Un pâtissier, un scientifique, une collab
Quand la physique se met au service de la pâtisserie, la dégustation se fait aussi déroutante que gourmande. Entre le jeune chef pâtissier d’Onor, le nouveau restaurant de Thierry Marx, Pierre Perrin, et le physico-chimiste Raphaël Haumont, chercheur au Centre français d’innovation culinaire et professeur à l’université Paris-Saclay, s’installe une conversation où centrifugeuse, évaporateur rotatif, cuve à ultrasons et techniques sous vide deviennent les nouveaux ustensiles du pâtissier. Deux univers complémentaires avec pour trait d’union les ingrédients, appréhendés au plus près des molécules qui les composent pour une nouvelle vision engagée de nos desserts de demain. Conversation gourmande de haute volée !
Gault&Millau : Votre collaboration n’est pas commune, parlez-nous de votre rencontre…
Pierre Perrin : Je suis arrivé chez Onor en tant que chef pâtissier il y a cinq mois à peine, avec pour bagage mon savoir-faire en pâtisserie traditionnelle, mais sans rien connaitre de l’approche de Raphaël. Cette rencontre a transformé ma vision de la pâtisserie et de ce que je pouvais faire pour mettre en valeur différemment le goût des ingrédients.
Raphaël Haumont : À chaque collaboration et aujourd’hui avec Pierre, mon objectif est de partager mon approche, de l’expliquer simplement avec des applications très concrètes et l’utilisation d’un matériel inattendu pour un pâtissier. Avec Ricardo Silva, le chef, nous réfléchissons ainsi depuis plusieurs années en mode cerveau collectif pour créer de nouvelles expériences dont le mot d’ordre reste la gourmandise.
G&M : Comment travaillez-vous ensemble ?
P. P. : J’apprends au côté de Raphaël et de Ricardo à appréhender différemment les goûts, les ingrédients et les accords. J’ai découvert l’action des ultrasons sur les molécules et de la pression sur le développement d’un gâteau. J’ai également compris que l’on pouvait réaliser d’excellents desserts sans utiliser de matières grasses ou encore de sucre. Je suis en train de me familiariser avec cet univers, d’apprendre le fonctionnement de ces nouveaux ustensiles et de goûter ce que cela peut donner. C’est extrêmement excitant.
R. H. : Ce laboratoire est une véritable chance pour pouvoir expérimenter ensemble les idées que nous pouvons avoir. C’est un lieu d’exploration et de créativité ouvert à tous les collaborateurs d’Onor où l’on peut créer mais aussi produire. Généralement, j’arrive avec ma base de données, ce que j’appelle le «foodpairing», c’est-à-dire les aliments qui peuvent bien s’accorder ensemble selon les molécules communes qu’ils partagent. Ensuite, Ricardo et Pierre laissent libre cours à leur imagination et à la saison. Nous essayons de nouveaux accords, nous goûtons, nous adaptons jusqu’à trouver l’équilibre et la gourmandise de notre assiette.
G&M : Comment avez-vous imaginé l’accord chocolat-concombre qui est aujourd’hui proposé dans l’«écuelle du moine», cette expérience assez unique de dégustation ?
P. P. : Nous sommes partis de l’accord possible proposé par Raphaël entre le chocolat et le concombre. Le chocolat apporte une gourmandise rassurante, le concombre une belle fraîcheur. Sur le papier, c’est assez surprenant. Par ailleurs, il n’y a pas de sucre, simplement un siphon chocolat et eau, une gelée de concombre, une poudre d’olive tagghiashe déshydratée et une glace au sel fumé, le tout servi sous deux fines feuilles craquantes. C’est un dessert gourmand et pourtant clivant, par l’absence de sucre et la présence de concombre.
©Mathilde de l'EcotaisR. H. : Pour cette création, il n’y a plus de frontière entre le cuisinier, le pâtissier et le physicien, la technique fait le lien entre nous. Il est facile de réaliser non pas une mousse au chocolat, mais une mousse de chocolat en mélangeant du chocolat et de l’eau au siphon, l’intérêt du siphon étant qu’il permet d’utiliser l’air comme un ingrédient. Cela donne une texture très légère, évanescente en bouche et intense en goût. On ne retrouve pas les codes attendus du sucré, le concombre et les olives contribuent à cet accord inattendu, généralement on adore ou on n’est pas réceptif. Nous jouons également sur le contraste de textures et de températures pour apporter du relief à ce dessert.
G&M : Quel est le dessert le plus disruptif que vous ayez imaginé ensemble ?
P. P. : L’ultra sponge cake au chocolat que Raphaël appelle le gâteau expansé sous vide, un gâteau au chocolat très étonnant pour le pâtissier que je suis puisqu’il est réalisé sans matières grasses, sans sucre et sans cuisson au four. L’appareil est simple : chocolat, eau et agar-agar que l’on chauffe tout en remuant avant de mettre la préparation en siphon puis dans un cercle. Ce qui fait ensuite gonfler le gâteau, c’est la technique sous vide. L’idée est de faire gonfler les bulles de gaz en créant une dépression, le gélifiant permet d’avoir la tenue.
R.H. : Sans aucun doute l’aubergine, praliné café et glace basilic. Nous avons joué sur le côté vert de l’aubergine avec le basilic, puis sur les notes chaudes et rondes de l’aubergine grillée avec la peau et juste séchée en tuiles pour faire le lien avec le praliné au café. C’est un accord assez incroyable de goûts, mais aussi de textures et de température.
G&M : Collaboration : liberté ou contrainte ?
P. P. : Cette collaboration m’ouvre le champ des possibles, c’est une véritable ouverture dans mon domaine. Mes acquis sont chamboulés grâce à ces différentes techniques et ces accords inédits. Pour certains desserts, je laisse de côté le beurre, la crème, le lait, les œufs ou le sucre, et je me tourne vers la physique pour créer les textures et valoriser le goût.
R. H. : Depuis toujours, avec Thierry Marx, nous aimons innover par la contrainte. Par exemple, en réfléchissant à un soufflé sans œufs. Il faut comprendre pourquoi et comment l’appareil souffle, comment construire cet appareil pour réussir à réaliser un soufflé gourmand, qui souffle mais sans œufs. L’utilisation du siphon est une partie de la solution.
G&M : Comment définiriez-vous cet exercice ?
P. P. : C’est un travail quotidien qui demande de la curiosité et du temps pour comprendre les fonctions de chaque ingrédient et maîtriser les techniques.
R. H. : C’est un échange d’une richesse incroyable, avec Ricardo et Pierre, chacun apporte sa pierre à l’édifice. Ils connaissent les accords, je viens les enrichir avec des combinaisons improbables qu’il faut tester, je n’apporte pas de recettes toutes faites. Le cuisinier et le pâtissier restent des artistes, qui doivent développer leur art pour faire de cette prédiction scientifique un plat réussi et une source d’émotions.
G&M : Comment voyez-vous la pâtisserie du futur ?
P. P. : La pâtisserie telle que nous la connaissons aura toujours sa place, mais elle sera plus créative, et le chef que je suis devra surprendre toujours plus.
R. H. : Ce qui est innovant aujourd’hui deviendra classique dans quelques années comme pour toutes les évolutions. Je suis certain que la pâtisserie du futur conciliera plaisir, innovation, bien-être, santé et respect de la planète.
Restaurant Onor
258, rue du Faubourg-Saint-Honoré, 75008 Paris.
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