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Les Llorca, une fratrie au piano

Les Llorca, une fratrie au piano

Sylvie Berkowicz | 16/08/2023

Dans la restauration on travaille souvent en famille. Entre époux, entre parents et enfants, entre frères et/ou sœurs aussi parfois. C’est le cas des frères Alain et Jean-Michel Llorca, l’un chef, l’autre chef pâtissier, qui ne se sont que très rarement quittés. Bien que dans l’ombre de son aîné, le pâtissier était aux côtés du cuisinier dans les grandes étapes de son prestigieux parcours : à l’hôtel Negresco, au Moulin de Mougins et, bien sûr, dans son établissement de La Colle-sur-Loup, à deux pas de Saint-Paul-de-Vence, où, depuis 2009, le chef aux 3 toques poursuit son travail d’interprétation de la cuisine provençale.

Gault&Millau : Est-ce votre frère Alain qui vous a donné l’envie de faire de la cuisine ?   

Jean-Michel Llorca : Oui, j’aimais voir comment il travaillait, la tenue, la mallette… Il faisait souvent à manger quand il rentrait à la maison, de la pâtisserie aussi, et je découvrais des choses différentes. Je pensais, comme ça avait été le cas pour lui, que la cuisine serait une révélation pour moi aussi, mais ce qui me plaisait vraiment, c’était la pâtisserie. Nous habitions à côté d’une boulangerie et il y avait cette odeur quand nous allions à l’école… 

G&M : Y avait-il chez vous une culture culinaire ? 

Alain Llorca : Le couscous ! Notre mère faisait très bien à manger, nos grands-parents aussi. Quelques plats d’origine espagnole, des choses simples mais bien faites. Et puis, on ne refusait pas ce qu’il y avait dans l’assiette. C’était interdit ! 

J.-M. L. : Parce que sinon, on n’avait rien d’autre ! Les desserts de notre mère étaient des petites choses simples, des croquets aux amandes, des petits biscuits montecaos, des puddings avec du pain rassis… J’adorais ses îles flottantes ! Elle nous faisait aussi des glaces à la banane avec du lait Gloria, au Benco ou au Banania.   

A. L. : Nous ne savions pas qu’il existait des restaurants gastronomiques. On allait parfois manger une pizza.   

G&M : Alain, comment s’est passée votre rencontre avec la gastronomie ?  

A. L. : Après le lycée hôtelier, je suis allé travailler dans un restaurant de Saint-Laurent-du-Var où tout était congelé et passé à la friteuse. Je me suis dit que je n’allais pas faire ça toute ma vie. Juste le temps de pouvoir m’acheter une voiture. Le patron, qui a vu que j’étais compétent, m’a offert un guide de grands restaurants, en me disant « Tu cherches et tu téléphones ». Le seul chef qui a accepté de me voir, c’est Christian Metral de l’Auberge du Jarrier, à Biot. Il m’a dit « Si un jour quelqu’un s’en va, je vous appelle ». J’ai dû l’emmerder tous les jours et il m’a appelé. Voilà comment j’ai commencé. 

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G&M : Jean-Michel, pour un pâtissier, deux voies sont possibles, la boutique ou le restaurant. Pourquoi avoir choisi ce dernier ? 

J.-M. L. : À partir du moment où Alain a travaillé et que j’ai pu manger dans certains restaurants, ça m’a tout de suite plu. Le service, la créativité… C’est peut-être moins vrai aujourd’hui, mais, à l’époque, c’était plus facile de se faire une renommée dans la restauration ou l’hôtellerie que dans une pâtisserie-boutique. Il y a dans le dessert à l’assiette une originalité particulière. Et puis, dans un hôtel, le panel est immense, du petit déjeuner jusqu’au soir tard, vous faites tout, boulangerie, pâtisserie, chocolat... 

G&M : Aviez-vous, plus jeunes, comploté de travailler un jour ensemble ?  

J.-M. L. : Non. Ça s’est fait naturellement. Il n’y avait pas de pacte ! Je travaillais à La Réserve de Beaulieu quand il m’a demandé de le rejoindre au Negresco. 

A. L. : Quand tu prends la barre d’un bateau comme le Negresco, avec 30 personnes en cuisine, c’est chaud ! Le premier jour, au premier service du midi, j’ai pris un bouillon. Tous les gars étaient là à me regarder, et je me suis dit « Ce soir, tu dois reprendre la main ! » Alors, déjà, tu mets ton frère dans un coin et tu lui dis : « Maintenant, tu gères. Tu me montres, on valide, on fait ça ensemble. » C’était un challenge, on l’a relevé et on était fiers.  

J.-M. L. : Il avait besoin de ça pour avancer, et moi, besoin de m’investir à fond pour un chef. Et tant qu’à le faire, autant que ce soit pour son frère ! En revanche, si je n’aimais pas sa cuisine, peut-être que je n’aurais pas accepté. Et inversement, s’il avait estimé que je n’avais pas le niveau. Pour avoir travaillé avec d’autres chefs, je trouve que c’est agréable, quand on est pâtissier, de suivre une ligne de conduite. Le chef, c’est l’image de la maison et je ne cherche pas à empiéter sur ce qu’il fait ou sur sa renommée. Quelque part, je lui enlève un poids, parce que vous ne pouvez pas développer la même confiance avec un chef qui change tous les deux ans.  

G&M : Quelle est votre façon de travailler ensemble ? 

A. L. : Quand je veux changer de carte, je lui dis « Prépare-toi. » Et je le laisse faire.  

J.-M. L. : L’important, c’est que mes desserts soient en symbiose avec sa cuisine. Même si la touche provençale, c’est un peu plus difficile. Je ne vais pas me contenter de faire des figues rôties à l’huile d’olive ! 

A. L. : Tu fais quand même une tourte aux blettes qui est une bombe ! 

J.-M. L. : Une fois, il m’avait conseillé de faire une glace à l’olive confite. Ça ne m’enchantait pas trop, mais je l’ai faite et cette glace est devenue un marqueur de notre cuisine. J’ai été l’un des premiers à faire une coque en chocolat qui fond. La première fois, c’était au Negresco, mais Madame Augier [propriétaire de l’hôtel de 1957 à sa mort, en 2019, NDLR] avait interdit ce dessert parce qu’elle avait peur qu’il salisse la moquette ! Je l’ai refait le jour de l’ouverture du Moulin de Mougins et c’est quelque chose qu’on voit maintenant beaucoup sur les réseaux sociaux. 

A. L. : Ce qui est compliqué, c’est de transmettre votre ressenti à ceux qui travaillent avec vous. Faire apprécier la finesse d’un plat, c’est difficile si le gars n’a pas la même culture que vous. Vous montrez, et vous montrez encore... Avec Jean-Michel, on a une base commune, avec lui je ne me prends pas la tête en disant « Je veux ça comme ça ! » Il sait ce que je veux. Et ici, c’est aussi un peu sa maison, il est libre de faire ce qu’il veut. Un dessert aux poivrons ? Un feuilleté à l’ail noir confit et au chocolat ? Au contraire, ça me plaît de sortir des desserts traditionnels. 

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G&M : Jean-Michel, vous sentez-vous au service de son ambition ? 

J.-M. L. : Tout à fait. Je sais que c’est quelqu’un d’ambitieux. Je ne suis pas en train de dire que je ne le suis pas, mais je ne suis pas jaloux de sa réussite. 

G&M : Mais elle est un peu la vôtre aussi ? 

J.-M. L. : Oui. Totalement, même si on a toujours tendance à parler plus de lui que de moi… Mais ce rôle me convient très bien. À partir du moment où je suis dans ma cuisine, je respecte le chef. Ce n’est plus la famille qui entre en jeu. 

 

Alain Llorca

350, route de Saint-Paul, 06480 La Colle-sur-Loup 

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