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Un chef, Yoric Tièche, un maraîcher, Bastien Bosio au service du goût

Un chef, Yoric Tièche, un maraîcher, Bastien Bosio au service du goût

Sylvie Berkowicz | 02/10/2024 10:00
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Alors qu’en plein confinement il se demandait comment faire évoluer sa cuisine et son métier, l’idée d’un potager s’est imposée au chef Yoric Tièche. Il est aujourd’hui essentiel non seulement à sa cuisine, mais aussi à son équilibre personnel.

À quelques kilomètres de la cuisine du chef Yoric Tièche, se trouve son potager. Haut perché, planté sur des restanques étroites, il domine la Rade de Villefranche-sur-Mer. Au loin, les yachts, un paquebot, au premier plan les derniers légumes d’une fin d’été.

C’est Bastien Bosio qui est, quasiment depuis sa création, responsable de ce potager plus grand qu’il n’y parait. Un changement de vie pour cet ex marin-mécanicien sur des yachts. Totalement investi dans son travail de maraicher, il prend grand soin, avec son adjoint Raphaël, des cultures destinées principalement au restaurant Le Cap, la table gastronomique du Grand-Hôtel du Cap-Ferrat (4 toques).

Vous souvenez-vous de votre première rencontre ?

Yoric Tièche : Oui, très bien ! C’était en bas devant le bac à compost. Pendant une ou deux heures, on a parlé de tout et de rien. Comme on le fait avec un cuisinier à qui tu donnes une poêle et trois œufs pour faire une omelette, tu ne peux pas vraiment vérifier la compétence technique d’un maraîcher.  C’était plutôt une affaire de feeling.  

Bastien Bosio : Dès le début, il m'a fait entièrement confiance. Alors que je n’avais jamais fait de maraîchage professionnel, sans savoir ce que je valais, il m'a dit : "Vas-y, lance-toi !" La pression était énorme, il fallait que j'assure. Malgré le fait que je ne dépende pas de mes récoltes et que quoi qu'il se passe, j'ai un salaire à la fin du mois, je n'ai pas pris ça en dilettante.  

Avez-vous eu de la difficulté à convaincre votre employeur (Four Seasons) d’investir dans ce projet ?

Y.T. : Certes, ça coûte de l'argent et c’est un poste que personne ne veut payer, car considéré comme superflu. Je dirais que ça dépend de la taille de la maison et de sa santé financière. Si c’est la volonté d’un chef propriétaire d'aller vers ça, il va trouver l'argent, il va trouver la personne. Plutôt que d’embaucher un pâtissier, il choisira de prendre un jardinier. Le demander à un directeur général d’un hôtel de catégorie moyenne qui gère des tableaux Excel — ce qui n'est pas le cas chez nous — c’est sans doute se faire dire non. Dans mon cas, ça n’a pas été difficile. Un palace comme le nôtre se doit porter ce type de projets. C'est une façon de rééquilibrer un peu les valeurs associées à ce genre d'établissement de grand luxe. Cela demande avant tout de la volonté. Et du travail. Si tu n'es pas impliqué dans ta cuisine, elle ne va pas bien fonctionner. Si tu n'es pas impliqué dans ton potager, il va vivoter. Ici, le terrain nous a été prêté et les propriétaires sont très heureux qu'on en prenne soin. Ils se sentent valorisés et en contrepartie passent un peu de temps à l’hôtel, au spa, dans les restaurants. Ils croient dans le projet et je les remercie tous les jours de nous avoir permis de le mener à bien.


© DR

Comment s’établit la confiance entre le chef et le jardinier ?

B.B :  Au début, j'avais tellement peur de le décevoir, que quand je ratais quelque chose, je n’en dormais pas la nuit. Récemment, on a eu des sangliers et des blaireaux qui, malgré la clôture électrique, sont entrées sur le terrain et on tout ravagé. Ça m’a rendu malade, au sens propre. Deux jours HS ! Ce sont des centaines d'heures de boulot, des mois d'attente, de préparation qui sont massacrés d'un seul coup. Je comprends le découragement de ceux qui se donnent corps et âme 70 ou 80 heures par semaine pour vendre leurs légumes. Il faut donc apprendre et rester humble parce qu’on ne contrôle pas le climat et la nature. Il y a des choses qui marchent super bien une année et pas la suivante. Du coup, c’est le chef qui s'adapte. Je suis très admiratif de son travail parce qu'il arrive à faire coïncider sa cuisine avec ce que j'arrive à produire. Il a l'habitude de venir ici, il voit, il observe et me dit : je prends ! Je vais bien voir ce que je vais faire avec.

Et ça, c'est top parce que je sais que tous mes légumes, même s'ils ne sont pas beaux, il les valorise. Et même dans le pire des cas, s’il n'arrive pas à les travailler, ça me revient au compost. Ce n'est pas perdu.

Comment choisissez-vous les variétés à cultiver ?

Y.T. : Déjà, je préfère qu'on fasse bien les légumes classiques, qu’ils soient super bons et produit en bonne quantité, parce qu’il nous faut quand même du volume, plutôt que de partir dans des délires et bosser comme un acharné pour un petit panier d’un produit. Par exemple, on avait essayé les pois-chiche. Au départ, tu te dis : génial, j'ai mes pois chiches ! Mais en fait, c'est la fausse bonne idée. Au potager, ils ont galéré. En cuisine, ils ont galéré, parce qu’il faut les éplucher. Et puis quand tu les mets dans une assiette, seul 1% des clients le comprend. En revanche, quand tu fais une bonne tomate burrata, tu les as tous emballés ! C'est la même réflexion qu’en cuisine. J'achète mon saumon fumé ou je le fais moi-même ? Sera-t-il meilleur ? Plus régulier ? Moins cher ? Peut-être que non.

B.B : On s'amuse quand même un peu ! Là par exemple, je fais pousser du bissap, une variété d’hibiscus. Les feuilles ont le goût de l'oxalis ou de l'oseille, le fruit est très croquant, très frais. Aussi, si je ne m'étais pas lancé sur les fruits de la passion, on n'aurait jamais eu de production. Et ça, vraiment, ça a été une super découverte.

N’est-ce pas aussi toute la brigade qu’il faut embarquer dans cette démarche ?

Y.T. : Parfois, j'entends des propos comme : "On n'est pas performants parce qu'il manque ceci ou cela, patron, achetez-les !" Ok, il y a des moments où tu sens que tu as besoin de réinvestir parce qu’humainement, tu as déjà tout donné. Mais à celui qui me donne l'excuse de ne pas faire parce qu'il lui manque quelque chose, je réplique :  es-tu allé au maximum avec ce que tu as ? Alors qu’on était encore en période covid, beaucoup venaient au potager, ils arrivaient avec leur pique-nique, bougeaient trois pierres… ils étaient contents et avaient le sentiment de participer au projet. Mais finalement, chacun est retourné à sa salle de sport, à ses activités et à sa tablette. On ne peut pas les forcer s’ils n'en ont pas vraiment envie. Au début, je le faisais, mais maintenant, je préfère monter tout seul que de devoir expliquer comment faire à un jeune qui n’y voit aucun intérêt. D’autant plus que quand je suis ici avec Bastien et Raphaël, je passe un vrai bon moment, c'est mon break de l'après-midi. D’ailleurs, je ne peux pas passer plus de trois jours sans venir.

B.B. : Il nous aide beaucoup. Ça, il faut le reconnaître !

Y.T. : Il y a beaucoup de similitudes entre le jardin et la cuisine. À l’hôtel, les cuisines ne s’arrêtent jamais, même entre minuit et 5h du matin. Au potager, c’est pareil, avec une différence, qui est que quand tu fais un truc dans le potager, ça se voit tout de suite. Quand Bastien bosse pendant une demi-journée, ou quand je viens moi-même pour y travailler, à la fin de la journée, ça se voit. En cuisine, tu peux bosser 14h par jour, tu as l'impression que tu n'as rien fait. De tout le travail d'une brigade de cuisine qui arrive à 8h pour être prête à midi, à 15 h 30, il ne reste rien. C'est fini. Les frigos sont vides. Ce sont deux activités éphémères, mais la cuisine, l’est encore plus.

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