Les Pérou, une fratrie aux commandes
Dans la restauration, on travaille souvent en famille. Entre époux, entre parents et enfants, entre frères et sœurs aussi. C’est le cas de Mathieu et Anne-Charlotte Pérou du Manoir de la Régate, à Nantes, qui dirigent désormais la destinée du restaurant fondé en 1995 par leur père et leur oncle, Loïc et Pascal Pérou.
Ni l’un ni l’autre ne s’attendaient à reprendre aussi tôt l’établissement familial. Mathieu construisait sa carrière de chef en Australie, après des années passées chez les frères Ibarboure, sur la côte basque, puis chez Thierry Drapeau, en Vendée. Anne-Charlotte, formée à l’école hôtelière, ne se sentait pas forcément prête à relever le défi. C’est l’esprit de revanche qui fut pour Mathieu le moteur de son retour en 2017, et celui de sa réussite ; une motivation qui n’est rien si elle ne se double pas d’un grand talent… et de l’appui d’une sœur. Ce qui n’a pas échappé à Gault&Millau qui les a récompensés à trois reprises : trophée Transmission Ouest 2018, trophée Terroir d’Exception Centre-Val de Loire & Pays de la Loire 2022 et trophée Sommelier Centre-Val de Loire & Pays de la Loire 2023 pour Marie-Cécile Frampier.
Gault&Millau : Quel est cet esprit de revanche dont vous parlez et qui vous a poussé à reprendre l’établissement familial ?
Mathieu Pérou : Quand nous étions enfants, c’était les belles années du Manoir de la Régate. Mais quand je suis parti me former, que ce soit à l'étranger ou même avant, à l'école hôtelière, j’ai vécu certaines situations qui n'étaient pas dépendantes de notre volonté. Nous étions un peu raillés sur la place de Nantes. Pas moi directement, mais mon père, et ça m’affectait beaucoup. Quand je suis revenu ici, c’était un peu dans un esprit de revanche. En voulant faire de nouveau de cette maison une belle maison nantaise.
G&M : La reprise du restaurant était-elle planifiée ?
M. P. : Oui, mais pas aussi rapidement. C'est vrai que c’était mon idée quand j’étais gamin, mais avant de revenir, j’étais en Australie dans une entreprise où je me suis beaucoup épanoui, où je pouvais évoluer et où je serais bien resté. J’avais fini par penser que je ne reviendrais peut-être jamais… Ça s’est fait à la demande de notre père, qui ne m’a pas obligé à le faire, mais m'a dit « Voilà, je n’en peux plus, je m'en vais. Si tu dis non, je vends à quelqu'un d'autre. » Au début, ç’a été un vrai combat. Le Manoir avait connu ses heures de gloire, mais depuis quatre ou cinq ans, c'était un peu l'inverse. Mon père et son frère s'étaient séparés, mon père avait racheté ses parts et ça avait profondément endetté la structure. Entre-temps, des jeunes se sont installés aux alentours, et il a eu du mal à redresser la barre. C’était compliqué.
G&M : Aviez-vous imaginé faire un autre métier ?
Anne-Charlotte Pérou : Je crois que je ne me suis jamais posé la question de ce que j’allais faire dans la vie. J'ai toujours vu mon père ici, on vivait à l’étage, et ça m'a donné envie de faire pareil. Je n'étais pas faite pour la cuisine, alors je me suis intéressée au métier de la salle. Au grand désarroi de maman !
M. P. : C’est vrai qu’elle était un peu moins fan de l'idée. Elle aurait souhaité qu'on fasse plus d'études et qu'on ait une profession plus souple au niveau des horaires. Quand mon père et son frère se sont associés, ils ne devaient acheter que le fonds de commerce, mais le jour de la signature, le propriétaire a dit : « Je vends aussi les murs, sinon ce n’est rien du tout ! » Les banques ne les suivaient plus et ils ont emprunté beaucoup auprès de la famille. Les débuts ont été vraiment difficiles, ils devaient travailler tellement pour maintenir un équilibre financier que maman a certainement gardé cette image en tête et ne souhaitait pas cette vie pour nous. Mais elle ne nous a pas non plus dégoûtés du métier et papa ne nous a absolument pas forcés.
A.-C. P. : J'ai toujours voulu revenir ici, mais je ne l’aurais pas fait seule, sans Mathieu. Nous savions qu’après nos expériences, chacun de notre côté, nous allions un jour nous retrouver ici et faire un bon binôme. Quand Mathieu m'a appelée en 2019, j'avais 24 ans, le même âge que lorsqu’il est revenu. J'ai eu un peu peur, je me sentais très jeune et inexpérimentée ; lui, il avait un plus long CV, mais, finalement, je ne regrette rien. Nous faisons notre petit bonhomme de chemin, nous grandissons, nous évoluons… et je continue d’apprendre tous les jours.
G&M : Côté cuisine, avez-vous fait table rase de tout ce qu'il y a eu ici ?
M. P. : Oui et non. J'avais des carnets de recettes, des souvenirs aussi. Quand je suis revenu, mon père m’a juste dit : « Tiens, voilà les clés ! » Plus tard, il m'a accompagné sur la partie administrative, mais sur la partie cuisine il voulait passer à autre chose. Je ne suis pas arrivé en me disant que j’allais tout changer. Il fallait que je m'acclimate à la maison, aux équipes et, pendant plusieurs mois, j'ai fait sa cuisine. Petit à petit, j'ai changé un plat, puis deux, puis trois, et enfin les menus. J'ai eu la chance, à la Table des Frères Ibarboure, de voir l'installation de Patrice Ibarboure. Je suis arrivé en pâtisserie à peu près en même temps que lui. J'ai trouvé très maligne la manière dont il a mené cette passation, sans tout changer d’un coup, et je me suis appuyé sur cette courte expérience pour m’en inspirer.
G&M : Quels sont les goûts, les saveurs qui viennent de votre enfance ?
M. P. : Ce sont surtout ceux de notre grand-mère. Le thym et le persil de mamie.
A.-C. P. : Quand on entrait dans sa cuisine, ça sentait toujours le persil et le thym du jardin.
M. P. : Nos parents travaillaient beaucoup et, quand il y avait des semaines un peu compliquées, nous allions en Bretagne chez les grands-parents. C'était top ! Mon grand-père a toujours été très respectueux de la terre et m'a transmis tout ça. Je lui fais de gros clins d'œil quand je cuisine. Je me dis tiens, s’il était là, il dirait « ça, c’est moi qui te l’ai appris ! »
G&M : Et dans la cuisine de votre père ?
A.-C. P.et M. P. [en chœur] : Le bar aux épices !
M. P. : À l’époque, il était très porté sur les épices. Je n'ai jamais cuisiné avec lui, mais je prends un grand plaisir à lui demander des recettes pour m'en inspirer. Je veux faire une cuisine locale, je trouve donc moins pertinent de travailler des épices qui viennent du bout du monde. Me fiant à ce bon sens paysan inculqué par mon grand-père, j’ai cherché des produits sourcés dans un rayon très restreint. En tant que gamin du coin, ça s'est fait très vite. Le pêcheur, il me connaît depuis que j'ai 3 ans. Celui qui s’occupe du potager, c'était le président de mon club de football ! Il y a tout un réseau qui s'est mis en place et, les recettes, je les adapte à ma vision de la cuisine.
G&M : Quand vous êtes-vous senti vraiment en possession de la cuisine et du restaurant ?
M. P. : il aura fallu quatre ans pour nous stabiliser financièrement, parce que la structure était très endettée. Chaque année, nous nous demandions si nous allions pouvoir continuer. Le banquier nous mettait une pression énorme. Au niveau des équipes, il fallait aussi des gens qui croient en notre projet, qui s'épanouissent avec nous. C'est un équilibre qui prend du temps à trouver. Depuis deux ans, je sens que je prends beaucoup plus de plaisir.
G&M : Est-ce que le fait d'être frère et sœur permet aussi une certaine liberté de parole ?
A.-C. P : Ça va plus vite, oui.
M. P. : Je trouve que nous sommes vraiment sur la même longueur d'onde, nous n’avons jamais eu de vraie confrontation.
A.-C. P : Nous sommes plutôt complémentaires. Mathieu est plus le moteur et moi, ensuite, je vais compléter l'idée pour qu’elle soit parfaite dans les détails.
M. P. : Quand Anne-Charlotte vous accueille, elle ne vous reçoit pas dans un restaurant, elle vous reçoit dans sa maison, celle dans laquelle elle a grandi, elle apporte vraiment ce supplément d'âme. En revanche, moi, je suis incapable d'aller en salle. C’est une question de timidité et certainement un manque de patience. Je ne fais pas le tour des tables ; en revanche, aucun problème pour que les gens viennent en cuisine s'ils le souhaitent.
G&M : Alors, la tenez-vous cette revanche ?
M. P. : La première distinction que nous avons reçue, c'est le trophée Transmission Gault&Millau. C'était une belle récompense parce que le Manoir de la Régate, ça faisait une dizaine d'années qu'on n'en entendait plus parler. C'était une première victoire. Nous avons aussi été coup de cœur dans le guide des Tables de Nantes, que moi, arrivant de l’étranger, je ne connaissais pas. Cela a eu un gros impact. C’est à ce moment-là que je me suis dit : « On est sur une bonne pente, on tient quelque chose. »
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