Un pâtissier, un artiste : une collab
Gault&Millau débute une série de portraits croisés « sucrés » pour partager les coulisses de l’association de deux créateurs. Loin d’être une commande, ces collaborations naissent d’une conversation, d’un dialogue en totale liberté. Voici un échange très gourmand entre Fabien Rouillard, chef pâtissier à Paris, et Gérard Audinet, directeur des Maisons de Victor Hugo, à Paris et Guernesey.
Il était une fois Fabien Rouillard et Victor Hugo. Par le truchement de Gérard Audinet, directeur des Maisons de Victor Hugo, le chef pâtissier, heureux détenteur de l’emblématique Maison Mulot, à Paris, s’imprègne de l’univers de ce fabuleux écrivain, mais aussi dessinateur et décorateur d’avant-garde. Il est immédiatement séduit par la créativité, les convictions fortes et l’incroyable imaginaire d’un homme parti se réfugier à Guernesey. De ses conversations avec Gérard Audinet naît l’idée d’une collaboration sucrée audacieuse au Café Mulot, installé au rez-de-chaussée de la maison parisienne de l’écrivain.
Pour ce nouvel épisode, Gault&Millau poursuit ses échanges gourmands en réunissant ici deux siècles, deux mondes et deux artistes autour d’un gâteau éphémère en forme d’hommage à Léopoldine, la fille de Victor Hugo.
Gault&Millau : Est-ce votre première collaboration avec un autre univers ?
Fabien Rouillard : Ma première date de la fin des années 1990 avec l’artiste peintre Mark Alsterlind, alors que j’étais chef pâtissier chez Lucas Carton. Nous nous sommes retrouvés autour de la matière chocolat et de sa texture évoquant la gouache. De ce constat, nous avons eu l’idée de créer des tableaux en chocolat et le concept du « Eat the Paint ». Cette collaboration passionnante m’a préparé aux suivantes.
Gérard Audinet : Nous en faisons souvent. Cela permet des excursions dans un autre univers. L’une de celles-ci, marquante, s’est faite l’année dernière avec la comédienne Christine Guênon, venue déclamer les milliers de vers de La Fin de Satan. Une expérience originale où le musée s’est transformé en scène de théâtre, pour une immersion totale dans le monde de Victor Hugo. L’association avec Fabien est une première avec le milieu de la pâtisserie.
G&M : Comment s’est initiée votre rencontre ?
F. R. : J’ai participé à un appel d’offres organisé par Paris Musées pour réinvestir le rez-de-chaussée de la Maison de Victor Hugo, place des Vosges. Lors d’une audition avec Gérard, ma passion et mon souhait de faire perdurer le travail de Gérard Mulot tout en y apportant ma marque de fabrique ont été le point de départ de cette collaboration unique.
G. A. : Ma rencontre avec Fabien a d’abord été professionnelle puisqu’il postulait pour reprendre le café, un espace que nous avons restauré, non loin de la fontaine aux Serpents. Quand je l’ai vu pour la première fois, cela m’a ramené des années en arrière, lorsque je travaillais rue de Tournon et que j’allais acheter des macarons chez Mulot. La façon dont Fabien m’a parlé de son métier, de la maison, sa discrétion et sa passion sincère, la qualité de son langage et son amour pour la dimension artistique m’ont touché.
G&M : Comment avez-vous travaillé pour imaginer cette collaboration ?
F. R. : J’ai organisé une conversation libre entre mon ami Bénédict Beaugé, écrivain gastronomique, Gérard Audinet et moi-même. Nous nous sommes réunis pour partager sans limites autour de l’œuvre de Victor Hugo. En reprenant ce lieu, je ne voulais pas me contenter d’installer un café. Je suis très attaché à l’histoire d’une maison, et je cherche toujours à la pérenniser en y apportant une valeur ajoutée. Les cahiers de dessins de Victor Hugo ont permis dans un premier temps de créer le quadriptyque du café, signé Alexandre et Florentine Lamarche-Ovize, puis mon dessert éphémère, hommage à Léopoldine.
G. A. : Nous avons peu de documents sur Victor Hugo à table, et ils sont parfois contradictoires. Lorsque nous avons évoqué l’idée de faire une pâtisserie, j’ai pensé à Léopoldine, dont le souvenir est extrêmement présent dans la maison. Fabien a été séduit et s’est notamment inspiré des tonalités du portrait de Léopoldine accroché dans le salon rouge. Elle porte une robe rouge à pois noirs et est assise sur un fauteuil de tapisserie blanche, une fleur dans les cheveux. On retrouve dans le dessert l’harmonie des couleurs du tableau et toute la délicatesse de la fille de l’écrivain.
G&M : En quoi ces collaborations sont-elles singulières ?
F. R. : Exercer dans la Maison de Victor Hugo et redonner vie à ce lieu tout en rendant hommage à l’artiste ne peut être qu’unique. Cela a demandé un travail de recherche poussé et des échanges réguliers avec Gérard pour me glisser dans le monde de l’écrivain.
G. A. : J’ai retrouvé l’attention au détail dont Fabien m’avait parlé lors de notre première rencontre. Il porte un soin particulier aux matériaux. Il n’y a pas de plastique, tout est écoresponsable. Le fait d’implanter le café au sein même de l’établissement a redonné une deuxième vie à cette maison. L’appartement fait 280 m2, nous sommes un petit musée. Avant, les gens passaient. Aujourd’hui, ils s’installent au café !
G&M : Collaboration, liberté ou contrainte ?
F. R. : Liberté. C’est une ouverture, un échange. Nous nous retrouvons toujours autour d’un élément qui sert de point de départ à l’imaginaire. Ici, les dessins de Victor Hugo et le portrait de Léopoldine ont été ma source d’inspiration pour la création de ce dessert. Je l’ai pensé comme un hommage. Je le voulais élégant et délicat, mais aussi relevé et éphémère, pour faire écho à la vie de la jeune femme. J’ai donc choisi la fraise des bois, dont la saison est très courte, et les fraises, la vanille, les pétales de rose et un confit de citron cru et cuit pour donner du peps au raffinement des fruits rouges.
G. A. : Il y a nécessairement des contraintes. En tant que musée, nous avons des impératifs d’image et de sécurité. Mais il faut chercher à garder le maximum de liberté l’un et l’autre et, dans ce projet, nous avons œuvré intelligemment. Nous avons beaucoup échangé avec Fabien sur la vie de Victor Hugo. Il a ainsi pu imaginer le café et sa carte comme il le souhaitait, en respectant les codes du lieu.
G&M : Comment avez-vous travaillé ensemble ?
F. R. : Je suis parti des écrits et des dessins existants, puis j’ai laissé faire ma créativité. Lorsque nous avons goûté le gâteau, c’était celui de Léopoldine. Tout s’est fait naturellement et de façon très fluide.
G. A. : Nous échangeons souvent sur différentes idées et divers projets que nous pourrions mettre en place, comme cela s’est fait pour le gâteau. Au printemps, nous allons d’ailleurs peut-être relancer Les Causeries à l’heure du thé, un jeudi par mois, où je raconte une histoire sur le musée en dégustant une pâtisserie.
G&M : Y a-t-il des collaborations impossibles ?
F. R. : Certainement. Lorsque l’on ne partage pas les valeurs de l’autre, par exemple. Mais, en général, nous nous trouvons toujours sur un terrain d’ouverture. En cela, ces rapprochements sont extrêmement enrichissants.
G. A. : S’il s’agit de garder notre neutralité en tant que musée, oui. Mais nous arrivons à aller très loin. Nous avons notamment accueilli un spectacle déambulatoire. Les élèves du Cours Florent avaient conçu une adaptation du Roi s’amuse très décalée. Ils étaient très peu vêtus, pour coller à la fougue érotique de la pièce, et ça a formidablement bien marché !
Café Mulot - Maison de Victor Hugo
6, place des Vosges, 75004 Paris
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