Que se passe-t-il dans notre cerveau quand on déguste un vin ?
Justine Knapp | 25/11/2024 08:01
Le goût du vin est perçu par notre nez et notre bouche, mais c’est grâce à notre cerveau qu’il est possible de se le représenter. Dans ce mécanisme complexe, le système sensoriel s’avère facilement influençable.
Couleur dorée, odeurs de noisette et de mirabelle mûre, arômes briochés, saveurs umami et acide, texture tendre et enveloppante, température moyenne. Voici ce que peut contenir une simple gorgée de vin. Ces informations venant de nos sens parviennent toutes en même temps au cerveau. Il les reçoit, les sélectionne, les hiérarchise puis en fait la synthèse pour construire une image mentale du vin. Le cerveau travaille à reconstruire le goût.
Pour ça, il cherche du côté de la mémoire. Il sonde l’extérieur avec ce qui est stocké à l’intérieur. Les émotions, aussi, entrent en jeu. Est-ce que j’aime ce vin ce qui va m’encourager à continuer à le boire ? Il n’y a pas un lieu unique dans le cerveau chargé de la perception du vin. Celui-ci s’adapte sans cesse en fonction du contexte et de nos expériences.
L’information visuelle peut nous dépasser
Pour l’espèce humaine, le sens de la vue est primordial. Le cerveau se base avant tout sur la vision, quitte à inhiber les centres olfactifs et gustatifs, comme le démontre une célèbre expérience réalisée par Gil Morrot, Frédéric Brochet et Denis Dubourdieu en 2001. Un vin blanc et un vin rouge ont été soumis à la dégustation de 54 étudiants en œnologie. Le rouge était en réalité le même vin blanc additionné de colorant. Pour le décrire, les élèves ont employé des descripteurs olfactifs habituellement réservés au vin rouge.
L’expérience illustre le biais de confirmation. Le cerveau a tendance à vouloir confirmer ce qu’il sait et anticipe. Dans une dégustation classique (examen visuel, olfactif puis gustatif), nous cherchons à valider par l'odorat ce que nous avons vu, puis à confirmer en bouche ce que nous avons senti. S’attendre à déguster un vin rouge, c’est déjà le percevoir comme un vin rouge. Utiliser un contenant opaque peut ainsi laisser émerger une autre vision du vin.
Nous ne sentons pas tous pareil
L'olfaction est notre sens le plus abouti. Notre système olfactif se sert de plus de 400 récepteurs, contre 3 récepteurs pour la vision.
Une odeur peut emprunter deux chemins. En sentant au-dessus du verre, les odeurs sont amenées à travers le nez par la voie orthonasale vers la muqueuse olfactive au sommet de la cavité nasale. Quand le vin est en bouche, il se réchauffe et se mélange à la salive, des composés odorants subtils (on parle alors d’arômes et non plus d’odeurs) se mêlent aux saveurs (salé, acide, sucré, amer, umami) et remontent à l’expiration par l’arrière de la bouche vers la muqueuse olfactive.
Pour l'identifier, notre cerveau la compare grâce à la bibliothèque olfactive de la mémoire. D’autres zones cérébrales s’activent. Le cerveau traite émotionnellement l’odeur, il la lie à des mots ou souvenirs, il sonde notre état interne (notre appétit par exemple)…
Seulement, malgré ses grandes capacités, l’odorat est le sens qui présente le plus de variations génétiques. Deux individus ont minimum 30% de leurs récepteurs qui peuvent être différent du point de vue fonctionnel. Par exemple, un tiers à la moitié de la population ne peut sentir la molécule bêta ionone qui entre dans la composition de la violette. Ce “daltonisme olfactif” complique l’échange sur ce que nous sentons.
D’autant que l’expérience entre en compte dans ces variabilités. Pour un même cocktail odorant, le référentiel linguistique sera différent d’une personne à l’autre, selon son vécu ou sa culture. Si nous sentons le poivron vert dans certains vins, des dégustateurs chinois à qui ce légume est peu familier parleront plus volontiers de racine de ginseng, les deux ayant des composants chimiques communs.
Déguster consiste à mobiliser sa mémoire
Au CHRU de Besançon en 2014, des chercheurs ont analysé la façon dont les sensations gustatives liées au vin sont traitées par le cerveau de sommeliers et par celui de néophytes. L'IRM a révélé chez ces derniers une réaction plus lente, plus diffuse, plus émotionnelle. Au contraire, chez les sommeliers, les réponses cérébrales étaient plus analytiques, condensées dans une petite zone, piochant précisément dans une mémoire ordonnée. Ces deux systèmes de pensée, analytique (qu'est-ce que c'est) et émotionnel (j'aime ou pas), cohabitent dans notre cerveau. On peut décrire un vin sans dire si on l'aime, on peut l'aimer sans le décrire. L’expert peut emprunter ces deux chemins de traitement.
Déguster requiert donc un organe essentiel : le cerveau. Une mémoire riche et une capacité à la mobiliser fait la force de l’analyse d’un vin. Bonne nouvelle, il ne s’agit que d’une question d’entraînement.
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