Le professeur David Khayat ne se prive plus
Oncologue, ancien président de l’Institut national du cancer et ancien chef de service à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, le professeur David Khayat invite dans son dernier essai, Arrêtez de vous priver, à déculpabiliser sur la consommation à table et les plaisirs de la vie. Rencontre avec un amateur de grands crus autour du vin, des abus et du réchauffement climatique.
GaultMillau : Selon vous, est-ce que la qualité du vin que l’on boit est la meilleure réponse possible aux problèmes de quantité ?
David Khayat : Bien sûr ! D’ailleurs, nous allons dans ce sens. Les gens boivent moins ; en revanche, ils boivent mieux. Pour faire baisser la consommation, la réponse est certainement une montée en gamme vers des vins ou tout le génie du vigneron et la force du terroir vont s’exprimer. Le vin n’est pas juste du jus de raisin fermenté, pas juste une boisson, c’est le fruit du travail d’hommes et de femmes attachés à respecter la nature. C’est quand même fou, quand vous y pense : on a réussi à éduquer cette petite liane sauvage au point de nous permettre, par la fermentation, de faire des nectars aussi bons que ceux que l’on a la chance de boire.
G&M : D’un point de vue médical, quelles sont les différences entre fermentation et distillation ? Les grands vins, c’est avant tout cette magie de la fermentation…
D. K. : Oui, absolument ! La distillation permet d’obtenir des alcools forts qui, objectivement, ne sont pas bons pour la santé, sauf pour désinfecter les plaies… Ce n’est pas du tout la même chose que le vin. Même si la molécule d’éthanol est la même… On peut faire une analogie avec la radioactivité, base à la fois de la bombe atomique et de la radiothérapie pour guérir les cancers. Avec une même chose, on peut avoir deux produits qui n’ont ni les mêmes qualités ni les mêmes destinées. En ce qui concerne la distillation-fermentation, je n’ai rien contre le fait de boire de temps en temps une vieille prune ou un cognac, mais ça n’a rien à voir avec la fermentation. Dans un cas, c’est le travail de la chaleur ; dans l’autre, c’est le travail des levures qu’on a gardées des années et qui permettent une expression de terroir. La production d’éthanol, de mon point de vue, n’a rien à voir avec la production de vin, même s’il y a de l’éthanol dans le vin.
G&M : Pensez-vous que nous pourrions revenir à des vins moins alcoolisés ?
D. K. : Je pense que, malgré le réchauffement climatique qui tend à nous donner des vins qui sont de plus en plus forts en alcool, on pourrait, pour des raisons de santé, connaître un jour une élaboration de vins moins alcoolisés qui conserveraient le goût et les expressions organoleptiques. Pendant des milliers d’années, l’humanité a survécu à l’eau non potable parce qu’elle buvait du vin, mais un vin qui était très très peu chargé en alcool. C’est pour ça qu’on en buvait beaucoup.
G&M : De ce point de vue, le retour de la « piquette » – ce petit « vin » obtenu en mouillant le chapeau de marc avec de l’eau et qui permet d’obtenir des boissons moins alcoolisées – peut-il être intéressant ?
D. K. : Ça ne me plaît pas, ça ne m’intéresse pas. Quand je pense à des vins moins forts en alcool, je pense quand même à des jus de raisins qui ont été fermentés selon les méthodes classiques d’élaboration. Du vin, pas des boissons à base de vin.
G&M : Est-ce que vous considérez que le vin, qui est une boisson complexe, peut, s’il est explicité, devenir une boisson véritablement culturelle ?
D. K. : La réponse est oui. C’est comme l’art cinématographique : vous regardez un film, il se passe plein de phénomènes au niveau de nos yeux, nos oreilles et notre cerveau ; c’est pareil avec un vin. Et puis il y a l’histoire racontée par le vigneron, sa patte personnelle. On est capable parfois de reconnaître la signature d’un vigneron tellement il aura mis tout son savoir-faire spécifique dans son vin. C’est comme un artiste.
G&M : Et cet aspect artistique est-il propre à lutter contre les phénomènes de surconsommation ?
D. K. : De toute façon, toute forme de surconsommation est mauvaise. Le sel, le sucre, rouler trop vite, aller trop au soleil : l’être humain n’est pas fait pour « trop ». Il faut des moments de « trop » : ceux de joie, de fêtes ; de temps en temps, on a besoin de ne plus avoir de limites, surtout quand on est jeune… Mais ensuite, l’être humain n’est pas techniquement fait pour l’excès. La vie est une maladie mortelle. Nous passons notre vie à faire ce que l’on appelle de la réduction du risque, c’est-à-dire à essayer de ne pas mourir. L’ensemble du temps entre la vie et la mort consiste à éviter cette dernière. Le vin c’est Janus, il y a deux regards : c’est à la fois la beauté, l’amitié, le partage, la fête et, en même temps, l’alcoolisme, la violence, les accidents de la route… La différence entre les deux phases, c’est la quantité. Il faut être raisonnable…
G&M : Idem pour la nourriture ?
D. K. : Oui, pour tout. Ce qui n’empêche pas, de temps en temps, de faire la fête. La modération s’inscrit dans le temps.
G&M : Des études montrent-elles que la frustration – ne pas aller chercher du plaisir là où il est atteignable – a un impact sur la santé ou sur le déclenchement de maladies ?
D. K. : Concernant la frustration par rapport à l’alcool ou au vin, absolument pas, il n’y a pas d’étude. En revanche, il est avéré que la frustration entraîne un stress et que le stress est parfois délétère pour la santé des êtres humains. Le stress a été identifié comme étant une cause pour les maladies cardiovasculaires, pour les maladies métaboliques et pour les cancers. Ce stress intervient quand vous vous sentez coupable d’aller vous amuser, ou quand vous vous frustrez complètement de tout plaisir. Encore une fois, la vie est une affaire d’équilibre et de modération, avec des moments de grande intensité, mais qui ne dépassent pas une certaine capacité de l’organisme à survivre à tout ça.
G&M : Pour conclure, quels sont les vins que vous emporteriez sur une île déserte ?
D. K. : J’ai la chance d’avoir de très grands vins dans ma cave, alors je vous dirais un la-tâche [grand cru de la côte de Nuits, en Bourgogne, NDLR]. J’adore également l’hermitage «La Chapelle» de Paul Jaboulet Aîné. Naturellement, un Château Latour, parce que j’aime aussi les grands crus du Médoc. Mais ma préférence va naturellement vers les bourgognes blancs : je dirais un montrachet, qui est peut-être le vin qui m’a donné le plus d’émotion dans ma vie. Au fond, je n’aimerais pas n’emporter qu’un seul vin, je n’aimerais pas que ma vie soit faite toujours du même instant renouvelé. J’aimerais emporter plusieurs vins.
Arrêtez de vous priver, par David Khayat, éditions Albin Michel (2021), 224 pages, 19,90 €.
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