Jacques Marcon, chef & Carine Davier, maraîchère, le bon duo au potager
S’il le pouvait, Jacques Marcon viendrait tous les jours dans son potager qu'il partage avec la maraîchère Carine Davier. Un espace de liberté et de ressourcement qui lui est devenu indispensable, contrastant avec le stress et la rigueur de la cuisine.
Chez les Marcon, l’homme du potager, c'est Jacques. C’est lui, qui en 2018, a pris l’initiative d’en créer un, sur un terrain - pas le plus commode - situé au fond d’une vallée, à cheval sur l’Ardèche et la Haute-Loire, à une poignée de kilomètres de Saint-Bonnet-Le-Froid.
Sur cette terre pentue et isolée de 16 hectares, (dont seul un hectare est pour le moment cultivé), qui avait déjà connu une vocation agricole, Jacques Marcon produit une bonne partie des végétaux destinés à la cuisine du restaurant gastronomique. Des légumes, des herbes, quelques fruits, cultivés par la maraichère Carine Davier qui n’a peur ni du travail ardu, ni de la solitude.
Pourquoi avoir choisi ce lieu pour créer le potager ?
Jacques Marcon : Quand Napoléon a fait la découpe des communes, ce petit lopin de terre a été cadastré dans la commune de Saint-Bonnet-Le-Froid, il s'appelle donc l'enclave de Saint-Bonnet. Avant la Première Guerre mondiale, il y avait ici plus de 100 habitants qui produisaient du blé. Il y avait même un moulin pour faire la farine. Puis la guerre est arrivée et la plupart des hommes sont morts sur le front. Les femmes sont parties dans les usines de chimie, de textile de la région, ou au charbon sur Saint-Etienne. Ce qui fait qu’il n'y avait plus personne pour cultiver. Et encore moins sur des terrains comme celui-ci, assez pentus et peu rentables. Je viens souvent courir par là et un jour, je me suis arrêté dire bonjour à Monsieur René Sarte, né ici en 1934. C’est lui qui m'a raconté l'histoire de ce lieu, pourquoi il était propice à la culture. Il y a cette montagne qui l'abrite des vents du Nord et de l'Est, créant un microclimat intéressant. Même mon père qui est du pays, ne savait pas pourquoi il s'appelle l'enclave. En trois générations la mémoire s'était perdue.
Quand vous l'avez racheté, était-il encore cultivé ?
J.M. : Ce Monsieur Sartre l'avait racheté au début des années 2000 souhaitant le faire revivre comme il l'avait connu. Mais avec l'âge, il se fatiguait et manquait de moyens. Quand je lui ai acheté le terrain, je lui ai fait la promesse de le refaire vivre. Il est décédé en 2023… mais j’ai tenu ma promesse.
Il a fallu l'apprivoiser ce terrain qui n'est pas conventionnel ?
J.M. : Effectivement, il n’est pas conventionnel du tout. Quand j'ai dit à mon père que j’y faisais un jardin, il m'a pris pour un fou. Et quand j’y ai emmené Carine, je pense qu'elle m'a aussi pris pour un fou ! Enfin, pas tant que ça puisqu’elle y a cru.
Carine Davier: Ici, on est quand même à 800 mètres d’altitude, c’est haut. Moi, je venais de 500 mètres. Normalement, il devrait y avoir une grosse différence, sauf qu'ici, c'est particulier. D’une part, Il y a un microclimat et d'autre part, le changement climatique, va en réalité très vite. En cinq ans de présence ici, je fais maintenant exactement la même chose que je faisais auparavant en plaine.
Carine, pourquoi avoir accepté la proposition de Jacques Marcon de cultiver ce potager ?
C.D. : On se connaissait du marché où j’étais maraichère, il m’a parlé du projet et je suis venue voir le terrain. Ça tombait bien parce que j’avais un changement de vie à faire. Je n’étais pas tout à fait prête, -c'est quelque chose qui se mature-, mais il n'était pas pressé. Jacques, je ne savais pas vraiment qui c’était. On vient de deux mondes différents, presque opposés en réalité. Quand j’ai commencé à m’intéresser à la gastronomie, j’ai réalisé que ça me plaisait énormément. Parce que, quand il vient dans le jardin, tout l'intéresse. Par exemple, dans un jardin maraîcher classique, on va se dire « Zut, ma roquette, elle monte. » Lui, il arrive et dit : « Trop bien, j'ai des fleurs de roquette ! ».
©Laurence Barruel, ©Cyclon'Valleye
Êtes-vous en autosuffisance grâce à ce potager ?
J.M. : Nous le sommes sur la plupart de la saison des cultures. Il arrive qu’en début de la saison, Karine n'ait pas tout à fait assez de haricots par exemple. Il m’arrive donc d’en prendre le samedi à Saint-Etienne chez ses collègues qui travaillent de la même façon. Mais je suis pratiquement autonome.
Ces producteurs avec lesquels vous travailliez avant d’avoir le potager, ont-ils eu le sentiment que vous les laissiez tomber ?
J.M. : Avant de créer le jardin, je les ai prévenus que l'année suivante, je leur prendrai certainement moins de légumes. Et ils étaient tous ravis ! Tout le monde m’a dit : des légumes, on n'en a jamais assez ! D’autant plus que ce sont de petits maraîchers qui n’ont deux hectares. Le problème était plutôt de me faire engueuler par leurs clients quand, par exemple, je prenais trop de légumes et qu’il n’en restait plus pour eux !
Qu’est-ce qu’un bon légume ?
C.D. : Ce qui lui donne un bon goût ? J'imagine que c'est son terroir. Le sol, l'eau. Certains travaillent sans irrigation, mais moi j’en ai, avec de l'eau de source et je pense que c'est un vrai plus. Je n’ai jamais travaillé avec le Rhône ou la Loire, mais je pense que ça compte beaucoup. J'entends Jacques qui est en train de se dire dans sa tête « Oui, mais il y a la façon de faire aussi ». Peut-être…
Ce potager, a-t-il changé votre façon de cuisiner ?
J.M. : oui, je pense qu’on est beaucoup plus réactif. Je peux arriver au potager avec une idée en tête et finalement faire carrément autre chose. Parce qu'en fait, qui décide ici ? C'est le jardin. Pas nous. Je ne mets jamais la pression sur un volume. Par exemple, j'avais encore récemment un plat de courgettes au menu parce qu’elles étaient très bonnes. Mais on a pris la grêle sur un des plants et ce matin, j'ai un peu changé le plat et mis plus de pâtissons que de courgettes. Chaque jour, on adapte l'assiette en fonction du jardin. Je n’impose rien à mes fournisseurs.
Des idées de plats vous viennent-elles dans le potager ?
J.M. : Oui, par exemple, je me promenais là où il y a le géranium rosa qui est très aromatique. Et juste avant, j'avais mangé une carotte. Carotte et géranium, ça fonctionne très bien ! Donc, je fais actuellement un plat carotte, géranium rosa et moules.
©Laurence Barruel
Le succès de ce potager repose donc vraiment sur votre binôme ?
J.M. : Oui, totalement. Ce lien entre Carine, le jardin et mes ramasseurs de champignons, ça fait partie de mon boulot. C'est même le travail que je voudrais encore plus développer quand mon frère Paul sera complétement revenu [Vainqueur du Bocuse d’Or France 2023, Il prépare actuellement la finale européenne qui aura lieu en Norvège en mars 2024 ndlr].
Peut-être même que ça sera moi la deuxième personne qui viendrait donner un petit coup de main à Carine tous les matins.
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