Les sœurs Nikolaou à la tâche
Dans la restauration, on travaille souvent en famille. Entre époux, entre parents et enfants, entre frères ou sœurs aussi. C’est le cas des sœurs Dina et Maria Nikolaou, à la tête de Evi Evane, une table parisienne 2 toques où l’on sert une authentique cuisine grecque qui s’est au fil du temps adjoint d’un service traiteur et de quatre épiceries-traiteurs, également à Paris.
L’entreprise familiale de 37 personnes est dirigée côté cuisine par Dina, également consultante, auteure de livres et animatrice en Grèce d’émissions de cuisine ; et côté gestion par Maria, rejointe par ses deux filles. Impossible d’imaginer de travailler autrement qu’en famille chez les Nikolaou. Jusqu’en Grèce, où une troisième sœur s’occupe du studio de production de Dina.
Gault&Millau : D’où vous vient votre amour de la cuisine ?
Dina Nikolaou : Nous venons d'une famille d'agriculteurs. Il était naturel chez nous que les femmes fassent la cuisine. Ce n'était pas qu’une obligation, c’était aussi un plaisir. Nous voyions notre mère, notre grand-mère, nos tantes cuisiner, chacune avait ses spécialités. On voyait bien que c'était quelque chose qu'elles adoraient et qu’en cuisinant on peut faire plaisir aux gens qu'on aime. Et puis, quand nous étions petites, pour éviter de travailler au champ, nous allions en cuisine pour préparer les repas.
Maria Nikolaou : Nous avions un grand jardin potager où il y avait de tout, toute l’année, les légumes que nous consommions, plein d’arbres fruitiers. Nous élevions un cochon qui pouvait peser jusqu'à 200 kilos et nous faisions toutes nos charcuteries. C'était notre quotidien.
G&M : Comment êtes-vous arrivées à Paris ?
D. N. : Nous avons d’abord fait nos études universitaires en économie et marketing à Thessalonique, puis nous sommes venues en France pour les poursuivre. Nous sommes tombées amoureuses de Paris. C’était la première fois de ma vie que j’étais dans un environnement où se trouvaient des restaurants de tous les pays, des cuisines ethniques que je pouvais goûter. C’est là que j’ai compris que j’aimerais bien en faire mon métier. Mais je me suis dit qu’il fallait quand même avoir des connaissances et je suis entrée à l’école Cordon Bleu après mon master en économie et marketing.
G&M : Maria, vous ne cuisiniez pas ?
M. N. : Maintenant si, j’essaie de tout faire, mais je suis meilleure mangeuse que cuisinière !
D. N. : Pourtant, c’est grâce à elle que tout a commencé ! Elle s’est mariée avec un Crétois dont la famille possédait des restaurants grecs à Paris depuis des décennies.
G&M : Vous êtes très proches depuis l'enfance ?
M. N. : Depuis que nous sommes nées ! Nous avons un an de différence, mais nous sommes comme des jumelles ! Nous séparer c'est compliqué. Nous sommes toutes deux des capricornes, donc des maniaques et des malades du travail. On ne fait que ça ! Bien sûr, nous adorons nos proches, mais nous avons toujours accordé beaucoup plus de temps au travail qu’à nos familles !
D. N. : Avec Maria, je suis sereine. Comme je suis aussi consultante pour pas mal de restaurants en Grèce, je peux me consacrer à mon travail en cuisine en sachant qu’elle gère les histoires d’argent. Je peux me concentrer sur les recettes, la créativité, les produits et les gens qui travaillent dans la cuisine. C'est important pour moi et c'est pour ça que ça fonctionne entre nous.
G&M : Qu’est-ce qui vous a poussé à ouvrir votre propre restaurant ?
M. N. : Je travaillais avec mon mari, donc j’étais déjà dans la restauration, mais dans d'autres contextes. Avec Dina, nous avons commencé à en parler au début des années 2000 et, petit à petit, cette idée a mûri. Nous avions décidé que Dina s’occuperait de la partie cuisine et moi, de la gestion.
D. N. : À l'époque, la cuisine grecque était une cuisine touristique pleine de clichés. Ce n'était pas de la gastronomie, juste des petits plats pour boire un retsina ou danser le sirtaki ! En voyant ça, et en vivant ça à Paris, nous étions mal à l'aise. Ça n’est pas ça la Grèce, ni sa cuisine, ni ses produits ! Et comme nous savions bien que nous resterions à Paris… Je voulais proposer de la vraie cuisine grecque et non de la cuisine touristique. J’ai pris soin de citer dans le menu l’origine de chaque plat, tout en l’adaptant au contexte français avec une présentation soignée, des choses plus travaillées, grâce à la technique acquise au Cordon Bleu. Une cuisine confortable, familiale, faite avec de bons produits. Je ne les cuisine pas trop, sauf pour les plats mijotés – on en a beaucoup en Grèce. Je veux montrer la vérité de la cuisine grecque.
G&M : Comment êtes-vous passées du restaurant à l’épicerie-traiteur ?
D. N. : Le contexte dans lequel nous avons grandi nous a beaucoup aidées pour faire la différence entre les bons et les mauvais produits. C'est comme ça que nous avons aussi décidé d’importer des produits artisanaux grecs et d’ouvrir une première boutique traiteur.
M. N. : Il faut dire que Dina partage sa vie entre la France et la Grèce, où elle fait des émissions de télé depuis une petite vingtaine d'années. Via ces émissions, elle a eu la chance de parcourir la Grèce et de dénicher ses meilleurs produits.
G&M : Maria, vous attendiez-vous à ce que vos filles rejoignent l’entreprise ?
M. N. : Non, pas du tout ! Je n'étais jamais présente dans les réunions scolaires ou autres, je n'avais jamais le temps. Je leur disais : « Ma présence est qualitative et pas quantitative ! » J'étais vraiment étonnée quand la plus jeune, une fois ses études finies et après avoir travaillé dans une autre société, est venue nous dire qu'elle voulait nous rejoindre pour la partie réception. Plus récemment, c’est ma fille aînée, après avoir fait une grande école de commerce et passé plusieurs années chez Louis Vuitton, qui a souhaité rejoindre l'aventure familiale. Dina et moi lui avons dit « Allez, viens Katerina. On t'attend ! »
D. N. : Pour nous, c'est un vrai bonheur parce que nous savons bien que dans des sociétés familiales comme la nôtre, il faut travailler beaucoup, faire mille choses à la fois.
G&M : Êtes-vous toujours d’accord l’une avec l’autre ?
M. N. : Il arrive que non, mais nous ne le prenons jamais comme un désaccord. Nous passons tout de suite à autre chose. Notre complicité est telle que si, à la fin de la discussion, il faut aller dans le sens de l’une ou de l’autre, nous tournons la page immédiatement. Nous ne sommes jamais dans le conflit.
D. N. : Il est vrai que nous avons vécu dans le passé des situations difficiles qui nous ont rendues méfiantes. Nous vivons aujourd’hui une nouvelle période, avec une nouvelle génération et, pour nous, tout va très vite. Il faut réagir d'une autre façon, s'adapter rapidement et nous ne sommes pas toujours prêtes !
G&M : En revanche, vous êtes les gardiennes des valeurs ?
D. N. : Ah oui ! Nous sommes sévères sur les valeurs que nous avons reçues, que nous avons transmises à nos enfants et que nous essayons de garder coûte que coûte. La qualité, et beaucoup d'autres choses.
G&M : N'y a-t-il qu'à l'intérieur d'une famille qu'on peut trouver une telle confiance ?
D. N. : Oui ! Avec tout ce que j'ai vécu, tout ce que nous avons vécu avec Maria, je dis oui. Je ne me sens en confiance que quand nous sommes toutes les deux sur un projet. Sinon, je suis certaine qu'il y a des choses que je vais perdre à gauche, à droite, et que je ne serai plus capable de suivre. Avec elle, je me sens en sécurité.
M. N. : Quand nous embarquons sur des projets avec des gens que nous ne connaissons pas, avec d'autres sociétés, il faut toujours regarder toutes les petites lignes, tout scruter, se renseigner. La confiance n'est pas donnée dès le départ. Alors qu’entre nous, c'est acquis !
G&M : Quels sont pour chacune les qualités et défauts de l'autre ?
M. N. : Ses principales qualités sont son imagination, beaucoup de bon sens et sa gentillesse. Parfois, ça m'échappe à quel point elle est gentille ! Alors, cette qualité devient aussi un défaut pour moi.
D. N. : Quand elle a un projet, une idée à suivre, Maria va jusqu'au bout !
M. N. : Mais toi aussi !
D. N. : Oui, mais pas comme toi. Si je vois vraiment que ça n’a pas de sens, j'abandonne. Alors que Maria va chercher une façon de faire, trouver quelqu'un qui connaît quelqu'un…
M. N. : C'est vrai que j'insiste, pas pour simplement en finir, mais pour réussir !
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