Le Meurice, là où l’art a élu domicile depuis deux siècles
Chaque mois, le Gault&Millau vous plonge dans l’histoire d’un grand palace parisien. En juin, partez à la découverte du premier hôtel parisien qualifié de "palace" : le Meurice.
C’est comme s’il avait toujours été là. Comme s’il faisait partie des murs parisiens. Sous les arcades de la rue Rivoli, au numéro 228, face au jardin des Tuileries, le Meurice se fond dans le paysage. Le palace, fondé en 1835 par Charles-Augustin Meurice, respecte encore aujourd’hui la volonté de son créateur : il est intimiste, discret et moderne.
« Dès son ouverture, il a très vite attiré les royautés parce que l’entrée se faisait rue du Mont Thabor, la parallèle à la rue Rivoli. C’était parfait pour ceux qui souhaitaient rester discrets ! » Cynthia Sunnen connaît très bien cette maison. Community manager du palace depuis quatre ans, elle a passé plusieurs années en poste chez le petit frère du Meurice : le Plaza Athénée. Tous deux appartiennent au même groupe : Dorchester Collection.
L’ambition d’un palace dès le XIXᵉ siècle
Retour à la genèse du projet. 1771, Charles-Augustin Meurice est propriétaire d’une petite auberge à Calais, dans le nord de la France. Très vite, il se rend compte que sa clientèle, majoritairement britannique, passe par Calais pour se rendre à Paris. Il veut son propre établissement dans la capitale française.
En 1818, Le Meurice, son premier hôtel parisien, ouvre rue Saint-Honoré. Mais Meurice voit plus grand et déménage en 1835. « L’hôtel, initialement petit, s’est agrandi au fil des années », précise Cynthia Sunnen. « Monsieur Meurice est un précurseur. Les équipes de l’hôtel parlaient tous anglais, il y avait des salles de bains privées dans les chambres, des ascenseurs et même des téléphones. Ça plaisait beaucoup à l’aristocratie ! »
L’hôtel des arts
Vers le XXᵉ siècle, le palace devient le repère de nombreux artistes. Le 12 juillet 1918, « Pablo Picasso célèbre son mariage avec sa première épouse, la danseuse ukrainienne Olga Khokhlova dans le salon Pompadour, au Meurice. Parmi les invités, Jean Cocteau était le témoin de l’artiste. »
Autre peintre surréaliste, Salvador Dali a longtemps séjourné rue de Rivoli. « Pendant trente ans, il venait une fois par mois dans cet hôtel. La suite a logiquement été renommée "suite Dali". » Lui qui se disait royaliste appréciait tout particulièrement l’idée que « le roi d’Espagne Alphonse XIII avait séjourné au Meurice durant la guerre civile en Espagne ». Dans sa fuite, « il s’était justement installé dans la chambre tant appréciée par Dali ». Le peintre aimait, dit-on, « se sentir comme le roi d’Espagne ».
Pendant ces différents séjours, les demandes loufoques sont multiples. « Dali avait un ocelot comme animal de compagnie. Il lui échappait parfois et les équipes devaient le rattraper. Il se dit aussi qu’il payait certains de nos employés avec des croquis. Et il aurait demandé aux équipes d’attraper des mouches dans le jardin. »
Le compositeur Piotr Ilitch Tchaïkovski a aussi multiplié ses venues à l’hôtel. « Nous avons récupéré cet héritage artistique et nous en avons fait notre positionnement en tant qu’hôtel des artistes. C’est aussi lié à notre emplacement : au cœur du Paris historique, avec le Louvre à côté… Nous avons vraiment les arts et la culture à nos pieds ! »
Le palace a été rénové de 1905 à 1907. « Entre autres parce qu’il y a eu l’ouverture du Ritz en 1898. Il fallait que le Meurice se mette au goût du jour. L’idée était d’avoir un Versailles des temps modernes », raconte Cynthia Sunnen. À cette période est apparue la mascotte du lévrier. « La légende raconte qu’un lévrier errait dans le chantier. Les ouvriers l’auraient pris comme symbole. »
Mêler ancien et modernité
Aujourd’hui, le salon Pompadour est resté fidèle à son apparence en 1907. Au mur : l'œuvre de la marquise de Pompadour, un grand tableau de la mécène des artistes. En enfilade, deux autres salons accueillent mariages et événements dans des ambiances différentes. Au fond de l’hôtel, le salon Jeu de Paume occupe l'emplacement de l'ancienne entrée discrète, utilisée jusqu’aux années 2000.
Dans le bar, la fresque originale d’Alexandre-Claude-Louis Lavalley, célèbre au XXᵉ siècle, a aussi été préservée. Récemment, l’environnement artistique a inspiré Philippe Starck qui a apporté sa touche à la galerie et au restaurant Le Dali, en 2007 puis en 2016. Mais le lieu garde ses couleurs pastel, sa réception discrète, son entrée sous les arcades et son atmosphère intimiste.
Certains des salariés fidèles à la maison y travaillent depuis 30 ans. « Il n’est pas rare qu’on ait des enfants ou des petits-enfants d’anciens clients qui retrouvent les mêmes salariés. »
Pour cultiver cette mémoire, une archiviste travaille depuis quelques années auprès du Meurice. L’idée : vérifier les histoires transmises de bouche-à-oreille au sujet du palace. Et, « nous cherchons d’autres anecdotes autour de l’art que celles sur Dali et Picasso. »
©DR
Palace avant l’heure
À cette époque, le terme "palace" n’est pas encore utilisé. Le label est créé en 2010 et des critères doivent être respectés afin de pouvoir l’utiliser. « Il y a un cahier des charges précis sur les services proposés par l’hôtel et la direction doit chaque année passer un oral et soumettre un dossier. » Premier hôtel parisien à obtenir cette distinction en 2010, le Meurice est parvenu à le conserver chaque année.