Cybèle Idelot, cuisinière & Samuel Gaspoz, jardinier, au potager du Domaine les Bruyères
Au-delà de l’image devenue classique du chef accroupi dans son potager, il y a, pour certains, un vrai travail de production maraîchère, qui implique une relation étroite et une complicité avec le jardinier. Ce dernier n’est plus alors cantonné au simple rôle de fournisseur pour la cuisine, si bien qu’on ne sait plus très bien lequel est au service de l’autre. Troisième épisode de notre série de portraits croisés, rencontre avec la cheffe Cybèle Idelot et le jardinier Samuel Gaspoz.
En 2018, Cybèle et Frank Idelot cherchent un simple terrain pour y installer un potager destiné à approvisionner leur établissement de Boulogne-Billancourt. Ils tombent sur cette belle propriété de la vallée de Chevreuse, un ancien relais de poste pour lequel ils ont le coup de foudre. Ils l’achètent, le rénovent, y aménagent un restaurant et des chambres d’hôtes. Et, bien sûr, un potager. Ou plutôt une première version, qui ne donne pas entière satisfaction. Un nouveau jardinier, Samuel Gaspoz, que Cybèle découvre sur internet, est appelé à la rescousse. Il reprend tout à zéro.
Gault&Millau : Votre première intention n’était-elle pas d’ouvrir un second restaurant ?
Cybèle Idelot : Au départ, on ne cherchait qu’un lopin de terre vierge, sans traces d’engrais chimiques ni de pesticides. On n’a pas trouvé ce que l’on souhaitait, alors on a commencé à regarder de plus grands terrains avec, éventuellement, une maison, parce qu’il y avait plus d’offres. C’est le premier endroit qu’on a visité, et on a eu un coup de cœur. On en a vu dix autres, mais on est restés sur celui-ci. On a tout de suite décidé d’y ouvrir un restaurant. Certes, pour rentabiliser l’achat du terrain, mais ce n’était pas seulement d’ordre financier. C’était une question de projet. Le lieu nous a inspirés.
G&M : Comment était le premier potager ?
C. I. : On l’a commencé avec quelqu’un d’autre. C’était beaucoup plus petit, ça faisait 1 000 m2. C’était joli, en forme de mandala, mais plus esthétique que pratique. La surface n’était pas optimisée. Depuis l’arrivée de Samuel, ça a complètement changé. Il fait maintenant 2 000 m2, et chaque centimètre carré est mis à profit.
Samuel Gaspoz : L’ancien potager était conçu en fonction d’une certaine idéologie de la permaculture, mais sans tenir compte des besoins, sans l’adapter au climat, à la faune et la flore, et sans considérer le problème de l’eau. On est sur un sol très particulier, sablonneux, avec une grande quantité d’eau qui circule dessous. Quand elle remonte, c’est la gadoue partout, tout le temps. On marche sur l’eau ! Durant la période de Covid-19, Cybèle et Frank ont tenté de gérer ce problème, mais la végétation a repris le dessus. Quand je suis arrivé, il y avait de mauvaises herbes de tous les côtés. On ne voyait plus les légumes, c’était l’anarchie !
G&M : Comment l’avez-vous aménagé ?
S. G. : Ce projet me permet de mettre à profit toutes mes compétences. J’ai fait des études de paysagiste et j’ai appris l’agronomie. Puis je me suis intéressé au bois, autant à la menuiserie qu’aux arbres, à leur fonctionnement, à l’élagage, etc. Ce que beaucoup ne font pas parce qu’à l’école on n’enseigne pas à comprendre la nature, seulement à la tailler. Un potager, c’est un écosystème. Donc, si on ne réfléchit qu’au sol, on rate la moitié des choses. J’ai toujours eu un potager chez moi. J’ai pu tester des centaines de plantations. Et avant même que la vague de la permaculture ne se mette en place, j’en faisais déjà sans le savoir.
G&M : Expliquez-nous comment vous avez conçu ce potager…
S. G. : J’ai creusé des tranchées pour que l’eau vienne s’y engouffrer. Ça nous a permis de créer des plateaux de cultures, que j’enrichis avec de l’argile et de grandes quantités de fumier, fournis par les chevaux des voisins. On met aussi de la paille. Mais comme c’est une matière très aérée, les mauvaises herbes y prolifèrent. On ajoute donc du copeau fait maison à partir de bois que l’on récupère en taillant à droite, à gauche. On a également de nombreux bambous, qui nous gênent plus qu’autre chose. Alors on les tresse pour encercler les plateaux, et on a planté tout autour des branches de saules. Elles repoussent très bien et, à l’avenir, elles donneront aussi de l’ombre en formant des arches naturelles. Le but, c’est d’y semer des graines de petites courges, de patates douces, de manière à pouvoir cultiver en 3D. Ce qu’on fait, c’est un mix entre le maraîchage et le paysager. J’ai besoin d’avoir une approche écologique, mais aussi artistique, pour les clients qui viennent se balader ici. Il faut donc créer des endroits qui sont à la fois productifs et d’agrément.
G&M : Pouvez-vous tout cultiver ?
S. G. : Je n’ai pas de limites. Je plante tout ce qui est possible, et nous faisons beaucoup de semis nous-mêmes, avec l’idée de pouvoir récolter nos propres graines sur certains types de légumes. On y va vraiment à tâtons, progressivement.
C. I. : Je tombe parfois sur des choses intéressantes que je vais essayer. Par exemple, les pois chiches. J’avais envie de les travailler frais. J’en ai planté et c’était moyen. On a recommencé cette année, et il n’y a qu’un seul pois par cosse ! Ce n’est pas rentable par rapport au temps que ça prend pour le récolter. On a essayé, et maintenant, on oublie.
S. G. : Certaines choses sont très difficiles à faire pousser. Mais une période d’expérimentation peut durer dix ans. Il y a beaucoup de facteurs. Est-ce un problème d’eau, de manque de nutriments, de présence de nuisibles, est-ce dû au climat de l’année ? Pour les choux, on a testé différents endroits avant de trouver le bon. Tant qu’on n’est pas sûrs de vouloir ce légume et qu’il n’est pas certain qu’il soit impossible de le cultiver, on continue à faire des essais, mais dans des zones différentes.
G&M : Quelle influence ce potager a-t-il sur votre cuisine et sur votre équipe ?
C. I. : Tout le monde participe à sa culture, à son entretien, à la récolte. Impliquer tout le monde faisait partie de l’expérience. Ceux que nous avons embauchés devaient être d’accord avec le fait d’y passer trois heures par semaine tous les jeudis matin. Ma cuisine était déjà très végétarienne. Mais le potager a changé ma façon de créer les recettes. Je trouve l’inspiration en m’y promenant. J’y vais pour ramasser un légume ou une herbe, puis je m’y perds… Je découvre quelque chose que je n’avais pas vu la fois d’avant, et ça me donne des idées ! Ou alors, il me manque un ingrédient dans une assiette, je ne sais pas quoi, et en venant ici, je le trouve. Ce qui fait la différence, c’est qu’on prend juste ce dont on a besoin. C’est ça la fraîcheur. C’est encore vivant.
Voir l’avis de Gault&Millau, La Table de Cybèle, à Boulogne-Billancourt (2 toques)
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