Chicorée : le retour en force d’une racine oubliée
Délaissée pendant plusieurs décennies, associée à l’image de “boisson de guerre”, la chicorée reprend aujourd’hui sa place dans nos assiettes et nos tasses. Découverte d’une racine qui n’a finalement rien à envier au café.
Ce produit français séduit autant pour son impact écologique et économique que pour sa saveur singulière et ses qualités nutritionnelles.
Une racine emblématique du Nord
Si les coffee shops parisiens semblent la redécouvrir, dans les Hauts-de-France, la chicorée n’a jamais disparu. Les habitants du Nord en consomment depuis toujours. Pourtant, le désintérêt national a été tel qu’il ne subsiste aujourd’hui que deux sociétés de torréfaction. Stéphane Catrice est l’un de ces derniers torréfacteurs. Il a rejoint sa femme, Agnès Lutun, quatrième génération à la tête de Chicorée du Nord, fondée en 1934, qui compte aujourd’hui 12 salariés. Labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant, ils conservent un savoir-faire artisanal face à un mastodonte industriel. « La production est méthodique et exigeante. Les racines sont arrachées entre mi-septembre et mi-décembre, nettoyées, découpées puis séchées pour obtenir de fines lamelles appelées cossettes. La torréfaction transforme les sucres naturels en caramel par la réaction de Maillard, ce qui donne à la chicorée son goût caractéristique », explique Stéphane Catrice.
Au-delà de la tradition, la chicorée séduit pour ses atouts nutritionnels, “elle est sans caféine, douce pour l’estomac, anti-inflammatoire, anti-oxydante, riche en fibres prébiotiques et aiderait à fixer le calcium et le fer”, ajoute-t-il. De plus, produite localement, elle constitue une alternative durable au café, avec un bilan carbone largement inférieur. Selon l’Ademe, une tasse de chicorée émettrait en moyenne 10 g de CO₂, contre 49 g pour un café. « C’est un argument de plus pour séduire la jeune génération, très sensible à la consommation responsable », observe le torréfacteur. Certains chefs ne s’y trompent pas. Florent Ladeyn, engagé dans une démarche ultra-locavore, remplace le café par la chicorée de Stéphane Catrice et l’utilise dans les bières, les sauces ou les pâtisseries.
Une redécouverte culinaire
Au Domaine de Beaulieu, le chef Christophe Dufossé l’apprécie sous toutes ses formes : « Il y a la plante vivace, sauvage et bleue, la racine torréfiée que l’on boit comme du café, la salade à feuille ». Et pour lui, la chicorée fait presque partie du quotidien : « Ici, chez la mamie le matin, c’est une chicorée ; si on passe dans l’après-midi, c’est encore une chicorée », confie le chef. En cuisine, il l’utilise aussi bien en feuilles — en salade ou en pesto — qu’en racine torréfiée pour enrichir jus et sauces, souvent associés à la bière. « On fait une réduction avec un fond, on fait revenir la racine avec les garnitures, puis on infuse et on fait une extraction pendant toute une journée », détaille-t-il.
© Florian Salesse
Un goût particulier qu’il associe plus volontiers aux saveurs d'automne et d'hiver. En dessert, il joue sur son amertume pour la marier à des saveurs plus douces : pomme, marron, poire confite… La chicorée s’invite notamment dans l’un de ses desserts signature, la Gaillette, clin d’œil aux morceaux de houille du passé minier local : un trompe-l’œil de “charbon” renfermant chocolat, praliné… et chicorée !
Un avenir prometteur
Longtemps perçue comme un produit modeste, la chicorée se réinvente comme une alternative française, locale et durable. Elle s’exporte au-delà des foyers du Nord et conquiert les cuisines des chefs, jusque dans la capitale — comme à la Halle aux Grains à Paris, qui l’a récemment intégrée à une création autour du kasha et du sarrasin. Et désormais les coffee shops en quête de boissons sans caféine et responsables l’adoptent. Elle fait même son entrée dans les TGV depuis peu ! Et la chicorée a probablement encore bien des usages à révéler.
Quatre adresses où déguster la chicorée
- Chicorée du Nord à Oye-Plage
- Château de Beaulieu - Christophe Dufossé à Busnes
- La Halle aux Grains à Paris
- Bloempot de Florent Ladeyn à Lille