Self-made chefs, René et Maxime Meilleur
Autodidactes de père en fils. Non pas par conviction ni par dogme, mais par nécessité. René, le père, parce qu’il fallait travailler et qu’il s’est dit que construire sur son bout de montagne une cabane pour nourrir les skieurs serait une bonne idée. Maxime, le fils, parce qu’il a bien fallu que ce biathlète de haut niveau quitte son sport, à 21 ans, faute de grands succès. Autodidactes donc, mais chez soi, car c’est dans ce contexte que l’on peut prendre le temps de faire ce qu’on veut – y compris des erreurs –, de se remettre en question, de rêver aussi. C’est comme ça que, de fil en aiguille, René et Maxime Meilleur ont bâti – quasiment de leurs mains – un établissement hôtelier et un restaurant de haut vol, aujourd’hui couverts de tous les honneurs et récompenses.
Gault&Millau : Autodidactes. Même après autant d’années, le mot est toujours présent quand on parle de vous. Est-il possible de s’en débarrasser ou bien devient-il une fierté ?
René Meilleur : Ça fait 45 ans… alors oui, ça devient une fierté. Même si, maintenant, je n’en suis plus vraiment un.
Maxime Meilleur : Moi, comme Obélix, je suis tombé dans la marmite. Je répétais à mes parents que je ne voulais pas faire ce métier parce que je me prédestinais au sport. La cuisine n’était pas une priorité pour moi. Et puis j’y suis entré pour aider à faire une crème anglaise… Et je me suis pris au jeu !
G&M : Mais, à ce moment-là, n’avez-vous pas eu envie de suivre un cours, d’étudier quelque part ?
M. M. : Non, je n’avais pas le temps ! Nous étions très peu en cuisine, nous ne pouvions pas nous permettre de perdre deux mains. Et puis, quand on veut, on peut. Nous nous sommes toujours débrouillés par nous-mêmes, que ce soit dans les finances ou dans la mise en place de cette maison. Nous n’avons jamais senti le besoin de nous faire expliquer quoi que ce soit. Nous avons lu, nous avons été chez des confrères, nous avons observé. Et il se trouve que ceux qui nous inspiraient étaient aussi des autodidactes – Bras, Roellinger… C’était leur cuisine qui nous parlait.
G&M : Vous pensez que c’est lié au fait qu’ils soient des autodidactes ?
R. M : J’en suis persuadé. Parce que personne ne vous a dit qu’il ne fallait pas mettre ensemble tel ou tel ingrédient, on arrive à marier des saveurs ou des textures qui ne sont pas écrites dans les livres. Ce que nous avons, c’est ce que j’appelle le BSP, le bon sens paysan. C’est dans notre éducation, dans notre façon d’être et de vivre dans ce climat très rude et rustique. On se trompe, mais, avec l’expérience, avec du bon sens, on y arrive. Je regarde le panorama que j’ai autour de moi, je vois du genièvre, des myrtilliers, des framboises, un chamois, un chevreuil, une marmotte, du sapin, du bouleau, des champignons… Et j’essaye de rapporter dans notre cuisine cet environnement. Ce que nous faisons, nous le faisons avec le cœur, avec quelque chose qui nous est propre.
G&M : Il a fallu une certaine ambition pour passer de la cabane pour skieurs au restaurant gastronomique…
R. M. : Je me suis lancé tout seul, en choisissant de bons produits et en faisant une cuisine qui était très simple, très facile à faire. Ça a marché et je me suis pris au jeu… En 2000, Gault&Millau me décerne une « Clé d’Or », une distinction qui existait à cette époque. C’est là que je me suis dit : maintenant, il faut y aller !
M. M. : Mais, en 1981 déjà, mon père va chez Paul Bocuse et veut changer de cuisine. L’esprit de la maison le charme. Bocuse, c’est une maison de cœur, une auberge ouverte 7 jours sur 7 avec un accueil, une générosité. Il s’en est inspiré. Bien sûr, il ne savait pas cuisiner comme Monsieur Paul, alors il a fait ce qu’il savait faire.
R. M. : C’est à ce moment que je suis parti sur cette idée de faire une grande cuisine, celle de Paul Bocuse. Mais bon, je vous rassure, je n’y suis pas arrivé !
G&M : Avez-vous ressenti une forme d’illégitimité ?
M. M. : Oui. Tant qu’on n’a pas eu de « médaille »… Vous avez beau être un guide de haute montagne, lorsque vous essayez de transmettre à vos équipes ce que vous êtes, vous n’avez pas cette légitimité d’un médaillé olympique ! J’avais besoin de ça. Être autodidacte, c’est aussi être hyper critique envers nous-mêmes. Je suis vraiment très dur, parce que j’estime que quand les gens font le voyage jusqu’à nous, il faut que le plaisir soit au-delà de ce qu’ils vont payer. Il y a le don et le dû. Le dû, c’est ce qu’ils dépensent. Le don, c’est le supplément d’âme, les petites histoires, toutes les attentions qui leur font passer un moment inoubliable. C’est beaucoup de travail, et ça, ça ne s’apprend pas.
G&M : Est-il arrivé que le manque de technique se fasse sentir ?
R. M. : Il a fallu du temps. Du temps, de l’envie et de la passion. Mais nous avons la chance d’avoir deux saisons. Une assez forte et une autre plus calme, durant laquelle on peut faire des essais, s’amuser. Quand on crée un plat, on tâtonne un peu. Ça finit par marcher, mais pas la première fois. On peut parfois partir dans une mauvaise direction, il faut alors vite revenir à la réalité.
M. M. : On trouve toujours des solutions. Il n’y a pas de limite. Je pense même qu’on a un vrai avantage, car on n’a été formaté par personne. On s’est fait tout seul, peut-être avec des défauts, mais parce qu’on cuisine avec le cœur plus qu’avec la tête, on peut tout faire. Quand un second sort de chez nous et s’installe, il a les clés. Celle des fournisseurs, des associations de goûts, etc. Nous, nous n’avions pas ça, donc ça nous a pris du temps. Quand vous n’avez jamais mis au point du chocolat, vous ferez dix essais ; si on vous montre comment faire, vous en ferez deux.
Vous considérez-vous aujourd’hui comme de « vrais » chefs ?
R. M. : Non. Je ne le suis toujours pas aujourd’hui. Je sais que je sais cuisiner, mais non… Les clients nous parlent encore un peu du fait d’être des autodidactes, mais tout de même moins aujourd’hui. Ça reste toutefois un marqueur. Et on en a joué aussi…
M. M. : On l’a aussi tu à un moment, parce que ça pouvait être un inconvénient par rapport à ce qu’on voulait faire et à ce qu’on imposait à nos équipes. Je me rappelle avoir demandé à des cuisiniers de me faire des jus de telle ou telle façon, et ils me disaient « mais ces recettes existent ! » Moi, je ne les avais jamais apprises. J’avais juste pensé, par exemple, qu’on pouvait travailler un jus de poisson comme un jus de viande. Un jour, j’ai fait un sandre avec une sauce au vin rouge et fumet de poisson pour un grand gastronome. Il m’a dit que c’était un plat connu et qu’il n’avait pas mangé ça depuis 50 ans. Je suis incapable de vous dire comment ça s’appelle ! En fait, on n’invente rien…
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