Yves-Marie Le Bourdonnec, sa nouvelle vie à Bouhy
Yves-Marie Le Bourdonnec est un homme heureux. Pas seulement pour être devenu Bouhytat à temps complet – comprenez habitant de Bouhy, département de la Nièvre, une commune « au milieu de rien », diraient les citadins, à 15 kilomètres de Donzy au sud, et un peu plus de Clamecy à l’est et de Cosne-sur-Loire à l’ouest. Autant dire, pour ceux qui ne connaissent aucune de ces trois localités de référence, un « trou perdu ».
Ce n’est pas par posture, ni même vraiment par idéologie, que le « boucher des stars, star des bouchers » est devenu simple boucher de village. S’il est né en banlieue parisienne, son enfance dans la Bretagne de sa famille, chez un oncle où il a connu ses premiers contacts avec le métier, sa vie d’engagement au service d’une filière bovine vertueuse, ses convictions tout au long d’une carrière exemplaire au service du bon et de la qualité le dispensent de justification. Il n’est ni Bouvard ni Pécuchet aspirant à une vie campagnarde après avoir joué les ronds-de-cuir sur le pavé urbain.
Des trous perdus, il y en a dans toute la France. Les campagnes abandonnées, les paysages magnifiques et silencieux, sont devenus l’ordinaire du voyageur curieux, qui regrette tant les relais de poste et les auberges accueillantes pour passer la nuit après un bon repas fermier. Plus d’auberges, plus de terroir, plus de cuisine française, juste parfois une lumière dans la nuit pour proposer un burger, une pizza ou un kebab. Le désert… Alors quand on a tout adulé des connaisseurs et des autres, quand on a été baptisé par le New York Times du titre de « meilleur boucher du monde », qu’est-ce qui peut vous pousser vers cette nouvelle vie, à part, comme il l’avoue lui-même dans un sourire convaincu, mais aussi rassurant et bienveillant, « un peu de folie » ?
"Ma mission, c’est d’être là quelques années et de transmettre"
Pourquoi Bouhy, pourquoi la Nièvre ? « J'avais une amie qui avait une maison de campagne dans le coin, explique Yves-Marie Le Bourdonnec. J’y venais assez souvent, car cette région me plaît vraiment. Paisible, vraie, sans fard. Et il y avait cette boucherie qui était à reprendre. J’en ai profité pour racheter le bar attenant, et même la pompe à essence avec. » On comprend que, pour le village, c’est une chance presque inespérée de voir les touristes affluer. Les papiers ont été nombreux dans les quotidiens parisiens et nationaux, dans les hebdos, sur les réseaux. Pourtant, rien n’était gagné d’avance. « Même le maire n’y croyait pas vraiment, poursuit l’ancien boucher star. Il prédisait que cela ne marcherait pas et que je plierais bagage rapidement. Et pourtant, je suis là, quatre ans après, il y a du monde toute l’année, des gens d’ici, même si, l’hiver, c’est un peu plus dur. Ici, ce n’est pas le Perche avec une animation tous les week-ends grâce aux résidences secondaires. Comptablement, je devrais fermer plus longtemps que le mois de janvier. Mais je n’en ai pas envie, je ne suis pas venu pour ça et je n’ai plus vraiment besoin d’une rentabilité optimisée. Ma mission, c’est d’être là quelques années et de transmettre. J’ai trouvé une jeune fille, Camille, que je forme au fil du temps. Elle est passionnée et très prometteuse. »
On touche là à l’essence même du projet. À l’investissement personnel et à ce que l’on peut en retirer. Un autre discours, un autre langage, que l’on retrouve aujourd’hui parfois chez les nouvelles générations. Juste faire bien, pour les autres et donc pour soi. La même démarche qui l’a conduit, durant plus de trente-cinq ans, à diffuser, et avec quel succès, ses idées sur l’élevage bovin, heurtant parfois, et pour le bon motif, les idées reçues et commodes. « Il faut comprendre, même si cela peut choquer, que la viande que vous achetez en grande surface est la même que celle que vous avez chez votre boucher, tient à préciser Yves-Marie Le Bourdonnec. Les mêmes filières, les mêmes races, qui sont certes différentes, mais qui ont toutes la même caractéristique, celle de bêtes qui n'arrivent à l’âge adulte que vers 45 à 50 mois. Or, qu’est-ce qu’attend le consommateur, à condition qu’il soit un peu exigeant ? C’est une viande tendre et goûteuse, ce qu’on ne peut pas obtenir avec une viande française, qu’elle soit de charolaise, de limousine, d’Aubrac ou autre, qui sont toutes sur le même modèle et produisent, à maturité, trop de collagène qui donne cette chair un peu ferme et manquant de saveur. La seule solution est, comme les Anglais ont su le faire depuis longtemps, d’encourager des races qui sont adultes à 18 mois, comme les angus, hereford, aberdeen… »
Comment fait-il pour s’approvisionner ?
« J'ai eu la chance d’avoir un ami médecin, profes - seur à Necker, dont le rêve était de devenir éleveur. Il s’est installé à Arquian, à 10 kilomètres d’ici. Il me fournit la moitié de ce dont j’ai besoin. Pour le reste, j’ai encore mon réseau… » En revanche, il a décidé de ne plus fournir de restaurants. « Plus aucun, je vis pratiquement en autarcie. J’ai besoin de 30 bêtes par an, pas plus. Avec ça, je fournis les clients et le restaurant… »
Ah! oui, parce que, à l’arrière de la boucherie, il y a aussi maintenant un restaurant tout simple, avec des tables au jardin si le temps le permet. « J'ai trouvé un cuisinier qui vient chaque jour travailler la viande et la charcuterie que j’ai préparées. Parce que je me suis redécouvert une passion pour cette activité, je prépare mes saucisses, mes boudins. Du bon cochon, c’est plus facile à trouver, et je me régale… »
Aujourd’hui, il y a un repas de mariage, les tables sont sorties, tout le monde a l’air heureux, on croit voir une scène de Renoir; la campagne revit à Bouhy…
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