Un pâtissier, un artiste : une collab
Gault&Millau débute une série de portraits croisés « sucrés » pour partager les coulisses de l’association de deux créateurs. Loin d’être une commande, ces collaborations naissent d’une conversation, d’un dialogue, d’un échange en totale liberté. Première rencontre : Pierre Hermé, pâtissier, et Octave Marsal, artiste, qui ont imaginé ensemble une collection de Noël.
Au-delà de toutes les collaborations qui fleurissent aujourd’hui, Pierre Hermé compte parmi les précurseurs. Depuis toujours, il cultive l’audace, la différence, avec le plaisir pour seul guide. Il ne se contente pas d’interpréter des recettes existantes, mais en compose de nouvelles. Trois piliers définissent alors son style : la création de collections saisonnières, l’exploration de saveurs et l’introduction d’un esthétisme en rupture avec la pâtisserie traditionnelle.
Une approche originale du métier qui le conduit, dès les années 1990, à inviter l’art dans son propre univers. Son imagination se nourrit des rencontres. L’artisan et l’artiste ne font plus qu’un. Pierre Hermé n’impose rien, mais il offre à l’artiste un écrin d’expression unique.
Gault&Millau : Comment est née l’idée de votre première collaboration ?
Pierre Hermé : Cela remonte à la fin des années 1980, j’avais demandé à Philippe Starck de me dessiner une sculpture pour le Salon de la gastronomie, à Colmar, un défi réalisé en sucre et en chocolat dont le résultat s’est avéré médiocre. Loin de me décourager, je me suis intéressé à l’art et au design. Puis je me suis mis en quête d’un styliste qui pourrait concevoir un gâteau qui sorte des formes habituelles. C’est avec Yan Pennor’s, en 1993, que nous avons imaginé la « Cerise sur le Gâteau », qui fêtera ses 30 ans en 2023. J’avais déjà en tête les goûts, le chocolat au lait, les noisettes, la sensation de fraîcheur. Il a dessiné cette pâtisserie, à la fois très différente et très semblable à une part de gâteau.
Octave Marsal : Ma toute première contribution s’est faite avec le Royal College of Music de Londres, où j’ai eu la chance de réaliser une performance synchronisée avec l’orchestre baroque de cette prestigieuse école sur un concerto pour deux violons de Bach. C’est assez incroyable de pouvoir marier deux arts très distincts avec une telle précision. Dès lors, j’ai compris la richesse des collaborations.
G&M : En quoi ces rencontres sont-elles singulières ?
P. H. : Je travaille avec des artistes d’univers variés, des sculpteurs, des photographes, des designers, des dessinateurs, des architectes, des écrivains… Chaque collaboration est à part. Des conversations que nous avons ensemble, chaque créateur apporte sa vision, le caractère original, unique, de ses réalisations.
O. M. : Pouvoir marier deux mondes procure une grande rigueur et des idées qui ne seraient pas nées sans cela. Il y a un enrichissement mutuel, et cela professionnalise notre travail d’artiste. Généralement, tout part d’une discussion très ouverte, chacun livrant son ADN et son savoir-faire.
G&M : Comment vous choisissez-vous de part et d’autre ?
P. H. : Il n’y a pas de règles. Les rencontres sont parfois fortuites, parfois voulues, parfois inattendues. Cela permet de laisser libre cours à l’échange. Depuis le début des années 1990, j’ai travaillé avec une multitude d’artistes, que ce soit pour la décoration des boutiques, les livres ou la conception de services pour la table. Je me suis également inspiré de créations d’artistes disparus, comme François Pompon, toujours en accord avec leur famille. Ces rencontres sont d’une infinie richesse.
O. M. : J’aime aller sur de nouveaux terrains de jeu. Je collabore depuis un moment avec Hermès, mais aussi avec la famille de Bob Marley. Concernant Pierre Hermé, j’ai été séduit par sa collection avec Philippe Baudelocque. C’est ainsi que je suis entré en contact avec lui. Lorsque j’ai découvert qu’il dessinait ses pâtisseries, cela m’a renvoyé au travail de Christian Dior, un temps où le dessin tenait un rôle beaucoup plus important qu’aujourd’hui. Pierre Hermé pense ses créations comme un architecte. L’art demeure assez élitiste, mais son travail parle à tous. Mon dessin devait suivre cette direction.
G&M : Collaboration, liberté ou contrainte ?
P. H. : Ce n’est que de la liberté. Il faut réussir à abolir les contraintes, et cela s’acquiert par l’échange, le dialogue. Chacun apporte alors son savoir-faire pour créer quelque chose de commun. Octave avait déjà fait des dessins de Paris, mais je voulais autre chose, un Paris sublimé, onirique, où l’on devait d’un seul coup d’œil embrasser la Ville lumière.
O. M. : La contrainte est celle que l’on veut bien se mettre, généralement avant de débuter un projet. Après mes conversations avec Pierre Hermé, j’ai réalisé un premier dessin qui a été refusé, car j’avais donné une vision trop noire. J’ai donc réinterprété l’idée de Pierre Hermé de retrouver les monuments parisiens à travers un dessin lisible dans tous les sens. La liberté a été totale, je tenais ce Paris rêvé.
G&M : Ces collaborations ont-elles un impact sur vos créations respectives ?
P. H. : Les artistes m’influencent rarement sur le goût. Cela ne s’est produit qu’une fois, lorsque j’ai travaillé avec mon ami Jean-Michel Duriez. Son métier de parfumeur nous a amenés à converser sur les saveurs, et de là sont nés un livre, puis une multitude de créations, comme le « Macaron Jardin Œillet », pour lequel j’ai recomposé ma vision de la fleur. Croisée avec d’autres disciplines, la pâtisserie prend une nouvelle dimension.
O. M. : Pierre Hermé m’a apporté encore plus de rigueur. J’ai été surpris par son savoir, sa culture artistique. Nous avons réussi, chacun avec nos sources propres – pour ma part, la gravure du XVIIIe siècle, avec Piranèse, ou Dürer –, à trouver la bonne analogie entre le dessin et ses créations. Il y a énormément de similitudes entre le dessin et la haute pâtisserie. Nous reprenons chacun à notre façon le passé pour recréer le présent.
G&M : Y a-t-il des collaborations impossibles ?
P. H. : Je n’ai jamais été confronté à cela. Je suis convaincu qu’il n’y a pas de règles. Les rencontres se font la plupart du temps de manière inattendue. L’échange, le dialogue, permet de construire la suite.
O. M. : Plus la collaboration semble improbable, plus elle est intéressante ! Les plus belles rencontres sont souvent les plus surprenantes. Celle avec Pierre Hermé est de celles-ci. Elle restera gravée. C’est la seule collaboration que je ferai avec un pâtissier. Je retire une grande fierté de ce dessin en négatif et de son traité en couleurs sur les coffrets. De la même façon, la bûche « Tout-Paris » n’est pas la représentation de mon dessin, elle symbolise l’alliance entre nos deux univers. Pierre Hermé a permis à l’architecture de devenir bûche, et couper une bûche haussmannienne est à mes yeux très puissant.
L’autre actu de Pierre Hermé, sa biographie : Pierre Hermé, toutes les saveurs de la vie. L’Odyssée d’un pâtissier de génie, éditions Buchet-Chastel, 2022.
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