Jean-Luc Brendel, cuisinier, & Marie Bihl, maraîchère, au potager de La Table du Gourmet
Dans le cadre de notre série "Un cuisinier, un jardinier & leur potager", direction La Table du Gourmet, à Riquewihr, dans le Haut-Rhin.
C’est véritablement dans son jardin potager que le chef Jean-Luc Brendel nous convie lorsque, attablé à sa Table du Gourmet (4 toques G&M), on y découvre une cuisine d’une grande sensibilité qui, si servie par un jeune chef et hors d’un village si touristique ferait beaucoup plus parler d’elle.
40 ans que Jean-Luc Brendel s’est installé à Riquewihr, village alsacien, si pittoresque, qu’on pourrait croire à un décor de film. Quarante ans passés dans ce restaurant, ancienne cuverie avec poutres ancestrales, mais dont l’intérieur a été entièrement peint en rouge (il fallait oser !). Quarante ans, dont une bonne vingtaine passée à cultiver un jardin extraordinaire situé à quelques minutes de là, placés sous la vigilance de la maraichère Marie Bihl et où il passe chaque semaine de longues heures. Ce jardin nourricier, organisé en 4 parties dédiées à différents types de cultures, a au fil du temps bouleversé la cuisine du chef, lui donnant son identité et sa raison d’être.
Quand avez-vous commencé à cultiver ce jardin ?
Jean-Luc Brendel : ce jardin de 75 ares, à l’origine quatre parcelles de vignes, est à la lisière du Schoenenbourg, au début de la fameuse colline emblématique de Riquewihr qui fait des vins extraordinaires. Le premier, le jardin paysager, je l'ai créé il y a une bonne trentaine d'années. Après, on a fait le jardin médiéval. Ensuite, il y a 9 ans on a rajouté une parcelle, une très grande vigne de près de 20 ares. C'est très compliqué d'acheter des vignes. Surtout de les acheter pour les arracher ! On m'a traité de fou. C’est alors qu’on est passé professionnels en créant une société de maraîchage. On a fait des investissements importants, créé des bâtiments, une serre. Je me suis entouré de professionnels du monde de la biodynamie et de la permaculture, des gens très pointus dans le domaine qui m’ont soutenu et montré le chemin.
Était-ce dans l'intention d’atteindre l’autosuffisance ?
J.L.B. : C'était essentiel. Déjà dans le jardin médiéval, je produisais. Mais comme tout le monde, seulement quelques mois en été, des aromatiques, un peu de légumes, pour les garnitures, en complément. Et effectivement, j'ai voulu atteindre l’autosuffisance. Nous le sommes maintenant à 98 %, six mois dans l'année et le reste à 80 %. Grâce à la grande serre, nous produisons 10 mois sur 12 puisque nous sommes fermés six semaines en hiver. Il faut maintenant que j'investisse dans une pépinière, car nous faisons beaucoup de semis et la serre ne suffit plus.
©GregoryTachet, ©SylvieBerkowicz
Qu'est-ce qui vous a attiré dans le projet ici ?
Marie Bihl : Le mode de travail déjà. Auparavant, j'étais dans une structure de maraichage plus conventionnelle. En bio, mais à plus grande échelle. Ici, on est sûr de toutes petites surfaces et les méthodes de travail sont très différentes des grandes surfaces hyper mécanisées. L'objectif, il est clair : c'est de sortir le meilleur légume possible. Jean-Luc sait ce qu’il veut, il en parle super bien. Du coup, on se comprend assez vite, on travaille dans la même direction.
Vous avez une formation ?
M.B. : Non, pas vraiment, j'ai appris sur le tas… Mais aujourd'hui, on a des ressources, les moyens de s'informer et de se documenter.
J.L.B. : Moi aussi, j’ai appris sur le tas ! Mais il faut dire aussi qu’on est aussi à la pointe de la technologie. Par satellite, on est en mesure d’avoir en temps réel une image de l’état exact de soif des plantes. Avec notre téléphone, nous pouvons gérer un réseau de 3,5 km d’irrigation avec 600 vannes de goutte-à-goutte.
©MathieuCellard
Qu’est-ce qui fait bon légume ?
M.B. Je pense que c'est un sol bien équilibré. Je ne suis pas ingénieure dans la question, par contre, je suis sur le terrain et quand on a un sol vraiment de qualité, il y a des choses qui se gèrent toutes seules, parce qu'il y a les organismes, champignons, bactéries qu'il faut contre les maladies, les parasites…
J.L.B. : Lorsque j'ai pris possession du terrain, il était qui était loin d'être parfait, d’un point de vue sanitaire. Il y avait des choses positives parce que la vigne était déjà en bio, mais ça ne suffisait pas. Il fallait compenser certaines parties du sol en ramenant un peu de matière organique, mettre de l'engrais vert… pendant à peu près 1 an et demi avant de commencer la production à proprement parler. On a récemment refait des analyses très poussées pour voir où on en est, au bout de neuf ans, et on se rend compte qu'on a fait un bond extraordinaire sur la qualité du sol. On est bluffé par le résultat qui a obtenu. C'est impressionnant.
Travaillez-vous aussi la synergie entre les plantes ?
M.B. : J'aime bien associer les légumes à cycle court avec eux à cycle long. Par exemple, le céleri, il va lui falloir un certain temps et il y a donc de la place vide au départ, donc j'y mets des laitues quand il est petit, et après la récolte, le fenouil peut s'étaler. Ça comble et ça évite de pailler pour éviter les adventices.
J.L.B. : On s'inspire beaucoup des techniques mexicaines, puisqu'ils ont un soleil brûlant, donc ont besoin de se protéger davantage. On fait des cultures sur trois niveaux. Donc toutes les six planches, il y a une avec un arbre fruitier qui fait de l'ombre. Au deuxième niveau, on met des petits fruits et groseilles et des framboises, et en troisième niveau, des fraises au pied en couvre-sol. Ça donne une meilleure résistance aux fortes chaleurs.
Cette dernière année a été assez catastrophique pour le maraîchage en général, beaucoup de choses ont été brûlées par le soleil. Mais ici, avec notre système de paillage qui est vraiment très poussé, on a eu la plus belle année qu'on ait jamais eue.
©MathieuCellard
Comment ce jardin a-t-il forgé votre identité de cuisine ?
J.L.B. : Quand il y a une dizaine d’années, je me suis rendu compte que j'avais des quantités incroyables de légumes. J'étais largué, submergé. Il m’a fallu complètement réapprendre le métier de cuisinier. Quand on a optimisé l'ensemble des surfaces, je me suis demandé comment faire pour utiliser tout ça ? J’ai pris conscience que si je voulais que ma cuisine se singularise, il fallait que le légume en devienne la pièce maîtresse. Par exemple, si je fais une carotte, il faut qu’elle soit emblématique, il faut qu’elle soit l'élément phare du plat, avec des contrepoints en saveurs, des acides ou des amers, des contrepoints en textures qui soient bien affirmées. J’ai complètement changé mon braquet de cuisine, ma façon de voir, de faire et de travailler. La période du covid, pendant laquelle j’ai passé presque deux ans en immersion dans le jardin, a été la dernière pièce, le catalyseur qui a fait que j’ai encore changé de dimension. J'ai pris la maturité nécessaire pour vraiment prendre conscience de tout ce potentiel. Ça n’est pas le jardin qui s'adapte à ma cuisine, c'est ma cuisine qui s'adapte au jardin.
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