Quand les vinaigres offrent une deuxième vie aux beaux vins
Des passionnées de vin gravitent dans le vignoble pour produire des vinaigres d’exception à partir de cuvées délicieuses. Voici comment elles procèdent et notre sélection pour l'illustrer.
Au milieu des vignes de Banyuls, la mer en contrebas, des barriques sont alignées dehors. À l’intérieur, il y a du vin. Mais à moitié seulement. Ici est recherché ce que redoutent vignerons et vigneronnes : le développement de bactéries acétiques favorisé par le contact avec l’air.
Chandra Brune est vinaigrière. Depuis 2022, cette trentenaire a repris la mythique vinaigrerie La Guinelle, créée il y a vingt-cinq ans par la passionnée de vin Nathalie Lefort, dans les Pyrénées-Orientales. “À 18 ans, je cherchais du boulot et j’ai atterri là un peu par hasard, raconte l’ancienne employée. Ça a été un énorme coup de cœur. Je suis restée bouche bée devant ce métier qui n’existe plus. Je ne suis jamais partie. ”
Quand l’industrie fait naître un vinaigre en 24 heures chrono grâce à divers additifs et au contrôle des températures, la vinaigrerie La Guinelle prend le temps d’une fermentation naturelle avec sa propre bactérie acétique. Elle est inhérente au lieu, comme les levures indigènes du vin. “On l’accompagne selon ses envies. Parfois, sur deux tonneaux remplis le même jour, l’un met six mois à devenir vinaigre, l’autre quatre. Pourquoi ? On ne sait pas”, s’émerveille Chandra Brune. S'ensuit un temps de repos en dame-jeannes pendant quelques mois supplémentaires pour arrondir le vinaigre obtenu.
“Ce n’est pas un truc qu’on oublie dans un coin et qu’on fait par-dessus la jambe. Il y a un bon moment, la bactérie n’aime pas les températures extrêmes. Et il y a un bon vin à sélectionner au départ.” Premier impératif, que ce vin ne soit pas figé par des sulfites, afin qu’il ait le luxe de continuer à évoluer. “Et surtout, il doit être très bon, un vin que vous et moi aimons boire, précise-t-elle. Je ne récupère jamais de lot avec des défauts. Le vinaigre est un puissant révélateur aromatique. Le mauvais d’un vin se retrouve exacerbé dans sa version vinaigre.” Une chance, le bon aussi.
Il suffit alors d’un verre au restaurant ou d’une rencontre vigneronne pour que pointe une question : comment pourrait évoluer ce vin délicieux ? Des cuvées de vinaigre éphémères voient le jour au fil des trouvailles de Chandra Brune. Un riesling magnifique confié par l’Alsacien Jean-Pierre Frick, le chenin de Lise et Bertrand Jousset qui abandonnera toute sa minéralité au vinaigre, ou 200 bouteilles (qui seront ouvertes à la main) d’un vin oxydatif de la région de 1977, aux notes de noix, de caramel et de café. “Imaginez un vinaigre avec ça !”, s’emballe-t-elle.
La personnalité de la matière première
Plusieurs pèlerins ont grimpé au hameau de Cosprons pour goûter au savoir-faire de La Guinelle. L’inspiration a porté ses fruits loin de Banyuls. Dans le Maine-et-Loire, Mathilde Cousin utilise le vin familial du vigneron Olivier Cousin pour fabriquer ses vinaigres. Un blanc à partir de chenin et un rouge à partir de vieilles vignes de cabernet franc, ainsi que diverses macérations au gré des cueillettes. Tous passent quatre à cinq mois au grenier. La méthode est dite d’Orléans, ravivée de pans de l’Histoire où les vinaigreries se comptaient par centaines, au fil de la production de vin.
En Belgique, personne n’avait mis le nez dans le vinaigre artisanal depuis le siècle dernier. Daphné de Crombrugghe a lancé en 2023 sa vinaigrerie Sainte-Odile. “On considère les huiles, voire les sels ou les poivres, mais pourquoi le vinaigre est-il le parent pauvre de la gastronomie ?” D’abord éprise de vinaigre balsamique en méthode ancestrale qu’elle découvre en Italie, elle rejoint plus tard La Guinelle pour se former. “Je suis tombée en pleines vendanges. Le temps passé dans les vignes, tous ces grands vignerons qui passaient, mes premières émotions dans le verre. C’était un nouveau monde qui s’ouvrait.”
Daphné de Crombrugghe rentre à Bruxelles avec l’importance de la matière première dans ses bagages, et une petite bouteille de vinaigre de La Guinelle réalisé à partir d’un vin jaune jurassien. “C’est ce que je veux faire”, présente-t-elle à la brasserie Cantillon, institution mondiale en matière de lambics (bières acides qui fermentent spontanément sans qu’on ait besoin d’ajouter des levures). Malgré une production en quantités précieuses, la brasserie bruxelloise s’enthousiasme : “Ce que tu veux.” La Brasserie Drie Fonteinen et la cidrerie du Condroz complètent la liste de ses fournisseurs. “Quand on goûte mes vinaigres, je veux que l’on retrouve la patte du producteur et la personnalité de la matière première. L’acidité ne doit pas écraser la fraîcheur du cidre ou la rondeur de la kriek.”
La vinaigrière ne profitant pas des sucres et du fruité intense des vins solaires du sud, elle s’oriente vers des cuvées aux expressions prononcées : “Je cherche par exemple des bières oxydatives, puissantes aromatiquement, ou des cidres aux épaules larges pour contrer l’acidité, comme des cidres compotés où il reste parfois un peu de sucre.” Au-delà de l’assiette, il est aussi possible d’apprécier ces vinaigres à boire. Une boisson aux airs de kombucha, le schrub, consiste à mêler quelques centilitres de vinaigre dans le fond d’un verre avec de l’eau gazeuse et de la glace. Soit l’apéritif idéal pour découvrir nos cuvées préférées dans leur deuxième vie.
Trois vinaigreries à ne pas manquer
La vinaigrerie La Guinelle, à Port-Vendres et Banyuls
Le vinaigre de muscat (d’un vin du domaine du Vieux Chêne), dans la gamme permanente, regorge d’un fruité généreux grâce aux raisins sucrés de la région. Son mielleux entoure une acidité électrique (aux notes d’acétone qui ne plairont pas à tous). À partir d’un vin du même domaine, mais plus âgé, un rivesalte de 2011, est né un vinaigre si gourmand, entre l’abricot et la noix, qu’on le siroterait volontiers à la cuillère pour lui-même.
- Vinaigre de muscat (11 euros les 25 cl)
- Vinaigre de vieux rivesaltes (18 euros les 50 cl)
- 20 rue Saint-Sébastien, 66650 Banyuls-sur-Mer
- www.levinaigre.com
Domaine de Rancy, à Latour-de-France
Brigitte et Jean-Hubert Verdaguer, vignerons dans les Pyrénées-Orientales, sont en passe de transmettre le Domaine de Rancy à leur fille Delphine. À partir de leur vin riche des sucres naturels du raisin et au profil particulier par son vieillissement au contact de l’air, ils produisent leur propre vinaigre à la couleur ambrée. Magnifiquement équilibré, il détaille le caramel, le café, les fruits secs, tout en finesse et en douceur concentrée. À utiliser comme un vinaigre balsamique.
- Vinaigre de Rivesaltes rancio (16 euros les 50cl)
- 8 place du 8 mai 1945, 66720 Latour-de-France
- www.domaine-rancy.com
La vinaigrerie Sainte-Odile, à Bruxelles
Coup de cœur pour le vinaigre de lambic, reflet parfait de l’intense salinité et de l’acidité délicieuse et profonde de la lambic. Il transmet des notes toastées, de viandes rôties et de sauce soja. C’est un vinaigre qui semble né pour les gestes de cuisine, capable de rehausser une sauce ou de déglacer une poêlée de légumes. Pour le vinaigre à boire, essayez celui de lambic aux framboises fraîches, qui embaume le fruit avec une fidélité superbe.
- Vinaigre de lambic (12 euros les 25 cl)
- Vinaigre de lambic framboise (14 euros les 25 cl)
- rue du Grand Hospice 7, 1000 Bruxelles, Belgique
- www.sainteodile.com
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