Céline Pham, du ring au piano
Longtemps cheffe nomade, allant de résidences en tables éphémères, refusant les attaches et imaginant les volets gastronomiques d’événements chics, Céline Pham a fini par poser ses valises au cœur de la ville d’Arles. Sans lâcher son autre passion, le moteur qui la fait avancer, droite et inflexible : le sport. Tous les sports. Rencontre.
À la voir ainsi, la tête très légèrement penchée sur son épaule, finaliser le dressage d’une assiette, précise et méticuleuse sans jamais tomber dans le maniérisme, à l’entendre ensuite parler, d’une voie égale et presque chuchotée, sans jamais verser dans la posture, impossible de l’identifier comme une combattante, impossible de l’imaginer deux heures avant le coup de feu avec des gants de boxe. Impossible de percevoir dans cette chapelle reconvertie en Inari – la table qu’elle a ouverte à Arles il y a deux ans – que Céline Pham est une battante qui a dû affronter, s’affirmer et qu’elle le fait encore. Et que son arme fatale aura été le sport. Les sports, quels qu’ils soient, sans limites, et c’est d’ailleurs peut-être là le premier point commun avec sa cuisine. « Ça a commencé avec mon père et mes frères. Me mettre au sport, m’intéresser à ce qui les intéressait était une manière de passer plus de temps avec eux. » Le football n’a donc aucun secret pour elle. Et puis, il y avait les sports qui venaient des États-Unis. « Une manière sans doute pour mes parents, qui étaient arrivés du Vietnam, d’entretenir un lien avec leur histoire. Leur projet était de transiter par la France, puis de rejoindre la famille déjà installée aux États-Unis. » Alors ça a été le basket, qu’elle a pratiqué longtemps, et l’athlétisme. « Mais c’est en entrant en cuisine, où tout est collectif, que je me suis mise plus complètement aux sports individuels. » Course à pied, vélo en salle, CrossFit… Pour supporter le stress, elle va y aller trois fois par semaine, puis tous les jours et, finalement, « quand plus rien n’allait en brigade », plusieurs fois par jour. « Le sport était devenu une addiction. »
Elle passe d’une table à l’autre, de Ze Kitchen Galerie à Saturne, puis Septime, avant de se lancer, libre et déterminée, dans un nomadisme culinaire qui lui va bien – qui lui va mieux, surtout. Elle enchaîne les événements et les résidences sans s’arrêter ni abandonner les terrains ou les salles. « À peine arrivée quelque part, je cherchais d’abord où m’entraîner – c’est comme ça qu’à New York je me suis mise au cycling. » En résidence à l’été 2017 chez Providence, à Guéthary, elle négocie dans son contrat des cours de surf avec un coach. « Je n’en avais jamais fait, je suis partie de zéro sur une planche en mousse, comme les enfants ; j’avais le temps – trois mois. Chaque jour, on allait sur un spot différent, Anglet, Biarritz, en Espagne, dans les Landes… Vite, très vite, j’ai eu une sensation. Puis c’est devenu une obsession, j’étais bercée. Je me suis dit que j’avais vu juste. Et à la fin de la résidence d’été, j’ai signé pour une nouvelle résidence, d’hiver cette fois, juste pour le surf. » Le sport est alors une telle obsession que « quelques heures avant un événement hyperimportant à Paris, j’ai fait un semi-marathon ! » Pour se dépasser, se surpasser, se combattre elle-même. Et pour le plaisir de jouer, mais jamais vraiment pour la gagne. Il lui faut évacuer. Évacuer le stress, évacuer une rage qui la ronge, parfois. Le sport, les sports, sont devenus son exutoire. Et une manière de « travailler mon mental, surtout quand je suis prise de doute, quand je dois affronter un passage à vide ».
Puis est venu le temps de se poser. Ce sera à Arles, découverte à l’aune d’une résidence à l’Uma fraîchement inaugurée. Ça ne sera pas toujours simple. Le sport ? Plus le temps, ni vraiment d’envie. Passer à un autre cycle, peut-être? Pas sûr. Car la mécanique est la même. « En sport comme en cuisine, on ne progresse qu’en exécutant encore et toujours les mêmes gestes. C’est la répétition qui fait le bon sportif comme le bon cuisinier; je m’entraîne dans ma cuisine comme sur un terrain. » Et d’ajouter: « Inari, c’est une vraie course de fond, parce qu’on commence en mars, on finit fin octobre. Il faut tenir la distance vu la taille de la terrasse et celle de la cuisine, la canicule… C’est très, très physique. Alors le sport, le vrai, passe un peu après. » Pour le moment, car elle avoue penser se mettre, en plus de la boxe qu’elle pratique de nouveau régulièrement, au kitesurf – « Il y a un spot de dingue, Bouduc, tout à côté » –, au cheval – « la Camargue, forcément… », – à l’aviron… Peu importe finalement le sport pratiqué, ce qui compte c’est l’adrénaline, le dépassement, le sens de l’effort, l’accomplissement. « C'est bizarre parce que, aujourd’hui, je considère que ce que l’on fait, avec ma petite brigade, c’est comme un vrai sport collectif où, en salle comme en cuisine, on se repose vraiment les uns sur les autres. J’aimerais bien un jour les entraîner vers un vrai terrain de sport, de foot par exemple… j’ai même déjà pensé aux maillots! » Trois en cuisine, quatre en salle, et une apprentie, de quoi monter une équipe de foot à cinq solides !
Cet article est extrait du magazine Gault&Millau #5. Pour ne pas manquer les prochains, abonnez-vous.
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