Nicolas Masse, chef aux Sources de Caudalie, et le paysagiste Hugo Jarmasson
Au-delà de l’image devenue classique du chef accroupi dans son potager, il y a, pour certains, un vrai travail de production maraîchère, qui implique une relation étroite et une complicité avec le jardinier. Ce dernier n’est plus seulement cantonné au simple rôle de fournisseur pour la cuisine, si bien qu’on ne sait plus très bien lequel est au service de l’autre. Neuvième épisode de notre série de portraits croisés avec Nicolas Masse, chef aux Sources de Caudalie, et le paysagiste Hugo Jarmasson.
Signe que les temps ont changé, quand les Sources de Caudalie ont ouvert, en 1999, il y avait un practice de golf là où se trouve aujourd’hui le potager ! À la tête des deux restaurants de l’hôtel, La Grand’Vigne et La Table du Lavoir, Nicolas Masse est arrivé aux Sources de Caudalie en 2009, après plus de sept années passées au Grand Hôtel de Saint-Jean-de-Luz. Autre cadre, autre cuisine, car il est ici au milieu des vignes – celles du vignoble Château Smith Haut Lafitte – et met donc sa cuisine au service du vin. Sous la surveillance du paysagiste Hugo Jarmasson, partenaire du Conservatoire du goût (association cofondée par Rachel Lagière œuvrant pour la sauvegarde de la diversité des semences paysannes de fruits et de légumes), les jardins potagers disposés sur le domaine s’épanouissent dans un cadre très bucolique, sous le regard des canards qui s’ébattent dans l’étang, des poules qui picorent au fond du jardin et des chevaux qui aident au travail de la vigne.
Gault&Millau : Existait-il déjà un potager quand vous êtes arrivé ici ?
Nicolas Masse : Il y a toujours eu beaucoup de végétation, mais plus pour l’esthétique. Les deux petits carrés du premier potager existaient, mais c’était minimaliste. Nous avons commencé à leur donner de la vie pour avoir certaines plantes à proximité de la cuisine. Tout ce qui est cultivé en petite quantité : fleurs, herbes, petits fruits, thym, petits pois… à cueillir avant chaque service. Plus loin, le grand potager que nous appelons Jardin des Abeilles, créé en 2015, est dédié à une production de plus gros volumes : courgettes, concombres, betteraves… Au Château Smith Haut Lafitte, sont cultivées toutes les plantes, achillées, sauges dont on fait des tisanes pour protéger et soigner les vignes. Avoir notre propre potager, c’était pour moi entrer en résonance avec le travail qui est fait au vignoble, dans le respect de l’environnement.
G&M : Combien de variétés cultivez-vous ?
Hugo Jarmasson : Dans les carrés près de la cuisine, une bonne vingtaine, si ce n’est pas une trentaine de variétés… Il y a une rotation sur toutes les plantes, sauf pour les pérennes, à savoir les framboises, groseilles et certaines aromatiques telles que le géranium ou les lavandes.
N. M. : Certaines zones sont plus expérimentales. Par exemple, il y a du mioga (une variété de gingembre japonais) qu’on essaie d’apprivoiser. Là, c’est la fin des petits pois, dont on fait actuellement une tarte, mais pour les avoir doux et sucrés comme ça, il n’y a pas de miracle, ça ne peut être que dans notre jardin.
H. J. : De toute façon, ils sont d’un calibre qui n’est pas commercialisable. Ils ne pèsent rien, ça n’est pas rentable pour une activité maraîchère. Mais tout l’intérêt est dans le goût, la parfaite maturité. Ici, nous avons une variété de topinambour, des hélianthi, qui fait des rhizomes plus allongés, moins charnus que le topinambour. C’est léger, long à récolter, donc pas rentable pour une ferme. Mais par contre, quel goût ! Le grand potager est composé de grands carrés avec un passe-pied, un passage de planches.
©FdaBanderiaCaudalie, ©itshenrietteNos rotations de culture se font sur un cycle d’au moins trois ans, si ce n’est cinq, pour éviter les maladies et pour que les plantes ne puisent toujours les mêmes nutriments dans le sol. Nous associons les plantes entre elles pour créer des synergies, optimiser l’espace et donc rentabiliser la surface au sol. Au pied des tomates, on met des petites fleurs, par exemple des calendulas, des fleurs comestibles ou des aromates basses comme du thym, du basilic, du tagète qui n’ont pas trop de développement. Nous n’utilisons jamais de produits chimiques, on ne fait que de la fertilisation à base de matières organiques ou du compost directement lié aux déchets des cuisines. On essaie de créer un cycle vertueux.
G&M : Mais vous n’êtes pas en autonomie ?
N. M. : Non. Pour le reste de nos besoins, nous faisons un peu affaire avec Rachel Lagière du Conservatoire du goût, qui a aussi une activité de maraîchage, mais ce sont souvent des produits qui sont déjà dans nos jardins. Sinon, avec des petits producteurs ou des artisans qui travaillent dans le même esprit.
G&M : Comment choisissez-vous ce que vous allez planter, tester ?
©latelierdestyle, ©Marie-PierreMorelN. M. : Ça vient de nous deux. J’ai certaines idées, Hugo d’autres. Par exemple, j’ai envie de faire des assiettes autour du concombre ou des aubergines et il va me proposer des variétés auxquelles je ne pense pas. Une variété qui vient du Japon ou un concombre piquant… C’est un échange. Comme le mioga, qui est un produit qu’il m’a proposé ou des variétés de coriandre ou de lavande que je ne connaissais pas. Ça permet aussi, quand on découvre le produit, de penser à des plats auxquels on n’avait pas pensé.
G&M : Depuis votre arrivée et la création de ces potagers, votre cuisine a-t-elle changé ?
N. M. : Elle est beaucoup plus axée sur le végétal. Plus spontanée aussi. Parce que nous souhaitons proposer le meilleur produit au meilleur moment, avec la plus grande honnêteté. C’est-à-dire que si je n’ai que 35 parts de petits pois que je trouve exceptionnels, je ne propose que ces 35 portions, je n’irai pas en chercher ailleurs et donner quelque chose de moins bonne qualité aux clients. Il se peut qu’un plat ne soit à la carte qu’un jour ou deux, parce que c’est le bon moment et après, on passe à autre chose.
Le client ne sait jamais à l’avance ce qu’il y a dans nos menus, parce que je suis incapable de lui dire ce que je vais avoir dans les jardins lors de sa visite. Il y a dans le légume une diversité de création qui est pour moi cent fois plus importante que pour une viande ou un poisson. Une tomate, vous pouvez l’utiliser de l’entrée au dessert. En sauce, gaspacho, sorbets, tuiles… c’est infini. À La Grand’Vigne, je propose maintenant trois, voire quatre plats sur sept qui sont essentiellement sur le légume. Et souvent en monoproduit, en le sublimant de diverses façons. Mais s’il n’y a pas derrière une vraie histoire de sourcing, de récolte, ça n’a pas de sens.
G&M : Dans un tel environnement où il faut aussi soigner l’aspect décoratif, comment trouver l’équilibre entre le joli et le rendement ?
H. J. : Je travaille également en tant qu’architecte paysagiste, ce qui fait que je maîtrise aussi bien le côté soin à la plante et le travail du maraîcher-jardinier que le côté esthétique des plantations. Habituellement, en permaculture, on a des petites choses qui poussent un peu dans tous les sens qu’on aurait envie de garder, mais qu’il nous faut parfois supprimer pour justement préserver l’esthétique. Ici, vous voyez des cloches qui ne sont pas des oyas [des réservoirs d’eau poreux en terre cuite, NDLR], mais qui servent, quand on désherbe, à décomposer les déchets végétaux à l’abri, sans avoir un tas d’herbes visible.
G&M : Y a-t-il pour vous un lien entre le maraîchage et le vignoble ?
H. J. : Déjà, il y a un vrai travail agronomique. L’ambition du Conservatoire du goût serait de pouvoir pousser l’étude du végétal comme on le fait avec le vin. La ferme du Conservatoire est sur la rive droite de la Garonne, donc sur des terrains argilo-calcaires, les goûts ne s’expriment pas exactement de la même manière qu’ici, sur un terrain de graves, un peu plus sableux. Ce n’est pas le même pH, on a des différences subtiles et c’est intéressant pour nous d’accompagner des chefs qui sont sensibles aux fines nuances du produit.
N. M. : La vigne m’inspire au quotidien et ma cuisine est au service du vin. Hugo dit parfaitement qu’un légume s’exprime en fonction de sa terre et, moi, je vais faire un plat en fonction du terroir, je suis un ambassadeur de la vigne. On dit souvent que j’assemble un plat, comme on peut assembler un grand vin. En cherchant l’accord parfait, on crée l’assiette comme on crée un vin en cherchant de l’acidité, de la douceur du terroir, une certaine amertume…
H. J. : Ce jardin est pour moi une célébration de ce qu’offre la nature et la mise en valeur de ses produits. Il y a ici une ambiance autour du végétal qui permet, quand on est à table, de prendre le temps de déguster et d’honorer ces produits. Mais quand on fait du maraîchage pour le public, disons pour la vie de tous les jours, il y a aussi cette démarche de donner envie aux gens de manger des légumes, de donner aux enfants le goût du légume. Toujours dans cette valorisation du produit, mais de façon différente.
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