Gien : 200 ans de faïence et toujours bien dans son assiette
Depuis plus de deux siècles, la Faïencerie de Gien allie tradition et innovation. Découvrez comment cette manufacture française a séduit les tables royales et modernes, perpétuant un savoir-faire unique et intemporel.
Tout commence en 1821, lorsque Thomas Edme Hulm, alias Hall, un industriel britannique loin d'être chauvin, décide de relever le défi de contrer la vague d’importations anglaises menaçant l’industrie française. Il faut dire que la faïence coule déjà dans ses veines. Depuis 1774, sa famille gère la faïencerie de Montereau-Fault-Yonne, en Seine-et-Marne. Lui-même a acquis la faïencerie parisienne Pont-aux-Choux, laissée à l'abandon depuis 30 ans, comme un aventurier redonnant vie à un trésor oublié.
Notre entrepreneur, doté d’un flair digne d’un Indiana Jones du savoir-faire, choisit l’ancien couvent des Pères Minimes à Gien pour y installer une nouvelle manufacture de faïence "façon anglaise". Mais pourquoi aller s’enterrer dans cette cité ligérienne ? Ce choix stratégique est loin d’être un hasard. Gien est voisin de la Loire, voie royale pour le transport, et de la forêt d'Orléans, réserve infinie de bois pour les fours de cuisson. Ajoutez à cela des cailloux de silice en abondance, et vous avez le parfait cocktail pour une révolution faïencière. C'est là que naît l’histoire d’une manufacture appelée par la suite à une renommée mondiale.
L'art du savoir-vivre à la française
Depuis 1830, Gien affine sa recette secrète de faïence fine. Un mélange magique de onze terres différentes, cinq argiles, quatre sables et deux kaolins, broyés finement et associés à des galets de la mer du Nord, donne naissance à une barbotine unique. Le résultat ? Des pièces à la fois délicates et robustes, qui rivalisent avec la faïence anglaise. Avec 850 tonnes de matière première transformées chaque année, la fabrication est résolument 100% locale, incarnant l'art de vivre à la française dans toute sa splendeur.
Créer une pièce Gien, c'est comme orchestrer une symphonie d'étapes minutieuses. De la préparation de la pâte à la cuisson dans des fours-tunnels de 38 mètres de long, chaque création passe entre les doigts experts de maîtres faïenciers. Ces artisans perpétuent des gestes vieux de 200 ans et un savoir-faire transmis de génération en génération, toujours réinventé avec un souci constant de perfection. "Nos maîtres faïenciers, décorés de l'Ordre National des Arts et des Lettres, cherchent en permanence à magnifier la matière", confie Yves de Talhouët, le nouveau PDG de la marque.
La décoration des objets est entièrement réalisée à la main, utilisant des techniques variées, de la chromolithographie aux décors plus complexes peints à main levée. Chaque création porte les initiales de l'artisan qui l'a façonnée, ajoutant une touche personnelle et en faisant des objets de collection prisés.
En 1875, après une fusion avec la société Les Émaux de Briare, la manufacture adopte officiellement le nom de Faïencerie de Gien. Cette union permet à l’entreprise de développer la technique des émaux cloisonnés, ouvrant de nouvelles perspectives pour ses décors et confirmant son statut d'excellence.
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De l'Exposition Universelle aux tables des élites
Quand la Manufacture de Gien fait son entrée aux Expositions Universelles, de Paris à Philadelphie, c'est un festival de médailles et de récompenses. Les grandes familles aristocratiques, comme les comtes de Noailles, la famille baron de Mandell d'Écosse, le comte de Toulouse-Lautrec ou le comte de Clermont-Tonnerre, se ruent pour commander leurs services exclusifs, gravés de leurs armoiries.
Et ce n'est pas tout. Les présidents de la République s'y mettent aussi. Vincent Auriol, par exemple, commande un service pour le château de Rambouillet, aujourd'hui encore au catalogue de Gien. Plus récemment, des pièces ont été réalisées pour le château de Chambord, le musée du Louvre et le château de Versailles. Ainsi, la faïencerie, autrefois focalisée sur la vaisselle utilitaire, devient une véritable légende de l’art de la table.
Gien dans le transport : du métro parisien à l'Orient-Express
L'influence de Gien s'étend au-delà de la table. En 1882, la faïencerie se lance dans la production de carreaux de revêtement en céramique et décroche le marché du métro parisien en 1906. Résultat ? Les célèbres carreaux blancs, rectangulaires et biseautés qui tapissent les parois et voûtes des stations. Ce partenariat, qui dure jusqu'en 1980, fait de Gien un incontournable de l'architecture parisienne… et de nombreuses salles de bain des bobos urbains. En 1933, autre ambiance, Gien quitte les sous-sols parisiens pour prendre le train du luxe. L'Orient-Express, icône des voyages raffinés, commande à la manufacture l'intégralité des équipements en faïence. À bord, on trouve des assiettes, des tasses et des précieux cabinets de toilette en faïence immaculée, arborant fièrement le logo WL de la Compagnie Internationale des Wagons-Lits.
Coups durs et renaissance
La Première Guerre mondiale met un frein brutal à l'essor de la faïence de Gien. Malgré un regain de commandes de vaisselle armoriée dans les années 1920, la production décline. Après la Seconde Guerre mondiale, la faïencerie modernise ses outils, mais les productions de qualité inférieure en provenance d’autres pays européens la mettent à mal, et la société dépose le bilan en 1983.
Plusieurs repreneurs se succèdent, chacun apportant sa contribution, à l'image de l'entrée au prestigieux Comité Colbert en 1989. La faïencerie est reprise par Yves de Talhouët (ex-PDG de Hewlett-Packard) en 2014. Sous sa direction, Gien entre dans le XXIe siècle avec une vision claire : moderniser tout en préservant son héritage. La contribution de créateurs et designers comme Castelbajac ou Patrick Jouin, la personnalisation des pièces ou le lancement de la gamme "Les Dépareillées", un joyeux mix d’assiettes tombées en désuétude, sont au cœur de la nouvelle stratégie. Avec 8 000 planches de dessins d’archives digitalisées et un engagement fort dans des pratiques écoresponsables, Gien renforce sa position et témoigne de cette dynamique renouvelée.
4 questions à Kevin Stroh, chef de l'Auberge des Templiers à Boismorand
Originaire d'Alsace, Kevin Stroh a pris les rênes de l'Auberge des Templiers (2 toques) en novembre 2023, apportant avec lui une énergie nouvelle et une passion pour le terroir local. Après avoir impressionné au Restaurant Lalique, où il a affûté son talent et décroché 2 toques, ce jeune chef réinvente la cuisine française avec une touche de modernité et beaucoup de créativité.
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Comment avez-vous découvert la vaisselle de la marque Gien ?
Kévin Stroh : La faïence de Gien est mondialement connue et est un acteur majeur parmi les grands noms des arts de la table. De plus, nous avons la chance d'avoir la faïencerie à 15 km ! En arrivant à l'Auberge des Templiers, j'ai été immergé dans les différentes collections au fil des années et des univers iconiques de Gien.
Avez-vous une collection de Gien que vous aimez utiliser pour certaines occasions ou plats spécifiques ?
K.S. : Dans le cadre champêtre de l'Auberge, j'aime bien la collection "Les dépareillées". Nous utilisons également beaucoup "Chevaux du Vent". Au petit-déjeuner, nous proposons des collections qui changent au fil des années. Enfin, en période de chasse, je ne peux résister d'utiliser les collections idoines pour le gibier. La diversité des collections permet de jouer sur les dressages de mes différents plats.
Les clients sont-ils sensibles à l'utilisation de la vaisselle Gien à l'Auberge ?
K.S. : Souvent, les clients ont une anecdote familiale en relation avec la faïence de Gien qui leur rappelle un souvenir d'enfance chez un parent ou grand-parent. Ils sont toujours ravis de découvrir un modèle de Gien qu'ils ne connaissent pas.
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