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Gilles et Nicolas Verot, maîtres charcutiers de père en fils, un héritage bien ficelé

Gilles et Nicolas Verot, maîtres charcutiers de père en fils, un héritage bien ficelé

Christine Robalo | 25/10/2024

Gilles et Nicolas Verot, duo de charcutiers passionnés, mêlent tradition et innovation dans leur célèbre maison familiale. Entre terrines végétariennes et secrets du saucisson, le père et le fils réinventent un savoir-faire en toute complicité.

Dans le monde de la charcuterie, Gilles et Nicolas Verot sont les rockstars du saucisson et du pâté en croûte. D'un côté, Gilles, le patriarche, incarne la tradition. Formé dans la maison familiale en Loire, il a aussi appris auprès de Georges Reynon à Lyon, ainsi qu’à Paris chez ses futurs beaux-parents. Gilles est un charcutier pur souche qui a grandi les mains plongées dans le cochon et le respect des traditions. De l'autre, Nicolas, "le premier-né" qui a fabriqué son premier fromage de tête à l’âge de six ans, mais a d’abord tenté une voie parallèle dans le droit des affaires, avant de faire marche arrière pour rejoindre la charcuterie paternelle. Aujourd’hui, la Maison Verot est présente à Paris avec cinq boutiques et fait également rayonner son savoir-faire à l’international. Portrait croisé de deux passionnés.

Nicolas, vous avez dit un jour que, quand vous étiez au lycée, être "fils de charcutier", ce n’était pas vraiment le truc qui boostait la popularité. Vous avez toujours cette impression ?

Nicolas Verot : En fait, quand j'étais petit, j'étais hyper fier du métier de mes parents, ça ne fait aucun doute. Mais à l'époque, les métiers de bouche n'avaient pas la même aura qu'aujourd'hui. Ce n'était pas aussi cool de dire "mon père fait des saucissons". Les choses ont bien changé, et maintenant, ces métiers ont mué, ils sont valorisés. C'est tout l'artisanat qui a évolué, mais les métiers de bouche en particulier.

Gilles Verot : Et c'est une vraie fierté de voir ça. Les métiers de l'artisanat et de la gastronomie sont enfin respectés à leur juste valeur. Notre mission à nous, c'est de préserver ce savoir-faire et d'apporter notre petite touche à l’édifice. Et notre édifice à nous, c'est la charcuterie artisanale française.

Gilles, vous avez commencé à travailler avec votre père à Saint-Étienne, mais vous n'êtes pas resté pour reprendre l'affaire familiale. Qu'est-ce qui vous a poussé à partir plutôt qu'à rester ?

G.V. : Eh bien, c’était un peu un choc des générations. Mon père et moi n’avions pas toujours la même vision des choses. Le centre-ville de Saint-Étienne, à l'époque, perdait beaucoup de son dynamisme, et la maison familiale en souffrait. Après avoir goûté au travail parisien, beaucoup plus effervescent, revenir à Saint-Étienne m’a paru un peu compliqué. J’avais 20 ans, j’étais jeune, impatient, et honnêtement, la vie à Paris brillait tellement que j’ai voulu y rester.

Être charcutier de père en fils, c’est toujours une affaire de choc générationnel ?

G.V. : Pas forcément. Avec ma femme Catherine, on a toujours cherché à créer une vraie complicité avec Nicolas… peut-être, comme celle que j'aurais aimé partager avec mon propre père.


© Lucie Sassiat 

Nicolas, est-ce qu'il y a un moment de votre enfance où vous avez vu votre père à l'œuvre et qui vous a donné envie de suivre ses pas ? Une scène marquante qui vous aurait convaincu ?

N.V. : En fait, non, il n'y a pas eu de moment particulier. Pour moi, c'est quelque chose qui a infusé progressivement. Si un jour, j'avais eu une révélation soudaine en voyant mon père monter un pâté ou préparer un jambon, je pense que ça aurait été trop rapide, ça serait peut-être reparti aussi vite. Là, c'est venu petit à petit, avec le temps. Au début, je n'étais pas destiné à ça, j'étais plutôt parti pour le droit des affaires, mais la passion que mes parents m'ont transmise a fini par m'attirer plus que l’univers vers lequel je m'étais destiné.

G.V. : Je crois que Nicolas a aussi ce profil qui me ressemble : il est né, comme moi dans une charcuterie. Quand il était petit, on habitait juste au-dessus de la boutique, il voyait tout, tout le temps. Même bébé, il était immergé dans cet univers. Ça ne laisse pas indifférent ! 

Justement, votre "aventure américaine" a-t-elle changé votre façon de voir les choses ? 

G.V. : C'est sûr que cela a eu un gros impact sur notre carrière et notre manière de faire. Quand le chef Daniel Boulud a contacté Philippe Legendre, un ami commun et chef des cuisines du Georges V à Paris, il cherchait un jeune charcutier pour travailler avec lui. Philippe m'a demandé si je connaissais quelqu'un de qualifié. Honnêtement, en 2004-2005, c'était compliqué de trouver un charcutier qui parlait anglais et qui était prêt à partir travailler à New York ! Après quelques jours de réflexion, c'est ma femme Catherine qui m'a dit : "Et pourquoi pas toi ?" On est partis à New York, Daniel est venu à Paris, et il y a eu un coup de foudre professionnel et humain. Ça a marqué le début d'une collaboration de 15 ans, avec des projets dans plusieurs villes et pays. À partir de là, notre métier a vraiment pris un autre tournant.

Quel est le premier plat que vous ayez élaboré ensemble ?

G.V. : Honnêtement, je ne me souviens pas précisément du tout premier plat, mais je pense que c'était autour de la première carte saisonnière après l'arrivée de Nicolas en 2018. On a dû travailler sur la carte automne-hiver. C'était un vrai moment de transmission.

N.V. : Oui, en 2018, j'ai commencé à m'impliquer dans l'élaboration de la carte, mais au départ, j'étais plutôt un spectateur attentif. Je faisais partie de l'entreprise, mais sans vraiment avoir le niveau technique pour participer pleinement. J'étais en phase d'apprentissage. C'est plutôt vers 2020 que j'ai vraiment commencé à me sentir plus à l'aise, notamment avec la création de la terrine végétarienne… Là, j'ai pris confiance.

G.V. : Ah, cette terrine de légumes, c'est un vrai symbole pour nous. Elle était très technique, très belle mais aussi très fragile ! La gelée, c'est souvent à base de cochon, là il a fallu trouver autre chose. Ce qui est intéressant, c'est que cette terrine a vu le jour grâce à la vision presque pure de Nicolas, justement parce qu'il manquait encore d'expérience. Avec mes 40 ans passés dans la charcuterie, je n'aurais probablement pas imaginé ce plat de la même manière. C'est ce mélange de fraîcheur et de tradition qui a donné naissance à quelque chose de vraiment unique.

Quand vous voyez vos produits à la carte des plus belles tables parisiennes, c'est un petit moment de fierté à savourer, non ?

G.V. : Oh, absolument ! Je me souviens que notre tout premier client professionnel était le Georges V, il y a 20 ans. C'était une immense fierté. Ça fait nous toujours très plaisir de voir nos produits dans de nombreux endroits à Paris. On aime travailler avec de beaux établissements, mais il y a forcément une sélection. Nos produits ne sont pas considérés comme « bon marché », et c'est normal : ils transmettent la qualité des matières premières qu'on utilise, le savoir-faire de nos équipes, le soin qu'on y apporte. Ces collaborations avec les établissements sont souvent le fruit d'une rencontre, d'une envie commune de collaborer.

N.V. : Pour ma part, je dirais que c'est une fierté double. D'une part, voir notre maison représentée dans ces établissements prestigieux. D'autre part, constatez que la charcuterie artisanale de qualité, qu'elle soit signée Verot ou non, trouve sa place dans ces lieux haut de gamme. Pendant longtemps, ce n'était malheureusement pas le cas. Alors voir des chefs renommés ou des endroits comme la Cave de Frenchie ou Septime s'emparer du sujet, c'est absolument génial.


© Géraldine Martens

Travailler en famille, entre père et fils, ça se passe comment ? Qui l'emporte au quotidien, le lien familial ou le professionnel ?

N.V. : On est toujours un peu entre les deux. Il faudrait être sacrément schizophrène pour oublier nos liens familiaux ! Mais on essaie de rester sérieux dans nos activités et d'éviter de tout mélanger. Sinon, on passe du pâté en croûte à l'organisation du dîner de famille en un rien de temps ! Bien sûr, on en parle parfois dans la journée, mais on essaie de mettre des frontières, même si ce n'est pas toujours évident, parce qu'avant tout... on est une famille. Père, mère, fils.

Et pour terminer, parlez-nous d’une de vos dernières créations...

Gilles et Nicolas Verot : On est très fiers d'un pâté en croûte que nous avons réalisé avec Mory Sacko pour la grande brasserie Lafayette. Il est à base de poulet yassa et de citron. On s'est inspiré de l'univers de Mory, tout comme on l'avait fait avec Céline Pham pour créer le fameux "bánh mì en croûte" : une fusion des traditions charcutières françaises et des influences asiatiques, qui a été l'un de nos plus grands succès en produit éphémère.

Et demain ? Gilles envisage peut-être de passer le tablier à Nicolas. En attendant, tant qu'ils trancheront côte à côte, nos papilles seront à la fête. Car chez les Verot, la charcuterie n'est pas juste une affaire de métier, c'est une passion qui se transmet de père en fils, une histoire de famille qui se savoure comme une bonne terrine : avec le cœur et sans modération.

 

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