Ces cépages oubliés qui reviennent en force
Au fil du temps, des cépages autochtones ont déserté le vignoble. En cause : un phylloxera ravageur, un climat peu adapté ou des freins économiques. Leur redécouverte tient à la curiosité ou au hasard.
Trois vignerons évoquent tour à tour un cépage oublié de leur région revenu sur le devant de la scène viticole.
Le melon à queue rouge dans le Jura
Le Melon à queue rouge est un vieux cépage autochtone jurassien, de la famille du chardonnay. Philippe Chatillon, vigneron en bio et biodynamie à Poligny, cultive des vieilles vignes de plus de 65 ans.
Philippe Chatillon : Je n’étais pas plus sensible que ça au melon à queue rouge. Mais lors de mon passage au domaine de la Pinte, avant la création de mon domaine en 2013, les grains d’une parcelle de chardonnay avaient un goût singulier. J’ai cherché à les isoler dans une cuvée, qui s’est avérée spectaculaire. J’ai su a posteriori qu’il s’agissait de melon à queue rouge.
Après la véraison, la pétiole et les rafles de cette variété deviennent rouges, les grains sont tachetés comme si on avait jeté dessus un pot de poivre. Ses arômes tirent vers l’anis et le fenouil. Par rapport au chardonnay, sa texture est plus dense, notamment parce que les baies sont plus petites et plus concentrées, et sa richesse aromatique plus ample, moins monolithique. Je me sens pleinement dans le Jura quand j’en bois, là où le chardonnay peut nous faire voyager à travers le monde.
Le vrai débat, c’est que le melon à queue rouge n’est pas autorisé dans l’AOC sous sa vraie identité. Sur l’étiquette, on a le droit d’inscrire uniquement chardonnay blanc ou melon blanc, je m’y suis fait reprendre. Cela me semble un peu aberrant, d’autant qu’il connaît un regain, malgré ses faibles rendements qui ont couru à sa perte. Dans les années 1980, il a été massivement arraché au profit de clones capables de cracher du raisin. À l’avenir, je me demande simplement si son caractère légèrement plus précoce* pourrait être un désavantage.
Le bouysselet à Fronton
Dans le Sud-Ouest, à Fronton, le domaine Plaisance Penavayre, mené par Thibaut et son père Marc, a été l’un des premiers à replanter en 2015 du bouysselet, un cépage blanc originaire du vignoble.
Thibaut Penavayre : Le bouysselet est le grand cépage d’avenir de Fronton. Il suscite l’intérêt de tous les vignerons. Ce qui le caractérise le plus, c’est sa grande fraîcheur. Il offre des vins de gastronomie dans l’air du temps : les nez sont fins et complexes, les peaux épaisses du raisin laissent en bouche des amers naturels. De belles notes pétrolées sont même apparues dans une cuvée avec un peu d’âge que j’ai récemment goûtée.
Il s’agissait d’un 2011 du Château La Colombière, le millésime qui a marqué le retour du cépage dans la région. Une seule vigne avait persisté dans le jardin d’une vieille famille de Villaudric. L’oubli du bouysselet après les années 1970 est peut-être le fait de l’essor des rouges sur l'appellation. Et son caractère très tardif* ne devait pas lui permettre d’atteindre pleinement sa maturité à l’époque, ce qui aujourd’hui représente clairement un avantage. Il craint peu les gelées et semble aussi résister au mildiou et aux fortes chaleurs. En cave, il se prête à un éventail de vinifications, vins secs, moelleux, effervescents ou oxydatifs.
On en comptait 10 hectares l’année dernière. Dix hectares supplémentaires ont été plantés en 2023. Au sein du syndicat de Fronton, nous rédigeons actuellement le cahier des charges inhérent à la création d’une AOC. Au programme ? Un 100 % bouysselet, élevé longuement.
La verdesse en Isère
Nicolas Gonin, vigneron en Isère, est également vice-président du Centre d'ampélographie alpine Pierre Galet, engagé pour la restauration de cépages autochtones oubliés, dont la verdesse fait partie.
Nicolas Gonin : La verdesse appartient à la grande famille des descendants du savagnin – on peut d’ailleurs lui trouver parfois un côté oxydatif. Vendangée bien mûre, elle révèle des notes de muscat ou de litchi, tout en gardant une bonne acidité grâce à notre climat.
Ce cépage est cultivé en Isère depuis au moins plusieurs siècles, mais le passage du phylloxera à la fin du XIXe siècle avai décimé la plupart des pieds. Récemment, j'ai découvert que la verdesse était aussi plantée dans une commune du Bugey, ainsi qu’en Italie, selon le cadastre viticole de 1958 du Musée de la Vigne et du Vin, à Montmélian.
Chez moi, au nord de l’Isère, dans les Balmes dauphinoises, j’ai constaté que les précoces* chardonnay, pinot noir et gamay alors plantés murissaient trop vite et perdaient leur acidité, leur nez, leur capacité de garde. Il y a une vingtaine d’années, j'ai tout arraché et replanté progressivement en cépages patrimoniaux (verdesse, altesse, persan, mècle…), tout en œuvrant à la création de l’IGP Isère et du cahier des charges pouvant les accueillir. Il s’agissait aussi de rapporter de la tradition en Isère. Le potentiel est large, je suis encore loin de cultiver les 35 cépages qui ont constitué son identité ampélographique.
Cépage tardif ou précoce : de quoi parle-t-on ?
Variété précoce : variété à maturation précoce. Le cycle du raisin pour être mûr est un cycle court. Son temps d’exposition aux ravageurs et aux intempéries est donc moindre. En revanche, ses bourgeons déjà sortis au printemps craignent le gel et un climat trop chaud maltraite ce raisin déjà mûr et fragile en été.
Variété tardive : variété à maturation tardive. Le raisin a besoin d’un temps long pour être mûr. Ces variétés pouvaient ne pas atteindre leur maturité avant l’hiver dans certaines régions. Elles sont susceptibles de mieux tolérer la chaleur, intensifiée par le dérèglement climatique, en préservant acidité et degré alcoolique bas.
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