Christophe Hay, cuisinier & Alain Gaillard, jardinier, au potager de Fleur de Loire
Au-delà de l’image devenue classique du chef accroupi dans son potager, certains effectuent un vrai travail de production maraîchère qui implique une relation étroite avec son jardiner. Une complicité qui dépasse le rôle de simple fournisseur de la cuisine. Si bien qu’on ne sait plus très bien lequel est au service de l’autre. Gault&Millau poursuit sa série de portraits croisés. Deuxième épisode en bord de Loire, avec le cuisinier Christophe Hay et le jardinier Alain Gaillard.
Fleur de Loire, pour Christophe Hay, c’est le projet d’une vie. Un restaurant gastronomique, un bistro, un spa et un hôtel 5 étoiles de 44 chambres aménagés dans un bâtiment historique de Blois, en bordure de la Loire. Sans oublier un potager situé non loin de là, sur un terrain maraîcher mis à sa disposition par la ville. Pour le chef, cultiver sa propre terre est une démarche évidente qui vient de loin, de son enfance. Un projet qu’il avait déjà mis en œuvre à Montlivault, pour son restaurant La Maison d’à Côté (à une dizaine de kilomètres de Fleur de Loire), et déjà avec le jardinier Alain Gaillard. Changement d’échelle, changement de terrain et – encore plus important – changement de terre, car tout commence bien sûr avec le sol. Un nouveau terrain de jeux pour les deux complices qui n’en sont qu’aux prémices de ce travail, avec les premières cultures tout juste sorties de terre. Interview croisée.
Gault&Millau : Avoir son propre potager, est-ce aujourd’hui indispensable pour un chef ?
Christophe Hay : Ça fait partie de mon l’histoire, puisque je suis issu d’une famille d’éleveurs-agriculteurs. Ma grand-mère avait son potager enrichi avec le fumier des vaches, elle y cultivait des légumes qui étaient juste dingues ! Si j’ai démarré à Montlivault avec une petite parcelle à cultiver, c’était aussi pour retrouver un peu de ce jardin de la ferme. D’un petit jardin bricolé, on passe maintenant à 1,5 hectare, dont 2000 m2 de serre, une vraie production, avec une autosuffisance totale toute l’année. Ce jardin représente 200 000 euros d’investissement. C’est quand même beaucoup d’argent. Mais je ne veux même pas savoir s’il est rentable, il n’est pas là pour gagner ou perdre de l’argent, il est là se faire plaisir, pour ce qu’il apporte à mes équipes.
G&M : Comment s’est faite votre rencontre ?
Alain Gaillard : J’ai un parcours assez classique en agriculture, un bac+2 en production végétale, donc plutôt tourné vers la grande agriculture. On nous apprenait que, pour faire pousser du blé, il fallait mettre tant d’engrais azotés, traiter avec ceci et cela. Mais je ne me sentais pas concerné par ce type de culture. Puis j’ai carrément changé d’orientation, j’ai travaillé en industrie, dans la logistique, et dans le tertiaire en tant qu’animateur qualité-sécurité-environnement. Et, enfin, je suis revenu aux sources par le biais de la culture du safran, avec un vrai rapport au produit. C’est une plante relativement rustique, mais qui nécessite une sensibilité particulière et surtout une très grande attention au sol. On parle aujourd’hui de sols vivants… mais un sol, il doit forcément être vivant ! Sinon il ne faut pas planter, il faut faire de l’aquaculture ! C’est par le safran que j’ai rencontré Christophe, je le cultivais à Huisson, à 5 minutes de son restaurant. Nous avons échangé et j’ai commencé à m’occuper du jardin de Montlivault. L’activité prenant de plus en d’ampleur, je suis finalement passé à temps complet.
G&M : Cultiver votre propre potager, cela vous permet-il d’avoir de meilleurs légumes ?
C. H. : Le Val de Loire, c’est le jardin de la France, ce qu’on appelle « les jardins nourriciers », distribuant des légumes sur tout le pays. Ils sont cultivés sur des terres qui, grâce aux débordements de la Loire, sont fertiles, riches en alluvions. Mais il y a de moins en moins de maraîchage dans notre région, tout simplement parce que les cultivateurs n’arrivent plus à en vivre. Quand vous êtes chef, vous ne manquez jamais de légumes, car où que vous soyez en France, vous arrivez à tout trouver si vous bossez avec Rungis. Mais si votre philosophie est justement de limiter l’impact environnemental et d’avoir des produits d’exception, ça passe par l’utilisation de ses propres cultures. Aujourd’hui, nous stockons très peu de légumes, nous les remontons quotidiennement du potager et ils ne s’abîment donc pas en chambre froide, perdant toute leur richesse et toutes leurs vitamines. L’idée est aussi d’en faire un jardin d’expérimentation et d’essayer de faire pousser des choses sympas. J’ai des graines qui viennent de chez Virgilio Martinez, à Lima, au Pérou. J’en ai d’un peu partout que je rapporte de mes voyages. Nous avons même de la baie de goji, que vous ne trouverez nulle part et qui fonctionne très bien en France. N’oublions pas que Christophe Colomb a quand même rapporté beaucoup de choses de ses voyages sur le territoire français.
G&M : Est-ce que ça redéfinit la notion de produits de saison et de terroir ?
C. H. : Ce ne sont plus les saisons qui définissent les changements de carte, mais les produits. Il y a des chefs qui, par exemple, mettent des cèpes à la carte pendant trois mois. Cette année, nous n’avons eu que trois semaines de cèpes et, pourtant, nous sommes sur des terres à cèpes. Donc comment font-ils ? Eh bien, ils prennent des cèpes des pays de l’Est. Ça, je me l’interdis. Quand c’est fini, je passe à autre chose. Pour moi, le pire mot qui existe aujourd’hui, c’est « locavore ». Ce mot-là, il est horrible ! Locavore, ça ne veut plus rien dire. Tout le monde se l’est approprié, mais en fait, qui peut se définir locavore ? Moi, je suis « terroirriste » ! Je respecte mon terroir, je respecte l’environnement. Donc il y a la terre, l’air, et puis toutes les personnes qui tournent autour.
G&M : De quelle façon travaillez-vous ?
C. H. : Nous n’avons pas encore mis en place un vrai planning de cultures. Nous étions concentrés sur ce qui pouvait être produit tout de suite, en ce moment. Nous savons qu’avec les deux pôles de restauration de Fleur de Loire et le troisième sur Orléans (La Table d’à Côté), nous devons assurer un certain volume. Mais il va falloir que nous commencions à planifier parce que nous avons quand même beaucoup d’espace et qu’Alain a besoin que nous définissions les besoins. Et puis il reste encore beaucoup à faire, tout le réseau d’arrosage exige encore quelques semaines de travail. Après, ce sera plus facile.
A. G. : Nous avons commencé à exploiter la serre dès le mois de février et, sur certaines planches, nous avons déjà récolté tous les radis et ressemé. Nous pouvons avoir 3, peut-être même 4 rotations par an. Après, il y a des cultures comme le panais qui vont être mises sur une planche pendant une année complète. Nous allons le planter maintenant et le récolter cet hiver. Nous allons aussi faire tous les ans quelques cultures expérimentales avec de nouveaux légumes. Nous testons aussi les cultures étagées, c’est-à-dire un système Milpa avec une culture basse, intermédiaire et haute sur une même planche. Il s’agit par exemple de planter du maïs, des haricots qui montent dans le maïs et, pour les étages du bas, des courges. Nous expérimentons également plusieurs techniques d’engrais verts qui améliorent la structure du sol et apportent des éléments minéraux. À l’exemple de la tétragone, dont on se sert aussi en cuisine ; je vais voir ce que ça peut donner en tant qu’engrais au sol. C’est donc gagnant-gagnant. Le maraîchage, ça ne se limite pas à jeter une graine dans la terre et attendre qu’elle pousse. Ça peut être très technique.
G&M : Y a-t-il des choses que n’arriverez pas à faire pousser sur cette terre ?
A. G. : Oui, forcément. C’est vrai que nous avons beaucoup de semences qui viennent du monde entier. Mais il faut savoir que, dans le sol, vous avez des bactéries et des champignons avec lesquels les plantes sont en symbiose. Sur le continent européen, nous avons un certain type de champignons, donc même si les conditions météo sont remplies, même s’il y a le bon soleil et la bonne température, ce n’est pas gagné pour certaines variétés venues d’ailleurs.
G&M : Même si ce jardin n’est pas juste à côté du restaurant, pourra-t-on le visiter ?
C. H. : Oui ! L’idée est qu’il soit complètement pédagogique. Aussi bien pour les convives qui vont venir passer un moment à Fleur de Loire que pour les locaux, la porte est ouverte ! Nous avons tout fait pour qu’il soit agréable, avec des jolies allées pour pouvoir marcher sans mettre les pieds dans la terre. Mon rêve aurait été un jardin partagé avec les gens du quartier. Mais nous n’avons pas pu le faire avec la ville parce que la parcelle que nous avions identifiée était déjà prise pour autre chose. Tout le monde a envie aujourd’hui de faire ses propres tomates, ses propres courgettes, de s’amuser un petit peu, et plus on partage cette passion, plus ça donne envie aussi de faire attention à ce qu’on mange à la maison.
G&M : Il n’y a pas plus valorisant pour un jardinier que de travailler pour un chef, n’est-ce pas ?
A. G. : C’est une évidence ! Travailler pour les gens qui mettent en valeur les légumes de cette façon-là, c’est sans comparaison. C’est quand même super agréable de voir, par exemple, ce que les cuisiniers vont faire avec une livèche. Moi, je n’aurais jamais eu l’idée de faire une glace à la livèche et de l’associer avec des fruits rouges ! Donc, c’est super intéressant et très, très valorisant.
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