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Un pâtissier, un artiste, une collab

Un pâtissier, un artiste, une collab

Anne Debbasch | 09/02/2023

Pour poursuivre notre série de conversations gourmandes, Gault&Millau part à la rencontre de Jessica Préalpato, ancienne cheffe pâtissière du Plaza Athénée, et de l’architecte Marguerite Cordelle, du Studio Kokumi, avec qui elle dessine les contours de sa toute première boutique parisienne, Racynes & Mélilot, qui ouvre ses portes fin janvier.

Gault&Millau : Est-ce votre première collaboration avec un autre univers ? 

Jessica Préalpato : En 2021, j’ai eu l’opportunité de travailler avec le nez de Guerlain, Delphine Jelk, autour de la collection « Aqua Allegoria Nettare di Sole ». Elle m’a fait découvrir l’architecture des parfums, une dimension que je ne donnais pas à mes desserts. Désormais, j’appréhende ma pâtisserie à travers la texture, le goût, mais aussi l’odeur. La rencontre avec Marguerite est ma seconde collaboration.  

Marguerite Cordelle : Le monde de la gastronomie me plaît énormément. J’ai travaillé à plusieurs reprises sur la décoration de restaurant, mais c’est la première boutique de pâtisserie que j’imagine. En tant qu’architecte, toutes les échelles m’intéressent, du dessin de mobilier aux façades. Mon attention se porte sur les matériaux, leur durabilité, les formes. 

G&M : Qu’est-ce qui vous a séduit dans l’univers de l’autre ? 

J. P. : Mon associé, Emmanuel Trotot, nous a présentées. Dès le premier rendez-vous, Marguerite a capté ce que nous voulions. Le brief était pourtant succinct et se résumait à quelques mots : matière, chaleur, convivialité et continuité des espaces. Nous sommes allées spontanément les uns vers les autres, elle en découvrant ma pratique, axée sur la naturalité, moi en m’imprégnant de son univers. Notre collaboration s’est construite autour des matières brutes : les briquettes, la terre cuite, la pierre et le bois. 

M. C. : L’approche de Jessica a immédiatement fait écho à la mienne. Elle porte la même attention à l’environnement que moi dans mon quotidien d’architecte. Nous nous sommes retrouvées sur les matériaux, leur texture aussi. Mon idée est toujours de proposer des formes et des matières qui seront durables. 

G&M : Que vous êtes-vous apportées ? 

J. P. : Nous nous sommes mutuellement entraînées dans la prise de risques. Marguerite m’a poussée à sortir de ma zone de confort. Sans elle, j’aurais sans doute choisi une ambiance plus classique, alors que je voulais quelque chose de décalé, d’inattendu, quelque chose qui me ressemble et me permette de partager mes valeurs.  

M. C. : Sans aucun doute, la confiance. Il me fallait créer une continuité entre la salle et le laboratoire. Nous avons donc mis au centre de ce projet un comptoir, qui dessine la boutique. Pour refléter le côté vivant des ingrédients, nous avons opté pour des matériaux français réalisés de façon artisanale, comme les briquettes, que l’on retrouve au sol, posées en chevrons, ainsi que sur la tranche des banquettes, et jusqu’au comptoir, à plat. Nous avons également porté une grande attention aux plantes : aromatiques côté pâtisserie, grimpantes côté boulangerie. Elles sont aussi présentes au niveau des banquettes et derrière le comptoir avec le séchoir à plantes. 

G&M : Quel lien voyez-vous entre la pâtisserie et la décoration de la boutique ? 

J. P. : Les matières et les textures. J’ai toujours aimé toucher les tissus, les pierres, appréhender le côté brut des choses avant de m’y attarder. Nous nous sommes retrouvées sur ce terrain. Marguerite choisit, puis modèle la matière. Je fais la même chose en pâtisserie. Je découvre ce que nous offre la nature par le toucher et les saveurs, que j’assemble ensuite pour en créer d’autres. 

M. C. : L’attention aux gens, les éléments, les textures, les combinaisons de matériaux… il y a énormément de similitudes dans nos approches respectives. Par exemple, la base des murs est constituée de terre crue dans laquelle on incorpore des fibres végétales, comme le lin ou la paille, pour travailler le toucher et le visuel. Nous effectuons en quelque sorte un jeu de construction, une recette de part et d’autre.  

G&M : Y a-t-il des collaborations impossibles ? 

J. P. : Aucune. Chacune d’entre elles est unique. Il faut juste se donner la peine de s’ouvrir à l’univers de l’autre. Seul l’ego pourrait empêcher de s’apporter mutuellement. 

M. C. : Il y a des raisons purement financières ! Mais le point important est de choisir un projet qui nous touche et nous ressemble. Le sourcing des matériaux est clé, car tout ce que l’on met en œuvre dans un espace joue un rôle, sur l’humidité d’une pièce, la qualité de l’air dans une maison… Je me refuse à travailler sur des projets qui ne tiennent pas compte de l’impact sur l’environnement.  

G&M : Collaboration… liberté ou contrainte ? 

J. P. : Liberté totale. Cela nous permet de nous dépasser. J’ai encore en tête ma collaboration avec Albert Adrià pour ADMO. Nos deux approches sont extrêmement différentes. Nous aurions pu échouer à les fusionner, mais l’amour du produit et le partage nous ont réunis. La liberté de création a ensuite été absolue. Nous avons agi de la même façon avec Marguerite, notamment sur le choix des matériaux. 

M. C. : Un projet ne ressemble à aucun autre et, en cela, les possibilités sont très ouvertes. La contrainte se limite à l’espace sur lequel nous allons œuvrer et sur la compréhension des usages du lieu. Cela a d’ailleurs un aspect très positif, car cela nous permet d’être plus innovants.  

G&M : Cette collaboration aura-t-elle un impact sur vos réalisations à venir ? 

J. P. : Jusque-là, je ne me rendais pas compte de ma sensibilité aux matières. À l’avenir, je vais les introduire dans mon travail, peut-être en m’inspirant, pour mes collections, de l’atmosphère que nous avons imaginée, les briquettes, le séchoir à plantes, le tissu des coussins… Tout cela reste à concevoir et verra le jour au fil des créations ! 

M. C. : Forcément. Chaque collaboration laisse une empreinte. Même si les matériaux choisis sont parfois les mêmes, leur traitement, la façon de les positionner fait l’unicité de chaque projet. S’immiscer dans un autre univers pour le comprendre et lui fabriquer un écrin forge notre expérience et nous fait évoluer. 

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