Design-moi un resto
Comment dessine-t-on un restaurant ? Comment traduire un concept culinaire dans un espace ? Dans le milieu hypercompétitif de la restauration parisienne, c’est quasiment tous les jours que des lieux ouvrent, du tout petit au XXL, chacun avec son identité, son origine, son histoire. Pour accompagner ces nouveaux lieux qui animent le paysage urbain, une agence, Mur Mur Architectes, a fait de l’univers de la food l’une de ses spécialités. Elle met en scène des concepts très éclectiques – les boulangeries Liberté, la poissonnerie Poissons, la cantine algérienne Majouja, la street food israélienne de Dizen, le restaurant levantin Dalia (1 toque) et les très courus Petit Bao et Gros Bao. Entretien avec Lucie Rosenblatt, cofondatrice, avec Benoît Huen, de Mur Mur Architectes.
Gault&Millau : Quel est, pour vous, le point de départ d’un projet ?
Lucie Rosenblatt : Le concept de base de nos clients est évidemment essentiel. C’est par rapport à ça que nous allons choisir ou non de faire le projet. Et puis, parce que nous aimons la food nous-mêmes, nous voulons savoir qui est derrière le projet et avec quel sourcing produits. Nous avons quand même cette exigence-là. Il faut donc un feeling avec les clients, qui nous choisissent autant que nous les choisissons. Ensuite, il y a le lieu et ce que nous pouvons lui apporter. Ce que nous devons à nos clients, c’est que les gens qui passent devant attrapent un torticolis ! C’est l’effet « instagramable ». Après, à eux de les garder et de les fidéliser avec ce qu’ils font à manger.
G&M : Avez-vous un fil conducteur, une signature qui relient tous les projets ?
L. R. : Sans avoir de style trop répétitif, on a une approche, disons rétro, terroir – pour ça, il y a des matériaux anciens –, que nous essayons de faire contraster avec une vision plus futuriste. Nous sommes architectes DPLG, pas simplement décorateurs. Nous allons vraiment réfléchir à la planification de l’espace. Comment va-t-on cuisiner ? Comment va-t-on accueillir les gens ? Quelle est la scénographie ? Que montrer, que cacher ? Comment faire en sorte que le chef puisse parler aux clients ? Sachant qu’en général nous allons exiger que la cuisine soit au milieu du restaurant, ou en tout cas très visible. Tout ça va participer au projet.
Et en parallèle, on va choisir un, deux ou trois matériaux. Pas plus. Il ne faut pas que nous nous dispersions, le message doit être très clair. Suivant le concept du client – monoproduit, restaurant classique ou asiatique… –, nous allons voir comment nous pouvons le rafraîchir, lui donner un coup de pied, tout en gardant des liens un peu rétro, ancestraux. Et à partir de ça, nous aboutissons à un contraste entre le fait d’être en 2022 – pas dans les années 1970 – dans la manière de faire à manger, de recevoir, qui a été, à mon sens, un peu inaugurée par ce qu’on appelait la bistronomie.
G&M : Beaucoup de vos projets sont en prise directe avec l’extérieur, avec la rue…
L. R. : Nous partons du principe que nous ne dénaturons jamais l’immeuble. Au contraire. Nous tentons toujours de lui redonner son aspect historique. Nous défaisons tous les coffrages des années 1960 ou 1970 et nous refaisons la façade comme les étages supérieurs en utilisant, par exemple, de la pierre si le budget le permet. Mais il arrive aussi que le poissonnier qui passe la journée les mains dans la glace nous dise qu’il s’en fiche de la façade. Eh bien, nous n’en mettons pas ! Nous le faisons beaucoup dans nos commerces de bouche, un peu à la manière de Rungis. Nous voulons que tout soit visible. Nous aimons savoir d’où vient la nourriture, nous sommes contents d’avoir des caisses de livraison sous nos pattes. Ça met les clients en confiance. Ne pas mettre de façade, c’est aussi une manière de faire entrer les gens. Comme le take away Dizen, qui fait 15 m2 et pour lequel nous avons posé un enduit identique aux étages supérieurs, mais avec quand même une certaine forme futuriste.
G&M : Souhaiteriez-vous réaliser des projets plus luxueux, plus établis ?
L. R. : C’est vrai que notre démarche attire une clientèle qui a 25 ans et qui sort d’école de commerce. Ils sont jeunes, c’est leur premier projet. Et puis ça évolue, nous les suivons dans leurs autres ouvertures, parce que nous nous entendons bien et qu’une fidélité s’installe. Mais nous faisons aussi d’autres types de chantiers qui sont beaucoup plus longs à réaliser. Nous venons de livrer un restaurant dans l’Okko Hotel de la Défense, et nous travaillons sur la réhabilitation de l’usine Labinal, à Saint-Ouen. Il est vrai qu’avec les concepts food, nous avons une cadence beaucoup plus rapide. Ce qui est très grisant aussi. En six mois, c’est fait ! Nous avons souvent des frustrations avec ces petits budgets, mais ça nous pousse à la réflexion.
G&M : Quelle est la dimension écologique de vos projets ?
L. R. : En tant qu’architectes, nous avons un devoir de conseil et devons être au fait de toutes les nouvelles technologies. Quand nous avons des clients qui partent dans des délires de clim, de réversibles, etc., nous leur disons : « Je vais te poser une prise, un ventilateur, et ça ira ! » De même, nous évitons au maximum les matériaux transformés. Nous ne prenons que des peintures à l’eau écologiques. Quand il n’y a pas de budget pour des meubles, nous faisons de la récup. Nous évitons au maximum les transports, nous essayons de faire du français, même si, pour être tout à fait honnête, nous travaillons avec pas mal d’artisans portugais. Nous testons également des matériaux qui ne sont pas super élaborés, comme au restaurant Dalia, où tout est en terre d’argile. Pour la cave à vin Octave, nous avons pris de la brique et du béton et fait entièrement le projet avec. Donc, nous nous restreignons au niveau des matériaux, ce qui s’inscrit aussi dans notre objectif de respect du budget.
G&M : Quel plaisir avez-vous à travailler dans l’univers de la food ?
L. R. : Déjà, nous sommes passionnés par ça ! Du coup, nous nous projetons parce que nous sommes les premiers clients. J’y vois aussi un parallèle avec ce que nous essayons de faire : être créatifs tout en restant dans un truc un peu rétro, en gardant des repères et des savoir-faire. Nous sommes énormément sur nos chantiers, et cette passion, cette douleur, ces angoisses que nous vivons avec l’équipe, je les retrouve chez nos clients. Nous sommes un peu dans le même délire, des jeunes qui se lancent, qui montent leur boîte, comme nous nous sommes lancés il y a une douzaine d’années, à 30 ans, tout seuls. Il y a pas mal de points communs entre nos métiers.
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