Samuel Gaspar, chef du Château d’Audrieu et Jean Petrich, à la tête des Vergers de Ducy
Cuisiniers et producteurs ont toujours travaillé main dans la main. La preuve avec Samuel Gaspar, chef cuisinier du Château d’Audrieu et Jean Petrich, gérant du Domaine de la Flaguerie à Ducy-Sainte-Marguerite, qui ont trouvé une belle entente au cœur du terroir normand.
Quand on arrive au Château d’Audrieu, entre Caen et Bayeux, impossible de résister au charme de cette bâtisse du 18ᵉ siècle, classée monument historique, de son grand parc de 25 hectares, de son sentier à travers la forêt, de sa chambre cabane vertigineuse perchée en haut d’un arbre ou de ses deux ânes mascottes Nono et Marguerite. Mais la magie de sa table gastronomique, le Séran, tient autant à la majesté des lieux qu’à la cuisine de son jeune chef Samuel Gaspar, qui depuis son arrivée à l’aube de l’année 2023, fait tout pour mettre en avant l’incroyable terroir normand. De sa rencontre avec Jean Petrich, gérant des Vergers de Ducy sur le Domaine de la Flaguerie à quelques minutes du château, producteur et transformateur de pommes à cidre, est née une belle complicité et de belles histoires de cuisine.
Jean, quelle est histoire Domaine de la Flaguerie ?
Jean Petrich : Ici, c'est la maison de ma famille, là où j’ai grandi. Si j’ai toujours gardé un pied dans l’entreprise gérée par mes parents, je suis vraiment revenu il y a quatre ans quand j’ai repris les rênes. En pleine période de Covid, ma vie professionnelle arrivait à sa fin et j’ai eu envie de rentrer pour soutenir mon père, dont on vient de fêter les 90 ans. Ces terres qui jouxtent la maison étaient à l’origine louées à des agriculteurs, jusqu’au début des années 80 où mes parents les ont récupérées. Au milieu des années 80, ils ont décidé de les consacrer entièrement à un verger de pommes à cidre et à leur transformation.
Comment s’est passée votre rencontre ?
Samuel Gaspar : Je suis arrivé ici début 2023 après dix ans à Paris (au Taillevent, au Burgundy, au Prince de Galles et au 39v, ndlr). C’est ma première place de chef. Je venais d’arriver au château quand Jean a débarqué un jour avec ses calvados. J’étais déjà conquis par la beauté des packagings, mais j’ai aussi été surpris par l’élégance et l’étendue aromatique. Je connaissais le calvados brut, rustique, j’ai découvert tout autre chose. Entre le côté fruité des jeunes cuvées et la complexité apportée par le vieillissement, le côté boisé. Et puis Jean parle très bien de ses produits. En Normandie, il y a un panel de savoir-faire incroyable, mais ceux qui le détiennent ne sont pas toujours les meilleurs pour le faire savoir, tout y est terriblement sous-coté. Et le climat, parfois difficile pour les humains, est extraordinaire pour la terre.
© Charlie Gémien
Faire goûter vos produits à des chefs, c'est un moment très particulier pour vous ?
J.P. : Bien sûr. Au début, c'était même intimidant, maintenant qu’on se connaît ça va mieux ! (rires) J’aime beaucoup le temps que l’on passe ensemble avec Samuel. Je suis heureux du travail que l’on fait déjà au verger, mais je veux écouter, son avis éclairé nous fait progresser. Et puis si nous avons une gamme classique, nous avons aussi une gamme premium, de cidres et de calvados. On veut décaler l’image du calvados, l’enlever de l’étagère des digestifs pour le replacer au centre de la table, l’amener dans la mixologie, les accords gastronomiques, le faire découvrir aux amateurs de rhum et de whisky, à une clientèle plus jeune.
S.G. : Je l’appelle à 10 heures, deux heures plus tard, il me ramène un bidon de 10 litres de vinaigre. On a ce rapport-là, simple, évident. J’adore cette sensation d’immersion, ce que je mets dans ma cuisine est produit juste autour de moi. Et pour le client, c'est un bonheur aussi, de savoir que ce qui est dans l’assiette vient de juste à côté.
Pour un chef, ce doit être un sacré changement après 10 ans à Paris, de pouvoir aller voir ses producteurs en quelques minutes de voiture...
S.G. : C’était mon challenge et ma volonté. À Paris, je rêvais des grandes brigades, des toques blanches, des “oui chef”, des produits et des moyens exceptionnels. Mais quand on arrive le matin en cuisine avec les ingrédients rangés dans des caisses qui sont déjà là et des produits des quatre coins du monde, il n’y a pas cette même connexion à la terre. Nous, chefs, sommes des exécutants du produit. En arrivant ici, je rêvais de construire des relations de proximité, d’intimité avec mes fournisseurs. C’est une vision plus personnelle de la cuisine. Mon pain est fait à 4 km du château par une petite entreprise de deux personnes. Mon crémier vient tous les mardis, livrer et récupérer ses cagettes de la semaine précédente. De temps en temps, il n’a pas de beurre parce qu’un de ses gars est malade ou que la production est insuffisante. On sait d’où viennent les produits et surtout, on sait comment ils sont faits.
La découverte des produits de Jean a déclenché une vraie créativité ?
S.G. : En goûtant le pommeau (mélange de jus de pomme et de jeune calvados, ndlr), je me suis tout de suite dit que cela pourrait remplacer le porto ou le madère en cuisine. Il y a cette sucrosité qu’on aime pour les sauces, qui fonctionne dans une soupe à l’oignon à merveille. Le vinaigre de cidre a aussi remplacé tous ceux que j’ai trouvés ici en arrivant en cuisine, Xérès, balsamique, vin rouge… la seule entorse que je fais aux produits de Jean, c'est un vinaigre de pomme façon balsamique fait dans le coin.
J.P. : Je ne sais pas encore le faire (rires).
S.G. : Je poche des poissons blancs dans un cidre que je chauffe à 45°, ça apporte du fruit et une petite acidité. Je réduis longtemps le jus de pomme, je stoppe sa cuisson avec un peu de beurre, ça donne un caramel au goût de pomme très appuyé. Le liquide est à la base du travail de cuisinier, mais cuire dans l’eau ça n’a aucun intérêt. Nos jus, nos cuissons, sont faites avec son vinaigre, son cidre, son calvados, etc.
Jean, vous avez déjà goûté des plats de Samuel qui utilisaient vos produits ?
S.G. : bien sûr qu’il vient manger (rires).
J.P. : J’ai le souvenir d’une assiette de morilles, avec des framboises et de la burrata, où le cidre de glace remplaçait le classique vin jaune. C’est très impressionnant d’assister à la transformation de ce qu’on fait de ses mains. Il y avait aussi une terrine de foie gras au cidre de glace, absolument magique.
Plat bar de ligne au cidre de glace, salsifis confits
Qu’est-ce que ce contact vous inspire mutuellement ?
S.G. : Des bocaux de foie gras marinés avec différents alcools de Jean, c’est quelque chose que j’aimerais développer et commercialiser.
J.P. : Ce rapport que l’on entretient nourrit notre démarche au domaine. On est en recherche constante d’amélioration, de la qualité, des process, d’un environnement plus vertueux. Tout ce qui peut participer à ces améliorations est bienvenu. Sans essayer, on ne saura pas, et vu notre bonne relation avec Samuel, on n’a pas peur d’essayer ensemble. Par exemple, notre gamme de Calvados commence à 6 ans d’âge. Je réfléchis à des Calvados plus jeunes, pour trouver plus de vivacité, qui pourrait inspirer Samuel. On va définir ensemble, avec Samuel, sa typicité. Quand j’ai un produit à mettre au point, je veux des avis éclairés comme le sien.
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