48 heures à Beaune
Bourgogne-Franche-Comté/2023
La cité bourguignonne a traversé les siècles sans perdre ni son charme ni son identité. Petite ville prospère dont la simple évocation fait rêver les amateurs de bouteilles du monde entier, elle flotte comme une île au cœur d’un océan de parcelles aux noms poétiques. Hors les murs, c’est œnotourisme à toutes les sauces. Intramuros, il s’agit de slalomer entre négociants et bars à vin pour atteindre le Graal : les hospices de Beaune, temple de la charité, berceau du gothique et théâtre de folles enchères.
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Le liquide doré qui tournoie dans le verre, le pourpre clair traversé par la lumière qui chavire sous le mouvement circulaire du poignet : cette scène, vous la croisez à l’infini à Beaune, la ville-vin. Depuis l’Antiquité, le jus de la treille coule dans ses veines. Les Romains le buvaient mêlé d’herbes et d’épices. Les moines, puis les ducs de Bourgogne, apprirent à le travailler et à le hisser au sommet du raffinement, laissant la vigne envahir et modeler le paysage. Pétrarque prétendait que l’obstination des évêques d’Avignon à ne pas vouloir retourner à Rome venait de leur crainte de ne plus être alimentés en vins de Beaune. Et ce ne sont pas les visiteurs qui se bousculent dans la cité – 4 000 chambres d’hôtel pour 20 000 habitants – qui leur jetteront la pierre.
Où que vous vous promeniez, vous enjambez sans le savoir les voûtes d’une cave, vous butez sur des tonneaux, un bar à vin. Dans les rues étroites qui ont gardé leurs pavés, les idiomes s’entrechoquent. On vient ici du monde entier pour le charme préservé des anciennes fortifications, des maisons de pierre blanche coiffées de tuiles vernissées, et pour les monuments élégants. Mais, surtout, on veut « déguster ». Chacun joue au connaisseur le temps d’une visite, plonge le nez dans son verre d’un air inspiré pour deviner les arômes de fruits rouges, de cuir ou de miel avant de siroter une petite gorgée, béat.
Pour la majorité pourtant, le bourgogne reste un étalon difficile à maîtriser. Il est issu d’un pays adepte du monocépage – pinot noir pour les rouges et chardonnay pour les blancs –, mais surtout des microparcelles. Et, si la taille de cette terre historique ne représente que 3 % du vignoble français, elle compte le plus grand nombre d’appellations, assumant avec fierté la quintessence de la notion de terroirs, baptisés ici « climats ». On en dénombre plus de 1 400, minuscules espaces façonnés par le travail de l’homme, identifiés par rapport au vin qu’ils produisent. Leurs noms sont autant de promesses des dégustations à venir : Aux Beaux Bruns, Les Poulettes, La Jeunellotte, Sous le Dos d’Âne…
Pour se repérer dans ce patchwork géographique et gustatif, la première visite à s’offrir en arrivant est sans conteste celle de la Cité des climats et vins de Bourgogne. Fraîchement inaugurée, elle fut initiée lors du classement du terroir par l’Unesco en 2015. Elle propose un voyage aussi ludique que pédagogique. À vous la « cave aux arômes » pour apprendre à déguster et les multiples cartes pour comprendre l’organisation du vignoble. Armé de ces outils, il ne reste plus qu’à se laisser dériver aux abords de la ville pour explorer le paysage qui s’écoule de combes en collines.
Il existe peu de châteaux en Bourgogne, plutôt des maisons de maître. La modestie des domaines est inversement proportionnelle à leur renommée. Un arrêt dans l’une de ses prestigieuses demeures, à l’image de celles de Meursault, donnera l’occasion de s’étourdir dans le clair-obscur d’un dédale de caves aux senteurs de moût, de bois et de salpêtre. Et de rêver devant les étiquettes de quelques crus et millésimes rares. L’œnotourisme est souvent l’autre source de revenu des familles, à la tête d’exploitations qui sont de véritables musées vivants.
Le retour en ville donne envie de sortir de l’enceinte des remparts pour explorer ce qui se passe de l’autre côté du « périph’ ». Du côté des villas Fondet, par exemple, pépites Art nouveau imaginées par un couple de notables à la fin du XIXe siècle. Toitures polychromes, cabochons de céramique et dentelles de terre cuite : cachée dans une impasse, cette douzaine de petites merveilles ravit le regard. Un peu plus loin, la famille Fallot exploite la dernière moutarderie artisanale de Bourgogne – la région est source de 90 % des 95 000 tonnes produites en France. Graines meulées sur place, déclinaisons de parfums sophistiqués et vinaigres rares : la boutique est étourdissante.
En revenant intramuros, entre un fabricant de pain d’épices et un spécialiste des escargots, une plaque raconte que Louis Chevrolet, fondateur de la fameuse firme américaine, a passé son enfance ici, dans l’atelier de mécanique de ses parents. Ce ne sont pas les patronymes célèbres qui manquent : la Maison Champy, l’une des premières familles de négociants de la cité et l’une des dernières à avoir vinifié à l’intérieur de la vieille ville, confiait en 1891 à un certain Gustave Eiffel le soin d’agrandir ses locaux, posés sur les caves d’un ancien couvent de sœurs jacobines datant du XVe. L’architecte avait été recommandé par Louis Pasteur, lui-même mandaté par Napoléon III pour trouver une méthode de conservation du vin. C’est chez Champy qu’il inventa la pasteurisation.
Mais la star, à Beaune, ce sont les hospices. Avant de devenir en 1988 ce sublime espace muséal, le bâtiment gothique fut dédié à l’accueil des plus déshérités. Créé par Nicolas Rolin, chancelier de Philippe le Bon, et géré par son épouse, ce « palais pour les pauvres » était conçu pour guérir autant par les soins modernes que par la beauté. Cette majesté a survécu au temps et touche au cœur tous les visiteurs. Au point que les donations de vignes se poursuivent : 80 hectares à ce jour, dont 60 exploités par les hospices. La grande vente aux enchères du troisième dimanche de novembre, menée par Sotheby’s, demeure le morceau de bravoure de l’année beaunoise, qui perpétue sa tradition de philanthropie, faisant vivre un hôpital et une maison de retraite. « Il y a plus de philosophie et de sagesse dans une bouteille de vin que dans tous les livres », avait déclaré Pasteur à son retour de Beaune. Dont acte. G. B.
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