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À Bar-le-Duc, Anne Dutriez perpétue le secret royal de la confiture de groseilles

À Bar-le-Duc, Anne Dutriez perpétue le secret royal de la confiture de groseilles

Dans un quartier discret, à l’écart de la ville haute qui se dresse à 240 mètres d’altitude, se niche la Maison Dutriez, unique fabricante d’un trésor qu’il faut avoir goûté au moins une fois dans sa vie, la confiture de groseilles épépinées à la plume d’oie, surnommée le caviar de Bar.

Philippe Toinard Publié aujourd'hui à 10:22

En 1559, Marie Stuart, reine d’Écosse et femme de François II, aurait comparé cette confiture à un rayon de soleil dans un pot. Rois, reines, ducs, comtes, commandants de troupes, gouverneurs de passage dans le duché de Bar s’en délectaient quand, des siècles plus tard, Alfred Hitchcock ne descendait que dans les hôtels qui la proposaient au petit-déjeuner. C’était l’âge d’or de cette confiture vendue dans le monde entier par dizaines de milliers de pots. En 1974, Jacques Dutriez rachète la société À la Lorraine et par la même occasion, la recette. Quelques années plus tard, Yves, son fils, prend le relais, puis Anne, sa petite-fille, qui abandonne ses études de management pour perpétuer un savoir-faire unique dont l’origine remonte au XIVe siècle.

L’abnégation d’Anne Dutriez

Il en faut du courage pour préserver à bout de bras une production historique qui n’excède pas 6 000 pots par an, mis en vente si seulement deux conditions indispensables sont réunies. La première, une quantité de fruits, les fameuses groseilles, rouges ou blanches, apportées localement par des particuliers qui récoltent ce fruit, grappe par grappe, apportée en quantité suffisante (au minimum 500 kilos de groseilles sont nécessaires pour remplir potentiellement 5 000 pots). Le poids global peut en effet paraître dérisoire à atteindre, mais c’est sans compter sur le passage des oiseaux migrateurs au-dessus de la Meuse qui s’en régalent avant la récolte. S’ils jettent leur dévolu sur les cerisiers, la production sera assurée, s’ils jettent un œil sur les groseilliers, l’année sera plus compliquée.

La seconde, qu’Anne Dutriez ait à sa disposition une main-d’œuvre qualifiée, les fameuses épépineuses, qui ôtent avec délicatesse les sept pépins contenus en moyenne dans chaque grain. Cet art réclame de la patience et un savoir-faire difficile à décrire. Celles qui le pratiquent ont appris le geste de leur mère, leur grand-mère ou leur tante et les meilleures d’entre elles peuvent épépiner 4 à 5 kilos de groseilles par jour quand une débutante atteint péniblement le kilo. Mais pourquoi une plume d’oie quand il existe d’autres outils comme le couteau ou le ciseau ? Le couteau est banni car sa lame oxyde le fruit. Le ciseau aussi car sa lame, trop épaisse, éclate le grain. Il ne reste alors que la plume d’oie taillée en biseau. Trempée dans de l’eau froide pour rester tendre, calée entre l’index et le majeur, la pointe de la plume permet d’inciser chaque grain au niveau du pédoncule avant de s’enfoncer délicatement dans la chair à la quête des pépins qu’il faut, par un coup de main d’une précision chirurgicale, retirer sans abîmer le grain qui doit rester entier.

Maison Dutriez © Michel Petit
© Michel Petit

Recette ancestrale

Épépinés, les grains sont livrés dans les heures qui suivent, dans la fabrique d’Anne Dutriez qui les verse entiers dans des bassines centenaires remplies d’un sirop de sucre bouillant. C’est à cet instant que le secret entre en scène. Pour certains, il s’agit d’un tour de main qui se transmet depuis des siècles, pour d’autres la maîtrise de l’ébullition qui suit la plongée des grains dans le sirop. Le mystère reste entier, et c’est tant mieux. Quelques minutes plus tard, à la surface, apparaît une couche d’écume qu’Anne s’empresse d’ôter avec le dos arrondi d’une cuillère. Il faut écumer longuement, presser chaque grain délicatement sans l’écraser pour faire ressortir cette mousse qui s’infiltre dans l’entaille faite par la plume d’oie et au passage, récupérer les derniers pépins qui auraient échappé aux épépineuses. Vient alors l’étape du repos, une nuit entière pour permettre à la confiture de se solidifier. Au petit matin, après un dernier écumage, Anne remplit les pots, stérilise puis étiquette. Une partie des pots prend place dans le magasin quand d’autres filent chez les revendeurs en France et à l’étranger.

100 grammes de plaisir

Rouge, blanche ou plus rare, rosée, la confiture de groseilles est un met à part qui se déguste en deux coups de cuillère à pot. Pensez donc, 100 grammes quand la majorité des pots de confiture traditionnels pèse le triple. Seulement, ce trésor Barisien, c’est de l’artisanat d’art, de la tradition. Chaque grain éclaté sous le palais libère la parole pour conter cette histoire hors du temps. Défendre et apprécier ce morceau de notre patrimoine, c’est aussi soutenir une quadragénaire qui s’évertue depuis ses 20 ans à préserver un savoir-faire vieux de six siècles qui aurait pu disparaître. Elle pourrait se contenter de faire de la confiture de groseilles classique pleine de pépins mais entre un pépin coincé entre deux dents après le petit-déjeuner et une douceur qui enveloppe les papilles pour la journée, elle a choisi son camp.

Maison Dutriez

  • Où ? 35, rue de l’Étoile, 55000 Bar-le-Duc
  • Tél. 03 29 79 06 81
  • www.groseille.com

Cet article est extrait du guide Grand Est 2026. Celui-ci est disponible en librairie et sur le e-shop Gault&Millau.

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