Romain Meder, cuisinier & Gérard Germaine, jardinier, au Domaine de Primard
Au-delà de l’image devenue classique du chef accroupi dans son potager, il y a, pour certains, un vrai travail de production maraîchère, qui implique une relation étroite et une complicité avec le jardinier. Rencontre avec Romain Meder, chef des restaurants Octave et Les Chemins du Domaine de Primard, et Gérard Germaine, son jardinier.
Romain Meder est arrivé au Domaine de Primard en avril 2022 avec une cuisine très identitaire, révélée au Plaza Athénée, où il a, avec Alain Ducasse, exploré et posé les fondements de la naturalité. C’est dans cette même lignée qu’il a conçu les cartes des deux restaurants du Domaine de Primard : Octave, où s’épanouit une belle cuisine de campagne, et Les Chemins, au propos plus gastronomique.
Pour l’accompagner dans l’élaboration de cette cuisine très végétale, il peut compter sur le jardinier en chef, Gérard Germaine. Ce dernier connaît bien Primard puisqu’il s’occupe de la gestion de ce somptueux parc, initialement imaginé par le célèbre paysagiste belge Jacques Wirtz, depuis plus de quinze ans. C’est lui qui a notamment pris soin de la grande roseraie, l’enrichissant et l’embellissant selon le vœu de la précédente propriétaire, Catherine Deneuve.
Gault&Millau : Comment êtes-vous arrivé au Domaine de Primard ?
Gérard Germaine : Je viens d’une autre profession. J’étais photographe. C’est grâce à mon épouse, qui était botaniste et fleuriste, et aux pépiniéristes avec lesquels elle travaillait que j’ai appris les plantes et les choses du jardin. Au début, c’étaient surtout les fleurs coupées, puis nous avons créé une plantation de feuillage pour les fleuristes. Nous connaissions l’ancienne propriétaire du domaine (Catherine Deneuve), et c’est comme ça que j’en suis venu à entretenir son jardin. En 2018, Frédéric Biousse et Guillaume Foucher (fondateurs des Domaines de Fontenille) acquièrent Primard avec la ferme intention d’en faire un hôtel et un restaurant. Ce que j’ai trouvé très bien ! Ces jolies maisons privées sont inhabitées une grande partie de l’année alors qu’un tel projet permet de les faire vivre tout le temps. Ils m’ont ainsi confié la réalisation d’un potager, que j’ai installé là où il se situait au XIXᵉ siècle, dans une petite prairie, qui avait été transformée en terrain de football. En plantant des arbres ornementaux, j’étais tombé sur des réseaux d’arrosage en fonte du XVIIIe, et la terre était bien meilleure à cet endroit. Il était donc logique que le potager se trouve à cette place.
G&M : Est-il facile de passer du jardin ornemental au maraîchage ?
G. G. : Du maraîchage, j’en faisais pour moi, mais rien de professionnel. Mais les plantes me passionnent. Mon épouse cuisine plutôt végétal, et je fais moi-même mon pain au levain depuis trente-cinq ans. Je m’intéresse aux goûts et aux produits. Quand j’ai appris que c’était Romain Meder qui nous rejoignait à Primard, j’étais ravi. Mes filles m’ont dit que j’avais une chance inouïe, que c’était quelqu’un qui savait ce qu’est un légume. Avant son arrivée, j’avais fait un potager plutôt ornemental et didactique. Mais là, il fallait le rendre productif, et donc établir des plans de semis, de rotations. C’est déjà un peu plus pointu. Je pense que de tous les métiers du jardinage, c’est vraiment le maraîcher qui a la part la plus difficile. Les jardiniers les plus importants sur la planète, ce sont les maraîchers.
Romain Meder : Pour l’aider, je lui ai présenté Mehdi Redjil, l’ancien chef jardinier du potager de la Reine, à Versailles, qui fournissait le Plaza Athénée. Mehdi est parti s’installer dans la vallée de Chevreuse, à 30 minutes d’ici. Il fera cette année ses premières récoltes. C’est drôle parce que deux jardiniers qui se rencontrent, c’est comme deux cuisiniers. Ils parlent un même langage, ont leurs histoires et leurs modèles. Comme nous, ils évoquent leur Alain Ducasse ou leur Paul Bocuse !
@Philippe Vaurès Santamaria
G&M : Comment avez-vous conçu le potager et choisi les variétés de plantes ?
R. M. : Au tout début du projet, avant même d’arriver à Primard, j’ai échangé avec Gérard, sur ce qu’il connaissait, ce qu’il maîtrisait ou non. Je lui ai fourni une liste de produits de base avec lesquels j’ai l’habitude de travailler. Je lui ai dit : « On va commencer tranquille, et après, on verra. »
G. G. : J’ai répondu à Romain que j’allais donner la priorité aux légumes les plus faciles à cultiver, par exemple les légumes feuilles. Parmi les légumes racines, certains sont simples à exploiter, d’autres moins. On réussit bien les carottes et les betteraves, mais des salsifis, je ne vais pas en faire, les scorsonères ou le chervis non plus. C’est plus difficile et ça prend beaucoup de place, comme les pommes de terre. En revanche, je vais planter de l’hélianthis. Je fais des essais, je vois si ça marche ou pas, si ça vaut la peine. Par exemple, j’adore la fraise des bois, mais c’est un fruit très fragile, qui doit être dans l’assiette du client au plus tard deux heures après la cueillette. Ça prend du temps et, le dimanche matin, ce n’est pas évident. Je suis donc obligé de renoncer.
G&M : Le but de ce potager n’est-il pas d’atteindre l’autosuffisance ?
R. M. : Non. De toute façon, il est trop petit. Il ne peut pas fournir les deux restaurants. L’idée est plutôt de bien choisir ce qu’on y plante. On ne va pas commencer à y faire pousser des tomates. Il faudrait des serres, et il n’y a aucun intérêt à en avoir ici. Et puis, je travaille avec des producteurs qui font des tomates incroyables. Nous nous concentrons sur ce qui demande moins de matériel. Des radis, navets, betteraves, blettes, haricots, courgettes… on y va step by step. L’avantage, aussi, c’est que Gérard connaît le domaine par cœur. Dès qu’il repère une plante, il passe la tête par la fenêtre et me dit : « Tiens, j’ai trouvé ça. Si ça vous intéresse, il y en a dans tel ou tel coin. »
G. G. : Je cueille tout ce qui est comestible, et Romain a le génie pour les utiliser. Le site offre une quinzaine de variétés de plantes sauvages qui permettent d’agrémenter sa cuisine.
G&M : Qu’est-ce que ça apporte à votre cuisine d’avoir un potager à proximité ?
R. M. : La fraîcheur, l’immédiateté. Toutes ces petites racines sont fragiles. Dès qu’il faut 24 heures de transport ou de frigo, ce n’est plus pareil. Les radis que je proposais nature, juste à croquer, en début de repas à Octave, ou les carottes qu’on vient tout juste de ramasser, c’est de la pure fraîcheur ! Le jardin, c’est ce qui rythme le changement de carte. Si les betteraves sont mûres, je sais que je peux imaginer un plat autour de ce légume, que ce soit pour Octave ou Les Chemins. Ça donne une cuisine vivante, avec des cartes qui ne sont pas figées sur un bout de papier pendant trois ou quatre mois. À partir de là, je fais intervenir les autres produits des maraîchers et des producteurs pour habiller la mariée.
@Brunot Suet , Philippe Vaurès Santamaria
G&M : Préparer cette cuisine de naturalité dans ce cadre bucolique, plus près des éléments que vous ne l’étiez avenue Montaigne, ça change quoi ?
R. M. : Ma cuisine reste la même. En revanche, ce que je propose a plus de sens. En termes de réflexion pure et de technique, ça ne change rien. Mais, tout à l’heure, j’ai vu des mousserons, juste à côté, sur une butte. Et ça, ça change tout. On va les cueillir et je vais retravailler un plat avec. C’est à portée de main et, surtout, je ne suis dépendant de personne. Ce qui n’était pas le cas à Paris, car, même si le potager de la Reine nous était dédié, j’étais tributaire de Mehdi, puis de ses successeurs.
G&M : Gérard, que pensez-vous de la cuisine de Romain ?
G. G. : Elle est assez surprenante ! Romain a une passion pour l’amer. Moi, je n’en suis pas fou, mais il le dose avec une telle justesse… J’ai dégusté des plats invraisemblables ! Mais bon, c’est difficile de me demander un avis sur sa cuisine. Ce qui est sûr, c’est que l’arrivée de Romain valorise mon travail et le site. Sa présence permet de mettre le jardin en évidence, jusqu’à son aspect ornemental. Il faut que les gens viennent s’y balader, s’y asseoir. On a installé deux gloriettes en bois avec des tables. On peut commander un panier et y pique-niquer, pendant qu’on est au potager. C’est aussi ça le but du jeu.
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