Amandine Chaignot x Antoine Jacobsohn : Pour le goût du vivant
Un jardinier et une cheffe, un ingénieur et une cuisinière, tous deux passionnés par l’univers de l’autre – lui du restaurant, elle du potager. La rencontre était naturelle, voire inévitable. Amandine Chaignot a invité Antoine Jacobsohn chez elle, dans le premier restaurant qu’elle a ouvert à Paris, Pouliche.
Exemplaire, le parcours d’Amandine Chaignot l’a menée de restaurants gastronomiques à un bistrot de campagne, au cœur du Perche, la poussant à faire de sa cuisine un terrain d’expérimentation pour le bien commun. Désormais à la tête de quatre tables, dont trois à Paris, elle incarne une nouvelle génération de cheffes, libres et décomplexées. Adjoint au directeur de l’École nationale supérieure de paysage à Versailles, Antoine Jacobsohn est en charge depuis 2007 du Potager du roi, vitrine d’une certaine excellence à la française, popularisant, à sa manière, la (re)découverte de fruits et légumes parfois oubliés et explorant les relations entre l’histoire des plantes et les pratiques contemporaines de productions et de consommations. Passionnés de cultures et de cuisine, ils se sont reconnus et sont passés du vouvoiement au tutoiement avec une aisance déconcertante.
Gault&Millau : Le restaurant qui vient d’ouvrir dans le Perche s’appelle Sauge. Pourquoi ?
Amandine Chaignot : C’est à la croisée de plein de réflexions différentes. Il y a la sauge salvatrice, la sauge purificatrice, la sauge aromatique. Et finalement, la cuisine c’est un peu tout ça aussi. Une bonne cuisine, c’est une cuisine qui a du goût, qui fait plaisir, qui fait du bien, qui restaure. Je voulais qu’il y ait plusieurs sens de lecture. Et puis, pour moi, c’est un peu l’herbe discrète, celle qu’on oublie. Ce n’est pas tape-à-l’œil, la sauge. L’idée était aussi d’avoir un lieu où on est bien, qui n’est pas dans la démonstration. Où l’on revient au principe même du restaurant : se faire du bien.
Antoine Jacobsohn : Dans un jardin, la sauge, comme beaucoup d’autres plantes aromatiques, a des effets soit répulsifs, soit attractifs. Les sauges ont tendance à attirer les abeilles, à éloigner les pucerons. Et le mot sauge me plaît beaucoup. Mais pourquoi la campagne ? Pourquoi quitter Paris ?
A.C. : Je n’ai pas quitté Paris. J’ai ouvert un nouveau restaurant qui vient en complément de mes tables parisiennes. Je pense qu’on a tous des moments de vie où on a des attentes différentes. Où on a envie d’investir son énergie autrement. Aujourd’hui, je me rends compte que j’ai envie de plus de temps long, d’être moins dans l’immédiateté. J’ai vraiment eu un coup de cœur pour le Perche. Puis je me suis rendu compte que c’était une région vraiment riche en matière d’agriculture et de diversité. Et, dans l’idée de m’investir sur un projet dans la durée, avec une réflexion un peu plus poussée sur certaines choses, j’ai trouvé que ça avait du sens d’être au cœur de cette production de qualité.
A.J. : Je trouve ça important parce que je pense que c’est une relation au temps. Quand on travaille avec les plantes ou en agriculture, on est toujours dans le temps long.
Alors qu’en cuisine tout semble minuté…
A.C. : Oui, c’est vrai, mais il y a aussi plein de plats qu’on anticipe. Cette semaine, on a fait de la joue de bœuf. Démarrée la veille, on la fait mijoter, puis on reprend la sauce, on la lie, on la réassaisonne…
Vous avez le sentiment de vous inscrire dans un temps qui s’est allongé ?
A.C. : En tout cas, c’est ce que je recherche. J’ai envie d’être moins dans cette frénésie du faire.
A.J. : Quand tu crées un jardin, ou quand tu l’entretiens, tu sais qu’il faut deux, trois, quatre, cinq ans avant que ça soit installé. Ça prend au moins dix ans pour changer un jardin. Après dix-huit ans à la tête du Potager du roi, je ne suis même pas sûr de l’avoir beaucoup changé. Un jardin a sa propre vie. Mais le jardinier peut aussi être dans une certaine immédiateté. Quand les courgettes démarrent, il faut y aller tous les jours…
Que voyez-vous dans un jardin potager que vous ne verriez pas ailleurs ?
A.J. : Jean-Baptiste de La Quintinie, le créateur du Potager du roi expliquait qu’« un jardin fruitier et potager doit être comme une table bien mise ». Il faut qu’on y trouve toujours tout ce qui est nécessaire à un moment donné de l’année pour manger.
A.C. : Il y a aussi une idée d’harmonie derrière cette table bien mise. Il y a une question à la fois organisationnelle et esthétique.
A.J. : Je suis d’accord. À un des jardiniers qui m’interrogeait hier sur les plantes ornementales, je lui disais que toutes les plantes comestibles sont ornementales. L’organisation, c’est un peu la joie. Une des joies que j’ai toujours, c’est que ce jardin utile soit aussi agréable. Ce jardin – ou une table où l’on trouve ce que l’on a envie de manger – peut être agréable à regarder. Il n’y a pas de contradiction entre le bien organisé et le beau. En termes organisationnels, esthétique ou pas, tout ce qui est le plus intensément cultivé est très proche de la maison des jardiniers. Au fur et à mesure qu’on s’éloigne, les produits sont toujours aussi bons, mais ce sont les cultures dont on s’occupe moins. C’est ça, le design permaculturel aujourd’hui.
Organisation et contrôle...
A.J. : D’un autre côté, il faut accepter de ne pas tout maîtriser…
A.C. : Ce qui n’est pas le cas en cuisine. Parfois, on fait des trucs qui ratent, mais on est toujours dans le contrôle. C’est peut-être pour ça qu’être au jardin est très équilibrant pour moi. Ça me permet de lâcher prise, de laisser faire, de ne plus être la cheffe toute puissante sur son univers.
A.J. : Mais en cuisine, vous ne contrôlez pas la qualité des produits au départ. Vous pouvez certes les choisir. Mais, à la cueillette, la fraise qui est au soleil est généralement meilleure que la fraise qui est en dessous de la feuille. Mais la personne qui achète la barquette ne sait pas ça.
A.C. : Non, en revanche, la personne qui l’achète peut très bien aller acheter des fraises chez untel parce que lui veille à ce qu’il n’y ait pas trop de feuilles, que ses fraises soient bien exposées. C’est aussi pour ça que j’ai construit une relation de confiance sur plusieurs années avec les producteurs et que nous sommes capables d’avoir ces discussions-là.
A.J. : Ça, c’est le double temps selon moi. La confiance ne peut venir qu’avec le temps. Et avec, comment dire, la reconnaissance de la difficulté de l’un et de l’autre. Y compris la différence de gestion du temps. C’est aussi pour ça qu’il est indispensable, selon moi, que les jardiniers goûtent ce qu’ils produisent. Qu’ils sachent si le légume ou le fruit, à ce moment-là, est bon ou pas pour la cuisine que le chef veut faire.
La meilleure manière de découvrir le monde passerait-elle par le goût ?
A.C. : À travers le goût. C’est une belle manière, en tout cas. De partager aussi. Ce qui me plaît dans mon métier, c’est qu’une fois autour de la table, tout le monde est à égalité. C’est un endroit de partage où, généralement, on oublie un peu les différends qu’on peut avoir au-dehors.
A.J. : Je suis d’accord. C’est un espace de réconciliation. Est-ce que le goût est une manière de découvrir le monde ? Oui, et il y a des choses universelles sur le goût. Quand on fait goûter une bonne pêche, tout le monde s’accorde dessus. Il y a quelque chose de vraiment primaire. Mais j’ai une question, Amandine : comment fait-on pour travailler dans plusieurs lieux à la fois ? Comment ça marche ? Es-tu schizophrène ?
A.C. : Alors, monsieur le psy : Non ! [Rires.] Chaque endroit a sa propre créativité. Je suis sûre qu’il n’y a pas qu’un jardin dans ta tête. Tu peux imaginer un jardin un peu romantique au bord d’une rivière, ou un autre plus factuel, une petite surface pour une maison de banlieue… tu vois chaque fois des choses très différentes. Moi, c’est un peu pareil. La cuisine, comme un jardin, peut se décliner de plein de façons différentes. Je n’avais pas envie de me cantonner à une seule expression. Je pense que quand on est capable d’avoir une réflexion sur un terrain, on peut l’exprimer avec d’autres contraintes, dans d’autres circonstances. C’est ça qui me passionne.
A.J. : C’est juste. Peut-être que je suis plus monomaniaque. Mais c’est vrai que je peux imaginer une organisation différente selon que je suis dans un jardin de banlieue sur un terrain sableux ou à la campagne au bord d’une rivière. Je vais choisir des légumes différents, mais en même temps je vais avoir besoin de concombre dans les deux. Il y a des constantes qui vont revenir.
A. C. : Oui, et c’est la même chose en cuisine.
Mais pour autant, c’est vrai qu’on ne peut pas avoir le même concombre, chez Népita, Luce, dans le Perche ou ici, chez Pouliche.
A. C. : Ah non, c’est complètement différent. Ce sont quatre identités radicalement différentes. Différentes, mais avec des valeurs communes.
Comme un créateur de mode qui travaille sur plusieurs collections au même moment, et parfois même pour différentes maisons…
A. C. : Oui, je pense que c’est ça. Parfois, tu vas réfléchir sur un sujet, et puis tu vas te dire que c’est une super idée, mais ça ne va pas dans ce lieu. En revanche, ça serait parfait ici ou là. Avoir plusieurs lieux crée ce bouillonnement. Il faut juste faire attention à ne pas se perdre.
L’indispensable d’un jardin potager ?
A. C. : Les herbes aromatiques. Je ne cuisine pas beaucoup avec les épices, mais j’adore les herbes. Je fais beaucoup de condiments herbacés. Il y a quelques jours, on a fait un beurre monté à l’angélique, que j’ai redécouverte. En matière de légumes, j’adore les haricots verts, j’ai des souvenirs d’enfance de produits incroyables. Les pêches blanches, c’est pareil. Celles chez ma mère, toutes petites et amères, avaient un goût très particulier, assez peu sucré, une chair un petit peu farineuse. Je pense que c’était un vieux pêcher, pas du tout greffé. Malheureusement, ce type de pêcher disparaît, on va vers une standardisation du goût…
A. J. : Le sens du potager, c’est de proposer une collection. Ce n’est pas un conservatoire. Je faisais une transcription l’autre jour d’un texte d’un jardinier en chef du Potager du roi, dans la décennie 1870-1880, qui regrettait déjà l’intérêt des producteurs à avoir des arbres ou arbustes qui produisent beaucoup, même si le goût était médiocre. Si vous voulez de bons produits, il faut aller chez un collectionneur. C’est sans doute pour ça que « de la fourche à la fourchette » a autant le vent en poupe.
A. C. : Le vent en poupe, dans le bon sens, c’est faire ce circuit du jardin à la cuisine. L’intention est bonne, mais c’est quand même très difficile à organiser. Quand j’ai commencé le jardin à la maison, je pensais faire pousser toutes les herbes aromatiques pour le restaurant. Au bout de deux mois, je me suis rendu compte qu’il y avait un principe de réalité : ton métier, ce n’est pas là-bas. C’est un vrai savoir-faire, c’est du temps. Et puis, ce que je trouve génial c’est qu’en France on a des terroirs qui sont très différents. Pourquoi s’en priver ?
La logique et les contraintes de production de masse ont également modifié nos jardins et nos assiettes…
A. J. : J’ai un dada : les fraises. Aujourd’hui, ce qu’on mange généralement c’est un hybride de la fin du xviiie siècle, qui n’existait pas avant. Ce qui existait, alors, c’était la fraise des bois et le fraisier musqué. C’est la meilleure du monde, c’est mou, c’est petit, ça a le goût d’une Tagada. Mais c’est intransportable. J’ai trouvé des tableaux du xvie siècle où l’on voit que, pour les cueillir, ils coupaient les branches et faisaient un bouquet avec des fraises en guise de fleurs pour pouvoir les conserver et les consommer.
A. C. : Les radis ont toujours été produits pour la racine, mais moi j’adore les graines de radis, ou plutôt les fruits de radis. Personne n’en fait, parce que les productions sont pensées pour ramasser les radis. L’autre jour, j’ai goûté les fleurs d’endive. C’est hyperbon, intéressant, avec un petit goût miellé…
A. J. : Les fleurs que j’aime bien, qui ont le même goût que le légume, ce sont les fleurs de roquette…
A. C. : Ah oui, c’est délicieux. Ça, tu peux en trouver. Les maraîchers ont compris que c’était intéressant.
A. J. : Dans les années 1990, j’ai travaillé pour le Conseil national des arts culinaires, le Cnac. On avait sélectionné la carotte de Saint-Valery-sur Somme. Pour moi, c’est la meilleure carotte que j’ai goûtée. Cette variété a de vraies particularités, déjà visuellement. Puis elle n’est pas juste croquante, craquante comme une carotte de Nantes, elle a un côté moelleux. Crue, elle « crunche » ; cuite, elle a un côté presque viande dans la mâche. Je pense aussi au chou de Milan de Pontoise, qui est encore produit autour de Pontoise. C’est un chou qui a tout du chou, sauf le côté musqué. Et donc, on le cuit au four, juste avec du beurre et du thym.
A. C. : Ah, j’adore ! Et puis, ils sont vraiment beaux, ces choux. Je me souviens de ceux de Laurent Berrurier, tellement majestueux qu’on avait juste envie de les mettre comme ça, sur des tables.
Justement, quand on a travaillé pour ce genre de structure tournée sur le passé, comment se projette-t-on vers l’avenir ?
A. J. : Je pense qu’au Cnac se préparait justement l’avenir. Le but était de dresser un inventaire, un instantané de tout ce qui était encore en production en France. Au moment où ce travail a été fait, il n’y avait pas encore d’IGP. C’était en réalité un moyen de voir ce qui pouvait passer ensuite en IGP ou en AOP. Et de faire tout le tour. Prenons l’exemple de la salicorne : il y avait une tradition de cueillette dans la baie de Somme ou l’estuaire de la Charente, mais ce travail d’inventaire a très certainement aidé, favorisé le développement de la filière. Et des chefs, comme Yannick Alléno, ont aussi repris le flambeau…
Le producteur a une responsabilité, mais le chef en a une aussi…
A. C. : Oui, nous sommes des ambassadeurs. Tu as beau avoir la meilleure production de la terre, il faut qu’il y ait un chef qui arrive à en faire quelque chose, à le sublimer. Déjà, tous les clients vont dire « Ah ! mais c’est magnifique ce truc. » Et après, quand ils vont retourner au marché, ils vont voir les choux de Milan de Pontoise et ils vont dire « C’est génial, j’ai goûté, c’est trop bon », et ils vont en acheter. On a cette chance, et ce devoir, de valoriser, de pouvoir mettre en avant des produits qui sont fabuleux. Un restaurant, c’est un espace de diffusion.
Alors, quel va être le prochain légume qu’on va voir partout ?
A. C. : Il y a quelques années, le navet de Pardailhan était à la mode, un navet fabuleux. Plus personne n’en fait maintenant. J’ai voulu en avoir pour l’année prochaine, impossible d’en trouver. C’est ça aussi que je trouve intéressant dans la cuisine, comme dans les légumes et dans les semences, cette notion de désirabilité, de mode.
A. J. : Comme le poivre du Sichuan… À un moment donné, personne ne savait que ça existait, que des gens en produisaient. Et puis, tout d’un coup, les poivres du Sichuan ont pris leur envol. Peut-être parce qu’il y a ce côté agrumes, et qu’on s’y reconnaît… Je suis au conseil d’administration du Conservatoire national des plantes à parfum, médicinales et aromatiques. J’avais choisi d’intégrer une variété anglaise de romarin dans leur collection : frais, il a un côté assez médicinal ; sec, il est encore plus étonnant, perdant son aspect camphré et devenant plus mentholé. Il y a toute la garrigue dans son parfum, un peu comme la sarriette…
A. C. : C’est sous-coté, la sarriette !
A. J. : Il lui faut, en face, un légume qui a du répondant. Même dans sa feuille, la sarriette a un côté anguleux, un peu dur à adopter
L’importance que les jardiniers soient aussi des gastronomes…
A. J. : Tous les bons jardiniers que je connais sont aussi de bons cuisiniers. Et tous les chefs que je connais aiment jardiner.
A. C. : Nous, le jardin est notre matière première. C’est comme la terre d’un potier. Tu as besoin de ça. C’est ton sujet. Si tu ne l’as pas, tu es stérile.
Comment appréhendez-vous les bouleversements climatiques ? J’imagine qu’on ne peut plus cultiver comme Jean-Baptiste de La Quintinie ?
A. J. : C’est l’un des sujets qui m’intéresse le plus aujourd’hui. Je coorganise un colloque en juin 2025 autour de la conservation des jardins historiques dans le cadre du changement climatique. Je pense tout d’abord que ce n’est pas si compliqué que ça. Le changement climatique existe, les fluctuations sont de plus en plus fortes. Le biologiste Olivier Hamant explique qu’on est passé d’un système ou d’une culture de la moyenne à un système de l’écart type. Cette année, avec les pluies, la tomate n’était pas très bonne, mais si vous en aviez sous tunnel, vous pouviez en produire. Donc, ce n’est pas dans l’immédiat que c’est problématique. Mais comment fera-t-on à long terme ? Comment faire en sorte que les arbres, surtout les arbres, gèrent ces changements dans le temps ? Il faut trouver des variétés qui gèrent les fluctuations. En Italie, Isabella Dalla Ragione a identifié les variétés de fruits et légumes présents dans les peintures italiennes des xvie et xviie siècles, puis repéré celles qu’on pouvait retrouver aujourd’hui. Un certain nombre de ces variétés sont en réalité françaises. Ça m’intéresse de les rapporter en région parisienne et de voir ce qui se passe – c’est mon côté ingénieur. C’est l’épigénétique, la différence entre le génotype et le phénomène, la différence entre ce qu’est le matériel génétique et la manière dont ce matériel s’exprime. Et il s’exprime différemment selon les conditions environnementales.
A. C. : Quand j’ai ouvert Pouliche, j’avais beaucoup lu sur l’impact de l’alimentation et sur l’agriculture. Et je savais qu’on ne pouvait pas imaginer réfléchir à un restaurant aujourd’hui de la même manière qu’il y a trente ou cinquante ans. Les circuits courts, les produits de saison, ça paraît tellement… évident.
A. J. : C’est évident, mais en même temps, c’est exactement ce qu’ils ne voulaient pas faire avant. Quand le roi voulait quelque chose, c’était précisément parce que ce n’était pas courant.
A. C. : De l’exceptionnel, on veut toujours de l’exceptionnel.
A. J. : Il faut donc revenir à des choses qui sont inhabituelles, tout en restant de saison… On revient à la mode et au jeu de balancier… La balle est donc du côté des producteurs.
A. C. : Il faut aussi faire attention à ne pas être dans un côté trop extrémiste. J’ai un iPhone, une paire de baskets qui sont faites avec du pétrole. Si tu es trop braqué sur certaines positions, tu perds les gens. On ne doit pas être trop communautariste, au contraire. Un restaurant est là pour rassembler.
La mission du Potager du roi, c’est « produire, expérimenter et transmettre ». N’est-ce pas celle aussi du restaurant ?
A. J. : La question est comment fait-on la transition de ce genre de plaisir – la fleur de roquette ou la fraise Capron – à ce qu’on donne à manger à tout le monde ? Finalement notre production, elle est pour qui ? Et comment est-ce qu’on peut l’utiliser pour dépasser, en quelque sorte, la limite de nos produits ? Comment l’applique-t-on par exemple aux menus servis dans les cantines ? Dans ces jardins historiques – Versailles, Vaux-le-Vicomte, ou Chantilly –, mais pas seulement, on a l’opportunité d’essayer de gérer, de mettre en place les choses qui peuvent nous aider à imaginer la transition. Comment est-ce qu’on va gérer vingt-cinq ans, trente ans ? Il faut que le patrimoine soit le lieu où on expérimente le futur. Et le Potager du roi le permet. Et je pense que dans la cuisine, c’est un peu les mêmes questions.
A. C. : La vraie question est comment gagner sa vie en tant que chef, parce qu’il y a des centaines de façons d’être chef aujourd’hui : le chef propriétaire qui est tous les jours dans son bouclard, le chef qui a développé plusieurs business, le chef qui fait du consulting, le chef qui fait de l’événementiel… Autant de façons vraiment différentes de travailler. Moi, aujourd’hui, je ne gagne pas un euro sur le restaurant, je gagne ma vie avec le consulting, l’événementiel et les partenariats de marques…
A. J. : Le restaurant c’est une passion et également une vitrine…
A. C. : Je n’ai pas du tout une vision manichéenne en disant que les petits producteurs sont tous magnifiques et les grands industriels, tous des salauds. Nous, les chefs, sommes dans une position rarissime de pouvoir justement rentrer dans les lignes de production, dans les usines, d’avoir accès aux cahiers des charges. Nous pouvons donc intervenir, essayer de faire bouger les lignes… Évidemment, le système n’est pas parfait, mais nous pouvons échanger, pousser à faire plus, et mieux. Il n’y a pas grand monde qui peut le faire et je pense que c’est aussi de notre responsabilité. L’économie du partenariat et de l’engagement de l’image peut pousser dans le bon sens.
A. J. : Et faire rayonner le fruit de recherches et d’expérimentations menées au jardin ou en cuisine donc… Mais comment faire pour maintenir non seulement les circuits courts, mais aussi les connaissances entre les métiers ? Le temps du jardinier, les réussites du jardinier par rapport au temps de cuisine du chef, comment l’un et l’autre se comprennent ? Parce qu’en réalité, certaines études le montrent, quand on achète un produit alimentaire, on ne paye qu’un tiers de son prix. Comment fait-on pour connaître le vrai prix ?
Ces actualités pourraient vous intéresser
Sirha Lyon 2025 : Gault&Millau présent au rendez-vous incontournable de la gastronomie mondiale
Du 23 au 27 janvier 2025, Sirha Lyon célèbre la gastronomie mondiale. Événement phare, les professionnels et passionnés découvrent tendances, innovations, démonstrations culinaires, avec la présence de Gault&Millau."Produit de bouche, équipement de cuisine, art de la table, solution de service ...
Retrouvez la liste complète des partenaires qui font confiance à Gault&Millau
Tous nos partenaires