De l'éphémère au durable : l'ascension de ces chefs vers leur propre restaurant

La gastronomie évolue sans cesse. Si les traditions d’hier persistent, de nouvelles tendances émergent. Les jeunes chefs ne suivent pas toujours le parcours classique des brigades. Par choix ou par opportunité, ils voyagent, enchaînent les résidences éphémères pour explorer d’autres cultures, d'autres produits, enrichissant ainsi leur cuisine et leur expérience.

À l'image d'Alice Arnoux, cheffe itinérante ayant notamment travaillé au Perchoir Ménilmontant, se sédentarise. Café de l’Usine, son premier restaurant, un écrin situé au 5 Passage Piver dans le 11ᵉ arrondissement de la capitale vient d'ouvrir ses portes ce 2 octobre 2024. Le concept ? Ne pas avoir de concept, simplement une adresse ouverte de midi à minuit, du mercredi au samedi. Les curieux pourront découvrir un déjeuner à "tarif doux", un goûter ou un menu un peu plus élaboré au dîner. Retour sur trois chefs qui ont ouvert leur propre restaurant après avoir multiplié les expériences de courte durée.

Mohamed Cheikh, Meïda à Saint-Ouen

Après avoir fait ses gammes au sein de grandes maisons parisiennes, Mohamed Cheikh est mis en lumière par sa victoire lors de la saison 12 de Top Chef. Les opportunités arrivent rapidement et il se lance dans l’ouverture de son premier restaurant éphémère, baptisé Manzili. Un véritable carton : "On a fait 45 000 couverts en quatre mois, c’est de la folie et je pense même que beaucoup de gens n’ont pas réussi à venir, car on m’en reparle encore aujourd’hui", confie le chef. Le restaurant est construit autour d’une envie : recevoir "les gens comme à la maison" et une philosophie culinaire méditerranéenne. Ces deux éléments le suivent encore aujourd’hui et sont sûrement la marque de fabrique du chef. À la suite de Manzili, il s’aventure chez Jérôme Banctel à La Réserve de Paris pour deux mois. Un retour chez son "premier chef" explique-t-il. Il travaillera également en tant que chef sur une péniche : "On y servait 300 couverts chaque vendredi et samedi soir." Il finira ce périple temporaire à Saint-Tropez chez Bivouak, un mix entre restaurant et beach club. Le Francilien a pu se tester et découvrir différents univers tout au long de ses résidences. "C’était très enrichissant de pouvoir tester des choses variées. On est passé d’une cuisine de jardin friendly chez Manzili à une cuisine de palace, pour ensuite travailler sur un bateau et enfin avec des vacanciers dans le Sud", se réjouit-il.

Après trois ans à naviguer entre résidences éphémères et autres prestations, "toujours en cuisine", il décide de poser bagage. Une décision dans laquelle il est suivi par son associé Olivier Bertrand et aidé par un autre personnage culinaire médiatique. "Cyril Lignac m’a beaucoup conseillé dans la nécessité de construire quelque chose de pérenne, solide et durable." Aujourd’hui, Mohamed Cheikh est installé chez Meïda, à Saint-Ouen, une ville "émergente" dans laquelle il est plus facile "de créer un lien avec les clients" pour le natif de Seine-Saint-Denis."C'est un mélange de belle cuisine, un beau lieu, chaleureux et familial et surtout accessible."

Manon Fleury, Datil à Paris

La jeune cheffe bourguignonne a très vite été attirée par l’idée d’ouvrir son propre restaurant. L’ancienne championne de France junior de sabre n’a malheureusement pas pu s’installer aussi rapidement qu’elle le souhaitait. La raison ? "Après être partie du Mermoz en janvier 2020, j’ai eu l’ambition et l’envie d’ouvrir un restaurant. Mais entre la période Covid et les difficultés à trouver un local, j’ai décidé de chercher quelque chose qui me permettait d’avancer. Je voulais avoir une équipe, un projet et progresser dans la cuisine", explique la cheffe.

Manon Fleury s’engage alors pour six mois à Monaco, au restaurant Elsa : "C’est une proposition très différente des expériences que j’ai eues. Un hôtel grand luxe, c'est des attentes différentes des restaurants de plus petite taille que j’ai côtoyés." Elle y rencontre Laurène Barjhoux, son acolyte pendant ces années d’itinérance et aujourd’hui chez Datil (2 toques). Elle enchaîne avec une deuxième résidence au Perchoir à Paris. "Cette aventure était vraiment super, j’avais beaucoup plus de liberté qu’à Monaco. J’ai pu faire ma cuisine et surtout proposer un concept de restaurant à part entière. Du choix de la vaisselle à la décoration et aux fournisseurs, c’était en vérité un bel exercice d’ouverture de restaurant", confie la Bourguignonne.

Forte de ses expériences et d’autres encore, Manon Fleury se lance et trouve son local. "Ce qui est très intéressant avec l’ouverture de Datil, outre la pression liée au fait que ça m’appartient, c’est à quel point toutes ces résidences m’ont permis d’être hyper tranquille pour l’ouverture. Du recrutement de l’équipe à la proposition du menu."

Céline Pham, Inari à Arles

Parfois, un parcours peut s’orienter d’un rien. C’est probablement ce que l’on peut attribuer à la cheffe Céline Pham. Pendant plusieurs années, elle travaille au sein de restaurants gastronomiques avant qu’un petit texte d’une journaliste à propos de l’une de ses recettes – "un rouleau de printemps", détaille-t-elle – attire l’attention de quelqu’un. Cette personne n’est autre que Christian Louboutin. Elle découvre ainsi, l’univers des prestations privées. Ensuite, vient sa "première expérience de cheffe en résidence. C’était en 2015, à La Table Ronde à Paris. De fil en aiguille, au gré des rencontres, je me suis dirigée à droite et à gauche en France et à l’étranger pour différents projets". Elle complète : "C’est un format qui me plaît beaucoup. Le plus galvanisant, c’est d’arriver dans un lieu inconnu, de rencontrer des gens à la vie drastiquement différente, mais de se comprendre grâce au langage de la nourriture". La cheffe voyage au Brésil, au Mexique, où elle "rencontre des cuisinières qui devaient faire une heure de route aller et une heure retour pour venir travailler. Partager et échanger avec elles était quelque chose d’unique, cela m’a traversé le cœur. Je fais ce métier pour continuer à vivre des choses similaires."

En 2021, au lendemain de l’épidémie de covid, enrichie de connaissances notamment autour de "produits qui n’ont rien à voir avec ceux que l’on connaît de par là où ils poussent", elle s’installe. Direction Arles, une ville rythmée par les saisons. Cela permet à la cheffe de travailler des choses "différentes chaque semaine" et surtout d’allier "les deux modèles, entre mon restaurant et d’autres résidences. C’est génial et très complémentaire." "Je pense que je vais continuer longtemps comme ça !", conclut-elle.