Sur les routes du chocolat
Si le chocolat s’est largement imposé comme un mets de consommation courante, sa fabrication – issue de l’exploitation et de la transformation de sa matière première, la fève de cacao – révèle une filière composée d’une multitude d’acteurs évoluant dans un marché international concentré et compétitif. Aujourd’hui, l’avenir de l’industrie repose sur sa capacité à faire face aux défis sociaux et environnementaux inhérents à son modèle économique historique.
Originaire du bassin amazonien, le cacao est traditionnellement cultivé et utilisé par les populations mésoaméricaines. Introduit en Europe au XVIe siècle par les colons espagnols, il reste longtemps un produit exotique de luxe réservé à une élite. C’est au XIXe siècle qu’il bénéficie des miracles de l’industrialisation. Les premières manufactures se développent en France, en Suisse ou encore en Angleterre, et un certain nombre d’innovations révolutionnent le secteur. « La découverte de la technique de conchage par Rodolphe Lindt en 1879 est fondamentale, souligne Stéphane Bonnat, maître chocolatier de la Maison Bonnat. Il rend littéralement le chocolat bon à manger. » En effet, cette étape cruciale permet d’extraire la matière grasse contenue dans les fèves et de transformer un produit sec et farineux en une pâte qui prend toute sa saveur chocolatée. Décliné sous toutes les formes imaginables – de la pâte à tartiner au cacao en poudre, en passant par les confiseries et les tablettes –, le chocolat se popularise à grande échelle pour devenir un produit courant dans les sociétés occidentales.
Pour faire face à la demande, la massification de la production devient l’apanage des grands groupes industriels. Alors que l’Amérique latine domine encore la production du marché international à la fin du XIXe siècle, les industriels européens se tournent vers les colonies africaines au XXe siècle. L’Afrique de l’Ouest finit par s’imposer comme le leader mondial de la fabrication de cacao et produit encore aujourd’hui 70% des fèves exportées – avec la Côte d’Ivoire (43%) et le Ghana (19%) comme principaux pays producteurs –, suivie de l’Amérique latine (18%) et de l’Asie (6%). Le cacao est élaboré à partir des fèves du cacaoyer, un arbre qui pousse dans les climats tropicaux de la ceinture équatoriale. Les cabosses, fruits du cacaoyer, sont récoltées une ou deux fois par an lorsqu’elles arrivent à maturité (au bout de cinq ou six mois) et contiennent en moyenne de 30 à 40 fèves.
Un monde de géants
Aujourd’hui, l’Europe constitue le plus grand importateur de produits à base de cacao, avec une consommation pouvant dépasser les 10 kg par habitant et par an, contre une moyenne mondiale estimée à 0,9 kg. En France, la consommation a s’élève à 13,2 kg par foyer par an. Le marché mondial du chocolat se caractérise quant à lui par une forte concentration de la fabrication, avec six grands industriels – Mars, Mondelez International, Nestlé, Ferrero, Hershey et Lindt&Sprüngli – qui détiennent 50% des parts du marché. « Le cacao, dans la très large majorité de ce que l’on consomme en France et en Union européenne, est un marché “commoditisé” [de l’anglais «commodity», NDLR], explique Marion Feige-Muller, responsable de projets et analyste au Bureau d’analyse sociale d’intérêt collectif (Basic). Il s’agit d’un produit échangé sur le marché boursier international où, pour les besoins de ces transactions, on a fixé des normes et des standards pour pouvoir acheter et vendre les fèves de cacao sans les voir physiquement. Tout le savoir-faire industriel consiste à réussir, avec des mix de fèves différentes, à produire un goût de chocolat constant, quelles que soient l’origine et les pratiques de production. » La transformation des fèves est également aux mains d’une poignée de groupes internationaux, comme Cargill, ADM ou Barry Callebaut. Ce dernier, leader mondial, domine aussi le marché du chocolat de couverture à destination des professionnels de la cuisine et de la pâtisserie, cette activité représentant près de 50% de ses ventes. Ces trois acteurs historiques ont notamment bénéficié de la libéralisation de la filière du cacao à la fin des années 1980 pour renforcer leur présence dans les pays producteurs en investissant dans des usines de transformation toujours plus performantes. Lors de la dernière décennie, la production de cacao a progressé de plus de 32%, pour atteindre plus de 5 millions de tonnes en 2021. La filière voit tout au format XXL. Pour autant, le cacao est aujourd’hui cultivé par près de 5,5 millions de petits producteurs dans le monde sur des parcelles ne dépassant pas une dizaine d’hectares, selon un modèle d’agriculture familiale.
Le « bean to bar » (de la fève à la tablette)
« Cela part de l’envie pour l’artisan de se réapproprier un savoir-faire en fabriquant son propre chocolat à partir des fèves de cacao », explique Aurélien Ducloux, chocolatier à La Baleine à Cabosse et fondateur de Bean to Bar France. Lancé dans les années 2000 aux États-Unis, le « bean to bar » revendique la sélection d’une matière première de haute qualité issue de culture durable selon des principes de transparence. « L'association a été créée en France il y a deux ans, indique son président. L’objectif est de disposer d’une plateforme d’échange entre professionnels, mais également de sensibiliser le grand public. »
Cet article est extrait du magazine Gault&Millau #1. Pour ne pas manquer les prochains, abonnez-vous.Ces actualités pourraient vous intéresser
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