Armand Arnal, cuisinier & David Catte, jardinier, au potager de La Chassagnette
Au-delà de l’image devenue classique du chef accroupi dans son potager, certains effectuent un vrai travail de production maraîchère qui implique une relation étroite avec son jardinier. Une complicité qui dépasse le rôle de simple fournisseur de la cuisine. Si bien qu’on ne sait plus très bien lequel est au service de l’autre. Gault&Millau entame une série de portraits croisés. Premier épisode en Camargue avec le cuisinier Armand Arnal et le jardinier David Catte.
Quand, en 2006, le chef Armand Arnal arrive à la Chassagnette, il hérite d’un établissement qui a déjà son potager bio et une belle réputation pour sa cuisine végétale. Le chef se sent immédiatement à l’aise dans cet écosystème camarguais et, au fil des années, perfectionne une cuisine de terreau plus que de terroir, qui se fait au plus près du jardin… et de son jardinier. David Catte veille sur ce qui est bien plus qu’un potager : une équipe de 7 jardiniers et 3 ha de cultures qui, en plus d’approvisionner le restaurant, sont un véritable laboratoire d’agroécologie.
Gault&Millau : Quand êtes-vous arrivé à La Chassagnette et quels projets avez-vous entrepris ?
David Catte : Je suis arrivé il y a trois ans, après quinze années passées au Japon, d’où j’ai rapporté certaines techniques de maraîchage sur sol vivant. Rapidement, nous avons mis en place plusieurs protocoles d’expérimentation. En 2020, nous avons construit une serre vitrée permettant d’identifier les plantes des régions du Sud susceptibles de s’adapter à la Camargue dans les prochaines années. C’est aussi un lieu à dimension pédagogique, l’objectif étant de montrer à différents publics des plantes rares et spécifiques qu’on a l’habitude de consommer mais pas forcément de voir en terre, telles que la vanille, le gingembre, les agrumes… La production ne permet pas de pouvoir les utiliser dans un menu sur plusieurs semaines, mais nous le faisons de temps en temps dans le cadre d’événements gastronomiques.
G&M : En quoi ce potager est-il particulier ?
Armand Arnal : La production de nos fruits et légumes n’a pas à s’inscrire dans le cadre d’un résultat financier, ce qui nous permet de prendre le temps de travailler non seulement sur nos besoins, d’avoir tous les produits qu’il nous faut pour le restaurant, mais aussi de faire de ce potager un lieu d’expérimentation. Chaque année, nous partons en quête de nouvelles espèces, de nouvelles sous-familles, nous faisons des essais avec de nouvelles variétés de courgettes, aubergines, tomates… Il y a comme ça deux ou trois sujets de fond par année sur lesquels nous travaillons. Nous compilons les résultats et faisons le point pour l’année suivante.
D. C. : Un jardin maraîcher classique exploite une trentaine de variétés. Ici, nous sommes sur des centaines. Nous sommes quasiment un jardin botanique ! Nous n’avons donc pas du tout les mêmes systèmes d’organisation. Alors qu’un maraîcher va travailler sur des planches de 40 ou 50 mètres avec le même légume, nous les segmentons et nous faisons des semis toutes les semaines ou tous les dix jours, qu’on renouvelle de manière régulière. Notre objectif est toujours d’améliorer la qualité et le goût de nos légumes. Nous travaillons avec la plupart des semenciers bio, les conservatoires et banques de graines anciennes et rares. Nous sommes constamment dans la recherche de nouveaux fournisseurs et de plantes uniques pour élargir la palette de l’artiste – le chef – et participer à la créativité en cuisine. Mais nous voulons quand même raison garder. On ne pousse pas la tomate après l’automne, par exemple, on reste dans l’idée de saisonnalité. L’un des enjeux pour nous cette année est notamment la production des choux (chou-fleur, chou chinois, chou plat, chou frisé…) qui arrivent tard en saison et que les chefs aimeraient bien avoir un peu plus tôt. Nous allons voir s’il est possible de commencer à les planter dès les périodes d’été pour accélérer un petit peu le processus et pouvoir en profiter avant le début de l’hiver.
G&M : Ce potager est-il une contrainte ou une liberté ?
A. A. : Notre façon de travailler implique de prendre énormément de risques, et il y a quand même pas mal de choses qui ne fonctionnent pas comme on le souhaiterait. Nous ne pouvons pas dire « je veux un produit, comme ci ou comme ça » ! Chaque fois, il faut trouver des parades. Travailler avec un organisme vivant à côté de sa cuisine exige une adaptation et un rapport avec le produit beaucoup plus intime. Cela nous oblige à transformer les difficultés du quotidien en solutions créatives diverses et variées. Un exemple : en ce moment, nous avons une assiette de légumes à la carte, avec du fenouil et des navets. À la suite des changements de température, ils ont énormément poussé les deux dernières semaines et ne nous ont pas vraiment laissé le temps d’en profiter dans leurs aspects petits légumes. Nous avons donc dû changer notre taillage et modifier nos temps de cuisson. Il n’y a jamais rien d’acquis, et ceux qui rejoignent l’équipe ont besoin de temps pour s’adapter, surtout s’ils sont habitués à avoir des produits calibrés et bien définis dans un temps précis. Notre force, ici, c’est le changement constant.
G&M : Quel est l’impact du changement climatique sur votre travail ?
D. C. : Les évolutions climatiques sont au cœur de notre activité. Le manque d’eau ou le réchauffement pendant les périodes estivales sont des enjeux prioritaires. Nous ajustons nos outils structurels pour nous adapter au monde de demain, avec des systèmes qu’on trouve plutôt en Asie du Sud-Est ou dans les zones sahéliennes. Nous menons un protocole de recherche sur les voiles d’ombrage, avec différents types de grammage pour protéger les plantes durant les chaleurs caniculaire. Nous travaillons sur la biologie des sols, avec des apports de matière organique qui permettent à la plante d’être auto-immune et d’avoir une résistance naturelle. Il y a les savoir-faire traditionnels et l’innovation technique. Et nous, nous essayons de nous positionner entre les deux. En remettant au goût du jour des techniques peut-être oubliées et en utilisant aussi des équipements modernes nous permettant de répondre aux besoins du territoire.
G&M : Êtes-vous en totale autonomie ?
D. C. : Nous sommes à 97% autonomes. Il y a des choses que notre terroir ne nous permet pas de mettre en production, comme l’asperge, par exemple, que nous prenons chez un producteur qui sait la cultiver. Les légumes sont récoltés le matin, et sont tout de suite travaillés par l’équipe en cuisine, sans passage en frigo. C’est vraiment magique pour nous de les voir sublimés par l’équipe d’Armand. On ne peut pas rêver mieux en tant que jardinier.
G&M : Comment ce potager fait-il évoluer le restaurant ?
A. A. : Avoir un tel jardin nous donne aussi l’envie de faire plein d’autres choses autour du restaurant. Ça nous donne des idées qui nécessiteront la connaissance et le savoir des gens qui travaillent dans le restaurant, mais avec des expériences qui ne se passent pas forcément sur une table où on vous sert des plats. Nous travaillons pour essayer de valoriser toutes ces connaissances, ces savoir-faire acquis chaque année, pour présenter demain quelque chose de différent, une nouvelle façon d’écrire les choses.
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