Mode & hospitalité

L’idée n’est pas nouvelle. On se souvient de Camper ouvrant, à l’étonnement général, un hôtel à Barcelone en 2004, puis un second à Berlin, sept ans plus tard. Le chausseur espagnol affichait alors clairement sa démarche : se diversifier et renforcer son image. Il en fut de même pour toutes les marques qui ont suivi le mouvement.  

Des collections de mode à une collection d’hôtels

Frédéric Biousse, qui a longtemps veillé aux destinées de marques de prêt-à-porter (Sandro, Maje et Claudie Pierlot), a lui aussi bifurqué. D’abord vers la restauration (il est actionnaire du groupe de trattorias Big Mamma) et les galeries d’art avant de plonger dans l’hospitalité. Avec son partenaire Guillaume Foucher, il tombe amoureux de lieux aussi intimes que raffinés et finit par les ouvrir aux autres. Tout a commencé par une propriété du Luberon qu’ils ont finalement transformé en hôtel : le Domaine de Fontenille, enrichi d’un projet agricole de réinsertion sociale et de résidences d’artistes. Il a donné son nom à ce qui est devenu un groupe hôtelier, regroupant Les Bords de Mer, à Marseille, Les Hortensias du Lac, à Hossegor, 70 Hectares & l’Océan, à Seignosse, Les Hautes Mers, sur l’île d’Yeu, et deux adresses à Minorque. Les Domaines de Fontenille ont récemment fait un joli coup avec le Domaine de Primard, ancienne demeure de Catherine Deneuve en Normandie, objet de tous les désirs. « C’est une autre idée du luxe : le temps, l’espace et le sens, tout ce dont on rêve aujourd’hui », affirme Frédéric Biousse en évoquant ses maisons. On chuchote aussi que, sous son aile (il garde un pied dans la mode via le fonds d’investissement Experienced Capital), les marques Sessùn ou L:A Bruket seraient prêtes à sauter le pas.  

Autre acteur du prêt-à-porter, Thierry Gillier, le fondateur de Zadig & Voltaire, a pris le virage il y a deux ans. La marque se cache en effet derrière l’hôtel Château Voltaire, rue Saint-Roch. Sous la houlette du directeur artistique Franck Durand et du duo d'architectes français ultra-bankable Festen, l’ancien siège administratif de la griffe est devenu un 5-étoiles aux allures de maison d’hôtes. On pourrait également citer, bien sûr, la famille Zannier, qui a quitté l’univers impitoyable de la mode pour imaginer une hospitalité de haut vol, notamment en Namibie, ainsi que les créateurs de mode Christian Lacroix ou Stella Cadente, qui ont déserté les podiums pour soigner la décoration d’hôtels… 

Ceux qui ont changé de métier

C’est également sur le Monopoly parisien que Patrick Pariente, ex-patron de Naf Naf, est sur le point de poser un pion avec son impressionnant Grand Mazarin, au cœur du Marais. Ce sera le cinquième d’une collection née il y a maintenant dix ans. « Tout a commencé par un concours de circonstances », racontent ses filles et collaboratrices, Leslie Kouhana et Kimberley Cohen. Un chalet à Courchevel, fief de la famille, prévu pour être une résidence secondaire, est devenu en 2013 le premier 5-étoiles du groupe ; son exploitation a été confiée à Oetker, famille propriétaire du Bristol et d’autres palaces à travers le monde. Au passage, l’entrepreneur autodidacte attrape le virus et trois autres maisons suivent : Crillon le Brave, Lou Pinet, à Saint-Tropez, et le Coucou, à Méribel. « Quand nous étions petites, à table, on parlait chiffons, maintenant on parle chambres, confie Leslie. C’est finalement un peu le même métier. Il demande le souci du détail, le talent d’être en amont des tendances et une réflexion sur les modes de consommation. Si ce n’est que nous concevons les lieux comme nous concevions nos maisons de famille. » En dix ans, Maisons Pariente est devenu une collection… un mot issu de la mode. Tiens, tiens…  

Même démarche, ou presque, pour Maisons du Monde. Dans l’univers de la déco cette fois. C’est une rencontre avec un couple venu du retail, Céline et Sébastien Meslin (groupe Vicartem), qui a allumé la mèche. Un premier hôtel à Nantes, deux autres à Marseille et La Rochelle incarnent l’univers de la marque de déco dirigée par Julie Walbaum. Elle a fait le choix des cœurs de ville, avec un ancrage très local. Sa devise : « Ici, c’est comme à la maison, mais en mieux. » Et si vient l’envie ensuite d’imaginer une maison comme à l’hôtel… C’est un win-win assuré. 

Le grand luxe occupe le terrain

Chez eux, c’est comme à la maison, aussi, mais en beaucoup mieux : Leonardo Ferragamo, aussi audacieux que Salvatore, a osé le premier imaginer la griffe Lungarno, qui a bâti depuis 1995 six établissements exclusifs et discrets à Florence et à Rome. Dans son sillage, on compte deux autres Italiens. Le couturier Armani s’est associé avec Emaar Properties, société immobilière dubaïote, pour ouvrir en 2010 le premier hôtel Armani, à Dubaï. Un second suivait à Milan, ainsi que des résidences hôtelières de luxe. Fendi a, de son côté, créé de somptueuses suites dans les étages de son flagship-store romain, puis a confié à l’architecte Jean Nouvel le soin d’aménager des suites à l’intérieur de sa fondation, le Palazzo Rhinoceros. Et Paris, dans tout ça ? En septembre 2021, LVMH était le premier à investir dans l’hospitalité de la capitale de la mode, en dévoilant son Cheval Blanc dans l’ancienne Samaritaine. Trois mois plus tard, Bulgari (toujours LVMH) présentait 76 suites cossues et un penthouse de 1000 m², après avoir semé six premiers établissements dans le monde. Ce dernier opus a ouvert ses luxueuses portes avenue George-V. Au cœur du triangle d’or, on ne pouvait pas faire moins…