Le riz, un grain nommé désir
Troisième céréale la plus cultivée au monde avec le blé et le maïs, le riz, bien qu’irrémédiablement associé au continent asiatique, est aujourd’hui produit et consommé partout dans le monde. Les multiples enjeux de cette culture vivrière par excellence se cristallisent autour de sa production, alors même que la filière cherche les voies de la durabilité.
Dans la langue coréenne, il existe une expression courante, destinée aux personnes qui nous sont proches, qui se traduit littéralement par « As-tu mangé du riz ? », le terme « riz » étant souvent interchangeable avec celui de « repas ». Ainsi, demander à autrui s’il a mangé du riz équivaut en réalité à prendre de ses nouvelles et à lui demander si tout va bien. Des exemples similaires peuvent être trouvés dans d’autres langues asiatiques, démontrant le statut particulier de cet aliment, à la fois social, culturel et symbolique. Aujourd’hui, le riz est produit et consommé partout dans le monde, de l’Asie à l’Afrique en passant par l’Europe et les Amériques. Les cuisines les plus variées se sont approprié cette céréale pour souvent l’élever au rang de plats traditionnels nationaux ou régionaux – qu’il s’agisse du risotto italien, du sticky rice thaïlandais ou encore du tiep bou dien sénégalais. « La définition © d’un bon riz varie d’un pays à l’autre, explique Patricio Mendez del Villar, économiste et co-correspondant de la filière riz au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Pour les Européens, depuis les fameuses publicités des années 1970-1980, le bon riz est celui qui ne colle jamais, alors qu’ailleurs ce seront les brisures de riz qui seront favorisées. »
Grandes capacités d’adaptation
On aurait ainsi tort de parler du riz au singulier. Si l’on dénombre des centaines de milliers de variétés différentes, deux espèces sont majoritairement produites et consommées dans le monde : indica et japonica. La première, la plus répandue, représente plus de 80% de la production mondiale. Elle est composée du riz long grain et du riz naturellement parfumé (basmati ou thaï) dont les grains longs et étroits se détachent bien à la cuisson, car pauvres en amidon. La variété japonica constitue pour sa part 20% de la production mondiale. Elle dispose de grains aux formes variées qui absorbent beaucoup d’eau à la cuisson et libèrent de l’amidon, ce qui les rend plus collants (risotto, riz à sushi).
Que ce soient ses variétés, ses modes de consommation ou de production, la filière se caractérise par une grande diversité agro-socioéconomique. « L'une des spécificités du riz est sa capacité d’adaptation à des climats et des écosystèmes différents, qu’il s’agisse de milieux tropicaux, subtropicaux ou tempérés, poursuit l’économiste. C’est ainsi que cette céréale a pu devenir la base de l’alimentation de nombreux pays. » Le riz est en effet l’aliment de base de 4 milliards de personnes dans le monde, contribuant pour 27% des apports caloriques des populations dans les pays à revenus faibles et intermédiaires. On dénombre près de 400 millions de petits producteurs travaillant souvent des parcelles de quelques hectares. « Il existe une grande diversité des profils de producteurs, souligne Patricio Mendez del Villar, du très petit cultivant un quart d’hectare à l’immense ferme sur des milliers d’hectares. »
Majoritairement autoconsommé
En 2022, la production mondiale de riz s’est établie à 516 millions de tonnes, alors que la consommation a atteint 520 millions de tonnes. Près de 90% de la production (et de la consommation) se trouve en Asie – Chine (29%) et Inde (26%) en tête, suivies notamment de l’Indonésie (7%), du Bangladesh (7%), du Vietnam (6%) et de la Thaïlande (4%). « Qu'il soit irrigué ou inondé, le mode de culture est à 80% aquatique, précise Didier Tharreau, chercheur en phytopathologie et co-correspondant de la filière riz du Cirad. Il existe une grande diversité des modes de culture et des pratiques agronomiques, mais le modèle majoritaire est le système irrigué et intensif, qui prédomine en Asie. » C’est avec ce dernier que les plus hauts rendements sont obtenus, de 8 à 10 tonnes par hectare, là où la moyenne mondiale, tous systèmes confondus, se situe actuellement à 4 tonnes par hectare. La révolution verte qui prend place sur le continent asiatique dans les années 1960-1970 façonne un modèle de production qui s’appuie sur un triptyque gagnant : des variétés améliorées, des intrants chimiques et pesticides, et la maîtrise de l’eau. Une décennie plus tard, les États-Unis adoptent également les méthodes issues de ce modèle. Aujourd’hui, des pays comme l’Égypte, la Corée du Sud, l’Australie ou la Californie possèdent parmi les plus hauts rendements, de 10 à 11 tonnes par hectare. « Contrairement au blé ou au maïs, le riz est principalement destiné à l’alimentation humaine, explique Didier Tharreau. Il est, notamment, majoritairement autoconsommé dans les pays producteurs. » Ainsi, en 2022, la part des exportations mondiales est estimée à 52 millions de tonnes, un chiffre relativement modeste comparé aux volumes consommés. « Le riz est en effet une céréale qui voyage relativement peu, décrypte Patricio Mendez del Villar. Les échanges mondiaux ne représentent qu’environ 10% de la production mondiale, là où le blé est à 25%, le maïs à 15% ou le soja à 40%. » Les échanges entre les différents pays asiatiques représentent une part importante du commerce mondial. Ainsi, si la Chine est le plus gros producteur de riz, elle est également son plus gros acheteur, essentiellement en provenance d’Inde, avec des importations estimées à près de 5 millions de tonnes en 2022.
Défis climatiques et crise alimentaire
Hors des territoires asiatiques, la consommation mondiale ne fait qu’augmenter face à l’émergence des marchés africains, latino-américains ou moyen-orientaux depuis plusieurs décennies. Dans un contexte de globalisation alimentaire, des tendances similaires sont observées dans les régions à hauts revenus, comme l’Europe ou l’Amérique du Nord. « Les modes de consommation évoluent, analyse l’économiste. Aujourd’hui, le riz basmati ou parfumé constitue, par exemple, près d’un tiers de la consommation française, alors qu’il était absent des rayons des supermarchés il y a trente ans. » En 2022, l’Union européenne a produit 2,4 millions de tonnes de riz et en a importé 1,6 million, principalement en provenance du Pakistan (33%). La demande mondiale est aujourd’hui dictée par les besoins de l’Afrique subsaharienne pour nourrir ses populations. « La révolution verte n’a jamais eu lieu sur le continent africain, poursuit Patricio Mendez del Villar. Cela explique les faibles rendements obtenus aujourd’hui. » Principale zone déficitaire en riz, elle a importé 19,2 millions de tonnes en 2022, soit près du tiers des importations mondiales. « La filière rizicole est confrontée à un important enjeu démographique. D’ici à 25 ans, on prévoit 2 milliards d’êtres humains en plus sur la planète. La population d’Afrique subsaharienne à elle seule va doubler, passant de 1,1 milliard à 2,1 milliards d’habitants. Il y a un véritable enjeu de sécurité alimentaire, car la région, très dépendante des importations de riz, se trouve fortement exposée à l’instabilité des marchés internationaux. » Or, dans les pays asiatiques, principaux exportateurs, ce sont des politiques nationales visant en premier lieu à sécuriser l’approvisionnement intérieur qui prédominent. L’exemple récent de l’Inde, l’un des principaux acteurs du marché, en est une preuve criante. L’été dernier, le géant sud-asiatique a annoncé sa décision de suspendre une partie de ses exportations, conséquence des mauvaises récoltes provoquées par le réchauffement climatique et son lot de phénomènes extrêmes. La Thaïlande ou le Vietnam prévoient également une diminution de leurs exportations, le premier pour lui permettre d’adopter une meilleure politique de gestion de l’eau, le deuxième pour s’adapter à la diminution de ses surfaces rizicoles.
Les défis auxquels se confronte la filière, d’un pays à un autre, d’un agrosystème à un autre sont multiples et se ressemblent. L’équation est complexe, car il s’agit de produire plus pour répondre à une demande inéluctablement croissante tout en tenant compte des enjeux sociaux, économiques et environnementaux. « Aujourd'hui, les systèmes irrigués très intensifs, issus de la révolution verte, soulèvent la question de l’accessibilité, de la rentabilité et de la durabilité de ces modèles », analyse Patricio Mendez del Villar. Diminuer l’utilisation des intrants chimiques et des pesticides, encourager l’innovation en travaillant la diversité génétique du riz, lutter contre la salinisation et la pollution aux métaux lourds, réduire les gaz à effet de serre en système irrigué, sortir de la monoculture intensive classique, autant d’ambitions visées par une transition agroécologique censée permettre l’inscription de la filière dans la voie de la durabilité.
Trois questions à Bertrand Mazel, président du Syndicat des riziculteurs en France
Comment se caractérise la filière du riz en France ?
Bertrand Mazel : Aujourd’hui, les rizières occupent près de 12000 hectares en Camargue, et la production s’élève à 70000 tonnes. Une soixantaine de variétés issues du riz japonica sont cultivées. La filière compte 160 producteurs et 5 opérateurs. Nous produisons environ 20% de la consommation française, qui s’élève à 360000 tonnes au total. Le reste est donc importé des pays asiatiques [du Cambodge à 43%, de Thaïlande à 36% et d’Inde à 7%, NDLR]. En Camargue, 95% de la surface cultivée possède l’indication géographique protégée (IGP). Le riz de Camargue est la première céréale à l’avoir obtenue il y a une vingtaine d’années. C’est la garantie d’une traçabilité et d’une qualité répondant à un strict cahier des charges. C’est une manière de valoriser nos produits et d’avoir un avantage compétitif sur les riz asiatiques, qui n’ont aucune traçabilité.
Quelles tendances de consommation observez-vous ?
B. M.: On observe une demande pour les riz à cuisson rapide émanant du secteur de la restauration collective. Du côté des consommateurs, les riz à sushi sont plébiscités, ainsi que des produits de niche comme le riz coloré, à risotto ou parfumé naturellement. Les industriels qui fabriquent des desserts lactés sont également en demande de riz rond pour le riz au lait. Ce sont de nouveaux marchés qui se développent. Notre centre technique a alors pour rôle de développer des espèces qui vont pouvoir satisfaire ces nouvelles demandes des consommateurs.
Quelles sont vos ambitions pour la filière ?
B. M.: Arriver à 20000 hectares pour pouvoir faire vivre la filière entière et réussir à assurer la production de 30 à 50% de la consommation française pour notre souveraineté tout en respectant l’équilibre avec les milieux naturels qu’on souhaite préserver. La riziculture apporte de l’eau douce dans des milieux naturels et favorise la biodiversité. Elle permet notamment de lutter efficacement contre la salinisation en Camargue, sachant que cette région héberge 489 espèces de végétaux et d’animaux d’intérêt patrimonial. Plus de 60 espèces d’oiseaux fréquentent les rizières.
Trois questions à Patricio Mendez del Villar, économiste, et Didier Tharreau, chercheur en phytopathologie
Comment définissez-vous une riziculture durable ?
Didier Tharreau : Nous promouvons un ensemble de pratiques qui s’inscrit dans une transition agroécologique. Il s’agit notamment de diversifier les espèces cultivées en développant l’interculture, de remplacer les engrais chimiques par des engrais verts, de travailler sur la gestion de l’eau et d’œuvrer pour une diminution des émissions de gaz à effet de serre.
Patricio Mendez del Villar : : C’est là que la sélection variétale peut entrer en jeu en développant des variétés moins sensibles aux stress biotiques – les insectes, les maladies –, mais aussi abiotiques – la salinité, les sécheresses. Historiquement, c’est là que se trouve le cœur de métier du Cirad, et le travail d’amélioration variétale se poursuit, aujourd’hui, directement en lien avec les pays du Sud via des acteurs de la recherche agronomique internationale, comme AfricaRice, basé en Côte-d’Ivoire, ou le Centre international d’agriculture tropicale (CIAT), en Colombie. L’amélioration des systèmes de production se fait en partenariat direct avec les acteurs du développement et les riziculteurs eux-mêmes dans le cadre de recherches participatives. Un changement de paradigme qui a été initié il y a une vingtaine d’années et qui vise à encourager les approches pluri et interdisciplinaires, essentielles pour s’assurer que les produits de la recherche vont bien atteindre les producteurs finaux.
Quels sont les projets en cours ?
D. T.: Au Cambodge, le projet WAT4CAM vise notamment à améliorer la gestion des ressources hydriques et la diminution des pesticides. En France, au nord de la Camargue, des essais de diversification de cultures sont menés. Avant de semer le riz, de nouvelles cultures sont testées afin de permettre des rotations et de sortir du modèle de la monoculture. À Madagascar, une recherche participative s’est mise en place autour du développement d’une riziculture pluviale en altitude et la création de variétés adaptées. C’est une activité qui a commencé il y a une quarantaine d’années et qui se poursuit en partenariat direct avec les agriculteurs eux-mêmes.
Qu’est-ce qu’un bon riz ?
P. M. V. : Souvent, l’aspect visuel entre en considération. Le bon riz est aussi beau, c’est-à-dire blanc, homogène, au grain entier. En réalité, il existe une tellement grande variété de goûts, de textures, de profils organoleptiques que tout dépend de vos envies.
D. T.: De plus en plus, le bon riz est aussi celui dont le mode de production est éthique. Qu’il soit issu de l’agriculture biologique ou du commerce équitable devient un critère de choix pour les consommateurs, qui s’assurent par ce biais un produit éthique et de qualité.
Cet article est extrait de Gault&Millau, le magazine #3. Retrouvez le dernier numéro en kiosque ou sur notre boutique en ligne.
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