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La cuisine ashkénaze, c'est quoi exactement ?

La cuisine ashkénaze, c'est quoi exactement ?

Sylvie Berkowicz | 17/11/2023 16:12

Boubalé a récemment ouvert à Paris. Ce restaurant festif, installé dans un hôtel du Marais, imaginé par le chef israélien Assaf Granit, affirme proposer une cuisine ashkénaze. Cela n’est pas totalement faux, mais très éloigné de ce qu’elle est vraiment.

Juive, israélienne, levantine, méditerranéenne… Cette cuisine du Proche-Orient, plus ou moins justement qualifiée, connait aujourd’hui un immense succès. On ne compte plus les nouveaux restaurants qui chaque semaine ou presque la revendique.

Bien moins connue est la cuisine ashkénaze, celles des juifs d’Europe centrale. Une cuisine de mémoire, bien moins engageante et colorée que celle du Proche-Orient, née de conditions de vie rudes, dans des climats froids.

Une cuisine de patience

Dans ma famille, on mange ashkénaze essentiellement au moment des fêtes juives. Sur la table, une déclinaison de plats beige brun où la seule touche de couleur est le vert des cornichons, l’orange de la rondelle de carotte qui décore la boulette de poisson ou le pourpre du raifort à la betterave. Des plats qui prennent un temps fou à préparer, un répertoire que chaque famille décline selon ses traditions : carpe farcie (Gefilte Fish), foies de volailles hachées, pastrami, harengs, pain de viande (Klops), pieds de veau en gelée, bouillon de poulet aux boulettes de pain azyme (kneidler)… Avec, au moment du dessert, l’incontournable gâteau au fromage, macarons aux amandes de Pessah (sans farine), strudel aux pommes, crêpes fourrées au fromage blanc (blintzes)… Des noms de plats qui sont souvent, au sein des familles, les rares occasions de pratiquer un peu du yiddish, (langue proche de l’Allemand), que parlaient les juifs polonais.

« Une cuisine profondément affective »

Chez Annabelle Schachmes, autrice de livres culinaires, la cuisine ashkénaze, c'est tout le temps, toute l’année. Elle la connait sur le bout des ongles, l’a testée en Pologne, en Israël, à New-York. Et elle fait évidemment partie de son dernier ouvrage, « La cuisine juive à New York », vraisemblablement le seul lieu au monde où elle est encore très vivante, servie hors des maisons, faisant partie, comme d’autres cuisines d’immigrants, du patrimoine culinaire de la ville. « Cette cuisine, c'est ma vie. C'est celle que j'ai mangée enfant, adolescente, jeune adulte et maman ! C'est une cuisine qui ne ressemble en rien à la cuisine séfarade ou à la cuisine israélienne et surtout pas à la cuisine qu'on trouve chez Boubalé ! Elle n’a pas d’assaisonnements percutants, parce que c'est une cuisine de subsistance.  Ça ne deviendra jamais un couscous avec de la harissa ! En vérité, c'est une cuisine profondément affective ».

Cette cuisine que l’on aime pour son histoire plutôt que pour ses goûts, est-il possible de la faire aimer à d’autres ?  Comment, en la sortant de tout affect, la rendre attrayante ? Probablement en surfant sur cet engouement pour cette cuisine israélienne/juive/levantine/méditerranéenne… telle que la propose Assaf Granit dans ses autres établissements, alors qu’elles ont peu en commun.

©JoannPai

Une cuisine chargée d’histoire

Comme le déclare le communiqué de presse du restaurant : « Boubalé ose l’improbable : redonner une sensualité contemporaine à des spécialités réputées austères, par la seule force de la mémoire et du talent ». L’improbable, c'est par exemple ce bouillon qui associe kneidlers (boulette de pain azyme) aux fruits de mer, ces derniers étant interdits par la cacherout. Une création pure donc – une provocation diront certains – mais le chef a tout à fait le droit de mettre un coup de pied dans les plats. Pour Annabelle Schachmes, « effectivement, sur le papier, c'est très intéressant d'avoir pour une fois un restaurant de cuisine ashkénaze à Paris, mais il faut faire très attention, parce que cette cuisine est porteuse de beaucoup d'histoire. Moderniser la recette des kreplechs (ravioles de bœuf) fait courir le risque de la galvauder. »

Dans la plupart des plats, mis à part un excellent foie de volaille, il n’a laissé que d’infimes traces de cuisine ashkénaze, un souffle de mémoire passé à la moulinette de la mixité culinaire et des travers du restaurant festifs.

La clientèle est plongée dans l’énergie d’une salle et d’une cuisine ouverte très animées (la force des restaurants d’Assaf Granit), qui partage et picore, piochant dans de jolis plats et soupières anciennes, se souciant finalement assez peu de ce qu’il y a dans l’assiette. 

« Les gens vont probablement trouver ça bon », poursuit Annabelle Schachmes, « La façon de l'exécuter n'est pas mauvaise, mais ça n'est pas la réalité. Selon moi, ce qu'on mange chez Boubalé est infiniment israélien. C'est-à-dire une cuisine de mixité. Comme à New York où différentes communautés d'immigration ont, au même endroit, au même moment, ajouté leurs billes à la construction d'une cuisine. C'est une forme de cuisine ashkénaze israélienne, mais ça n'est absolument pas de la cuisine ashkénaze qui est pour moi une cuisine de gens et d’histoires. Changer ces recettes, c’est changer l'histoire de ces gens, et les faire disparaître une deuxième fois ».

Nos bonnes adresses pour manger ashkénaze (ou presque !)

©HachetteCuisine

Envie de découvrir cette cuisine ? Voici quatre adresses à Paris et à New-York à noter et tester.

Boubalé Hotel Grand Mazarin

Sacha Finkelstein, la boutique Jaune

  • à emporter seulement
  • 27 Rue des Rosiers, 75004 Paris

Russ & Daughters

2nd avenue Deli

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