècles, comme la Pomme rouge de Montpellier du XVIIIe, l’Ananas de la fin du XIXe, ou la Green Zebra créée en 1985 ». Les plus grosses tomates voient le jour à la fin du XIXe – encore plus grosses, elles risqueraient d’éclater. Jusqu’au XXe siècle, beaucoup de variétés ont ainsi été créées. Mais les graines contiennent de l’eau et donc meurent aussi. « C’est un organisme vivant », confirme le chef jardinier. Les variétés se transmettent parce qu’elles sont cultivées par les jardiniers. L’objectif du conservatoire est ainsi de préserver, conserver, transmettre… Louis‑Albert de Broglie réfléchit déjà au nouveau restaurant de 2026, qui proposera une expérience unique autour de la tomate.

Cet article est extrait du Magazine Gault&Millau #10. Ce numéro est à retrouver sur notre boutique en ligne.
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