La complantation, un modèle de viticulture d'avenir ?
Et si les cépages n'apparaissaient pas sur l’étiquette ? Si leur simple mention n’avait aucune importance ? Si seul comptait le terroir ? Plusieurs domaines choisissent de mêler différents cépages sur une même parcelle, pour la diversité que cela crée dans les vignes et la complexité que cela apporte dans les vins.
Dix vignerons et vigneronnes se tiennent côte à côte, un soir d’hiver. Pour certains, la route a été longue. L’un a délaissé ses vignes au Portugal le temps de ce rendez-vous parisien. Un autre est venu d’Arménie, son voisin de table, d’Espagne. Les locaux de l’étape ont leur domaine à Cahors, à Châteauneuf-du-Pape, en Champagne et en Alsace.
L’assemblée ne parle pas la même langue. Les vins s’en chargent. Malgré la distance géographique qui sépare les lieux de production, des points communs se dessinent progressivement entre les cuvées versées : des bouches traçant avec énergie, un éclat mémorable, des finales intensément salines.
Les auteurs de ces vins ne partagent pas seulement leur capacité à produire cet agréable résultat en bouche. La raison de leur présence tient à un autre fil rouge : chaque domaine cultive des vignes complantées. Sur une même parcelle, sur un même terroir, plusieurs cépages différents sont plantés, conduits, récoltés, pressés et vinifiés ensemble, comme une seule respiration. Soit l’expression la plus ancienne de la viticulture.
Viticulture d’actualité
Le groupe informel des "Vignobles Complantés" réunit amicalement le domaine Marcel Deiss et le Vignoble du Rêveur (Alsace), les champagnes Geoffroy (Champagne), le domaine Laroque d'Antan (Cahors), le domaine Beaurenard (Châteauneuf-du-Pape), la Compañia de Vinos Telmo Rodriguez (Espagne), Niepoort Vinhos (Portugal) et Zorah Wines (Arménie).
Tous défendent ce modèle de viticulture d’actualité, qui puise dans le passé et attendrit l’avenir. Comme eux, plusieurs domaines à travers le vignoble complantent de nouvelles parcelles. D’autres perpétuent l’historique local, comme Jacqueline André du domaine Pierre André, qui maintient la complantation de ses vignes âgées de plus de 150 ans, à Châteauneuf-du-Pape : “Ici, toutes les vieilles vignes étaient complantées avant le phylloxera. En passant aux clones (des ceps standards mis au point pour leurs rendements et arrivés massivement dans le vignoble dans les années 1980, NDLR), on a oublié la qualité du végétal”, rappelle la vigneronne.
Harmonie vinicole
La complantation permet de retrouver une biodiversité viticole. Il s’agit d’un outil efficace qui favorise entre autres la résistance aux maladies et amortit les difficultés liées aux emballements du climat (gelées tardives, sécheresse ou chaleur). Un cépage peinant une année sera soutenu par la production des autres, et vice-versa les années suivantes. Le couperet climatique a moins de chance de condamner la récolte. Une synergie se crée, les différents cépages s’harmonisent côte à côte, ils accordent progressivement leurs stades de maturité. En cave, un équilibre s’installe.
Ça, c’est Jean-Michel Deiss qui l’avance. Le regard inspiré, fixé au loin, comme en pleine révélation. Le public, suspendu, bien sûr. Le fils, Mathieu Deiss, poursuit : “Si dans les vignes tout a été préparé en amont, la vinification devient un chemin tranquille qu’on peut dérouler. Il n’y a plus besoin de rectifier.” La voix du domaine alsacien Marcel Deiss est celle qui porte le plus sur la complantation. La famille prêche ses vertus depuis plus de trente ans. Son ambition poétique : s’en remettre au lieu pour le goût du vin.
Sur l’étiquette, ne cherchez pas de nom de cépage. De toute manière, une bouteille en accueille parfois jusqu’à soixante. “La complantation est une manière d’effacer le cadre variétal si cher à l’Alsace, de ramener au cru. La complantation est au service d’un lieu.” En d’autres termes, mêler plusieurs cépages dans la parcelle permet de gommer leurs marqueurs gustatifs et de laisser la personnalité du terroir dominer.
Le vigneron tranche : “La complantation est inutile sur un terroir qui n’est pas un haut lieu. Elle est une ressource pour le servir.” Soudain, les yeux se ferment ou roulent. Le Grand Cru Altenberg de Bergheim vient d’être servi.
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