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Pas de friture sur la ligne entre Christophe Hay et Sylvain Arnoult

Pas de friture sur la ligne entre Christophe Hay et Sylvain Arnoult

Longtemps réservés aux guinguettes et auberges de bord de rivière ou de lac, délaissés en cuisine – souvent pas manque de savoir-faire –, les poissons d'eau douce retrouvent aujourd'hui la place qu'ils méritent sur les tables gastronomiques. En fonction des saisons, les brème, aspe, alose, carpe... font ainsi leur retour sur les cartes des restaurants.

Philippe Toinard

Gault&Millau : À quand remonte votre première rencontre et quel souvenir en gardez-vous ?

Christophe Hay : En janvier 2013, pour être précis. Je m’apprêtais à ouvrir mon restaurant à Montlivaut et je cherchais un pêcheur professionnel. Sur les fleurs et sur les lacs, le principe est que les pêcheurs louent des concessions. La plus proche du restaurant était celle de Sylvain, qui s’étend de la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux au château de Ménars. Je suis allé à sa rencontre, mais il était très fermé à l’idée de collaborer avec des chefs de cuisine, car ceux avec qui il avait travaillé par le passé ne lui demandaient que du sandre et des brochets. Moi, j’étais prêt à cuisiner tout ce qu’il pouvait remonter dans ses filets. D’ailleurs, nous n’avons parlé que de pêche, de filets, de mailles, d’espèces et très peu de cuisine.

Sylvain Arnoult : Je n’ai peut-être pas été très aimable lors de notre première rencontre, parce que je ne voulais plus entendre parler des chefs qui pensent que la Loire c’est Rungis, qu’il y a de tout, toute l’année, de jour comme de nuit et qu’il suffit de passer commande. Mais j’ai vite compris que Christophe connaissait les saisons, les espèces. Lorsqu’il m’a avoué qu’il avait été champion de pêche à la canne quand il était jeune, je me suis dit qu’il y avait moyen de s’entendre. Il est venu me voir, il m’a écouté, et je crois que c’est ce qui m’a convaincu.

Quel regard portez-vous l’un sur l’autre et sur vos métiers respectifs ?

C. H. : Je suis très admiratif de son métier. Je ne dis pas que je ne pourrais pas le faire, mais c’est beaucoup plus compliqué que ça en a l’air. J’ai passé pas mal de temps avec Sylvain, je suis très souvent allé sur la Loire avec lui. Derrière son caractère un peu rustre, il y a beaucoup de bienveillance et, quand il me dit qu’il ne veut pas de moi sur son bateau, c’est parce qu’il sait que ce jour-là, c’est dangereux et qu’il ne veut prendre aucun risque. J’admire aussi sa connaissance du fleuve, son sens de l’observation de son biotope et des espèces qui y évoluent, les poissons mais aussi les oiseaux. Et souvent, derrière mes fourneaux, je pense à lui en cuisinant et ça m’attriste de savoir que, parfois, ses filets sont vides. Ça me navre, mais je sais que c’est l’une des composantes de son métier.

S. A. : Toi aussi, tu peux faire zéro client. [Rires.] Blague à part, j’admire le chef parce qu’il a su anoblir toutes les espèces que j’ai pêchées. Il ne commande pas à l’unité, il prend ce que je remonte dans mes filets et après, il se débrouille. Mais quand je vois les intitulés de sa carte, je me dis que je ne me suis pas levé en pleine nuit pour rien ! Il faut de plus en plus de chefs comme lui pour valoriser mon métier et les poissons d’eau douce. Même la carpe, il s’est mis à la cuisiner. Il a mis du temps ; au début, il n’en voulait pas, mais, au final, c’est sa carpe « à la Chambord » que tous ses clients veulent goûter. C’est ma petite fierté, avec le silure, qu’il propose mariné aux agrumes avant de le rôtir à la poêle.

Christophe Hay a La Chambord © Guillaume Czerw
© Guillaume Czerw

Douze ans après votre rencontre et un déménagement plus tard, vous travaillez toujours ensemble. Comment cela se passe-t-il au quotidien ?

C. H. : À l’ouverture de mon restaurant, il y avait à la carte un peu de poissons de la Loire et un peu des différents océans. Petit à petit, j’ai arrêté les poissons de mer pour me recentrer sur la pêche de Sylvain. À mon arrivée à Blois, je n’ai rien changé. Je ne lui commande rien – entendez par là, je ne lui donne pas d’ordre. Comme il est assidu, qu’il ne compte pas ses heures et qu’il a une lecture du fleuve incroyable, je sais qu’il aura toujours quelque chose à me fournir. Au début, c’est stressant parce que nous pensons aux clients qui vont réclamer tel ou tel plat de poisson, mais, en réalité, en salle, nous expliquons les saisons, les migrations, le travail de Sylvain et ils comprennent. Le plus beau compliment, c’est quand des clients viennent, découvrent qu’il n’y a pas d’aspe ou de brème et demandent quelle est la date officielle de la reprise de la pêche.

S. A. : C’est ce que j’apprécie avec Christophe, c’est qu’il connaît aussi bien mon métier que le fleuve. Il sait que l’aspe, c’est de janvier à mars, que le silure, c’est de juin à novembre, que les carnassiers, c’est essentiellement entre septembre et novembre, qu’il n’y a pas de sandre en mars parce que la pêche est fermée. Après, pour un repas exceptionnel ou de groupe, s’il a une demande particulière, je vais trouver ce dont il a besoin, sauf si ce n’est pas dans la saison, car je sais où se trouve le poisson à tel moment de la journée. Bon, parfois, je rentre bredouille, ça fait partie du métier.

Qu’est-ce qui a changé au cours des dernières années sur la Loire ?

C. H. : J’ai le sentiment qu’elle n’a jamais été aussi belle qu’en ce moment. Elle a été classée en 2000  au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco et, grâce à cela, à certains endroits, ça a mis fin à des projets architecturaux qui n’auraient pas été bons pour l’environnement. L’eau est claire, il n’y a pas d’eaux usées qui s’y déversent, pas de pollution.

S. A. : La Loire, c’est mon outil de travail. Je ne vais pas répondre sur le plan environnemental, mais sur le cœur de mon métier. Je constate que la température de l’eau a augmenté et que les poissons migrateurs sont moins nombreux qu’auparavant, sauf que ce n’est pas lié à la Loire, mais à ce qui se passe dans les océans. J’observe que l’aspe et le silure sont de plus en plus nombreux, que certaines espèces ont été introduites souvent par erreur et que ça chamboule tout, mais je considère qu’il faut laisser faire. Ce n’est pas à l’homme de changer les choses. La nature n’a pas besoin de l’homme pour évoluer, elle s’adapte. C’est comme ça depuis la nuit des temps et ce n’est pas le rôle de telle administration ou de telle association de décider quelle espèce protéger. Elles cohabitent, s’apprécient ou se détestent, se côtoient ou s’entretuent. Pourquoi l’être humain se mêle‑t‑il de cela ? Dans cinq ans, une décision prise il y a dix ans pour ou contre telle espèce sera totalement obsolète.

Vous utilisez deux verbes, apprécier et détester. C’est aussi valable pour le grand public. Quelle image a-t-il des poissons d’eau douce ?

C. H. : Ce n’est pas qu’il apprécie ou qu’il déteste, c’est qu’il a des a priori tenaces. Pour une partie du public, les poissons d’eau douce sont blindés d’arêtes, ont le goût de vase et ne sont pas tous comestibles. Or – et encore plus sur la Loire –, les poissons vivent sur les galets. La Loire, comme d’autres fleuves ou rivières, n’est pas envasée. Et puis, dans poisson d’eau douce, il y a « douce », ce qui souligne bien que nous ne sommes pas sur des chairs puissantes.

S. A. : Je n’ai pas grand-chose à ajouter, c’est exactement ce que j’entends tout le temps. Il y a en réalité deux camps, ceux qui sont convaincus et ceux qui ne le sont pas. Et ceux‑là, vous ne les ferez jamais passer dans l’autre camp. C’est fou parce que, quand vous leur demandez, vous vous rendez compte qu’ils n’ont pas mangé de poisson d’eau douce depuis des décennies parfois. Ils ne font que colporter ce qu’ils ont entendu. Si je reviens sur cette histoire d’arêtes, c’est dommage de rester sur cette idée parce que, pour le silure par exemple, mal aimé, sa chair ne possède pas d’arêtes. D’autant que, dernier point, la plupart des pêcheurs et des chefs ne laissent pas les arêtes. Non, tout le travail est fait en amont.

Christophe Hay La Conversation © Guillaume Czerw
© Guillaume Czerw

Quelles sont les espèces de poisson que vous attendez chaque année avec impatience ?

C. H. : C’est compliqué, parce que je crois qu’aujourd’hui j’ai appris à toutes les apprécier. S’il faut faire un choix, je dirai que j’ai une affection particulière pour la carpe, que je trouve définitivement sensuelle. D’une part, parce que je ne voulais pas la travailler jusqu’à ce que Sylvain m’explique qu’il y en avait en abondance et, d’autre part, parce que c’est un poisson difficile à comprendre sur le plan morphologique. Je crois qu’il m’a fallu entre trois et six mois pour maîtriser ses arêtes, qui se situent sur son dos et pas sur son ventre. Aujourd’hui, je dois une partie de la notoriété de ma table à la carpe « à la Chambord ». De mémoire, j’en suis à la cinquième ou à la sixième version et, toutes confondues, elles ont participé à faire connaître ma cuisine.

S. A. : Certains silures, parce qu’ils me donnent du fil à retordre. Mais j’aime particulièrement l’alose, un poisson migrateur qui remonte la Loire au début du printemps. La durée de la pêche est courte et, sur mon aire géographique, elle n’est pas là pour frayer mais simplement de passage. Dans cette même famille de poissons migrateurs, j’aime aussi la lamproie et l’anguille. Comme pour l’alose, j’ai cru que je ne pourrais plus jamais pêcher la lamproie, car des associations s’y sont opposées, mais, finalement, un tribunal a rejeté la demande de suspension.

Sur le plan culinaire, quels sont les plats à base de poisson d’eau douce qui vous ont marqué ?

C. H. : En famille, incontestablement le sandre au beurre blanc de ma grand-mère Lucienne. Aujourd’hui, tout le long de la Loire, il y a plein d’auberges et de guinguettes qui en proposent, mais, quand j’étais plus jeune, c’était un vrai plat de fête. Lucienne pochait le sandre dans une turbotière, puis elle l’épluchait avant d’enlever les arêtes. Sur le plan professionnel, je crois que j’ai été marqué par les quenelles de brochet à la lyonnaise chez Paul Bocuse.

S. A. : Il y a une tradition familiale qui est de mettre de côté la première alose de la saison pour la cuisiner à la maison. Elle a un goût particulier lié au moment, un peu comme une fête. J’aime aussi une anguille au barbecue et la friture.

Cet article est extrait du Magazine Gault&Millau #10. Ce numéro est à retrouver sur notre eshop.

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