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Thomas Besnault, cuisinier, et François Rieant, jardinier, au Loire Valley Lodges

Thomas Besnault, cuisinier, et François Rieant, jardinier, au Loire Valley Lodges

Sylvie Berkowicz | 27/03/2023

Au-delà de l’image devenue classique du chef accroupi dans son potager, il y a, pour certains, un vrai travail de production maraîchère, qui implique une relation étroite et une complicité avec le jardinier. Ce dernier n’est plus alors cantonné au simple rôle de fournisseur, si bien qu’on ne sait plus très bien lequel est au service de l’autre. Sixième épisode de notre série de portraits croisés avec Thomas Besnault, chef de l’Ardent au Loire Valley Lodges, et le jardinier François Rieant.

Situé près de Tours, au cœur d’une immense forêt privée et classée de 300 hectares, le Loire Valley Lodges s’est d’abord fait connaître par ses belles chambres-cabanes perchées au milieu des arbres. C’est maintenant son restaurant qui attire les visiteurs, avec à sa tête un jeune chef, Thomas Besnault, qui a trouvé dans ce magnifique domaine l’espace pour écrire sa propre cuisine. Entré fin 2021 au restaurant l’Ardent, comme chef exécutif d’une carte signée Gaëtan Évrard de L’Évidence à Montbazon, il s’impose très vite comme chef à part entière. Quelques mois plus tard, c’est lui qui prend la direction de la carte, avec des plats directement inspirés du potager qui avait déjà été aménagé à l’ouverture du domaine en 2020. Un jardin créé par François Rieant qui en prend soin au quotidien, et travaille en étroite collaboration avec le chef. 

Gault&Millau : François, quelle est votre formation ? 

François Rieant : J'ai été chef de cuisine pendant quelque temps. Puis, j'ai fait une reconversion professionnelle pour être technicien forestier. J'ai cherché des emplois en forêt que je n'ai pas forcément trouvés. J'ai travaillé pour un ami de Bertrand Frey [NDLR : propriétaire du Loire Valley Lodges] et c’est lui qui m’a conseillé de venir ici. Voilà comment je suis revenu dans un établissement d'hôtellerie restauration ! L'avantage, c'est que la cuisine, je suis passé par là ! Je connais les problèmes, les attentes et les difficultés qui peuvent se présenter. Je suis peut-être plus compatissant avec eux que la plupart des jardiniers qui n'ont jamais mis un pied en cuisine. 

G&M : Comment avez-vous conçu ce potager ? 

F. R. : À cet emplacement [NDLR : tout près de la maison où se trouve l’accueil et le restaurant], il n’y avait que de la prairie. On a dessiné un jardin mandala, c'est plus sympa pour se promener. J’ai 5000 m2 de potager, plus quelques massifs dans la cour intérieure du restaurant, avec des herbes aromatiques, des cassis, des groseilliers des framboisiers… J’ai planté des fruitiers, pommiers, poiriers, cerisiers, pruniers, figuiers, mais peu de pêchers ou abricotiers car ils sont fragiles. Ils sont un peu jeunes donc on n’a pas encore eu de réelle production. Ça devrait arriver cette année. Pour des raisons esthétiques, on n’a pas voulu faire de serres, donc on est resté sur de la pleine terre. Ce qui est une difficulté, parce qu'il y a certaines plantes qui sont bien plus à l'aise en serre, comme les tomates par exemple. Ça ne prend pas l’eau et ça vous permet d’allonger un peu les saisons. Mais visuellement, je peux très bien comprendre… L'idée était aussi d'y mettre des fleurs. Il y a beaucoup de rosiers, des pieds de lavande pour donner de la couleur. Et puis sur les espaces de jachère, je mets des mélanges fleuris, parce qu'on a aussi des abeilles. Comme on est en permaculture, j'évite les traitements agressifs. Et puis, dès que par exemple je cueille les poireaux, je coupe toutes les têtes et je les laisse sur place. J'essaye toujours de rendre à la terre un maximum de ce qu'elle nous a donné pour ne pas l'épuiser.  

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G&M : Pour vous Thomas, le fait d’avoir un potager à proximité a-t-il changé votre façon de cuisiner ? 

Thomas Besnault : Pas tant que ça. Disons que ça ne change pas la personnalité de ma cuisine, mais c'est une source d’inspiration. À chaque fois que je vais dans le potager, j'ai des idées. Je vois une betterave à côté d’un céleri et je me dis « on va les mettre ensemble ». Je sers aussi toute l’année une assiette qu’on appelle « Le jeu du jardin ». Je la travaille en fonction de ce qu'on a. La seule constante de ce plat, c’est le pin douglas et le miel. On fait sécher les épines de pin, qui ont un petit goût de pamplemousse, on en fait une poudre, une épice pour le jus.  

Il y a ici énormément d'herbes aromatiques – de l'origan par exemple que j'avais peu l’habitude d’utiliser –, pareil pour l'estragon qui à la base n’était pas trop mon truc. On a aussi travaillé avec les feuilles et les bourgeons de cassis, qui sont impossibles à obtenir quand vous passez des commandes.  

G&M : Comment choisissez-vous les variétés à cultiver ? 

F. R. : L'avantage d'avoir été cuisinier, c’est que je connais les besoins récurrents, comme les poireaux, les céleris, les choux ou les herbes aromatiques… En été, je fais des tomates et pour l'hiver des courges.  Quand Thomas est arrivé, il s'est impliqué et s’est mis à vraiment utiliser le potager. On a de réelles discussions sur les plantes.  

T. B. : Nous faisons régulièrement des points, comme pour un business plan ! Et puis on va dans le potager, on goûte. C'est comme si je passais toutes mes journées avec un producteur ! François fait partie de l'équipe du restaurant, au même titre que ceux qui sont en cuisine ou en salle.  

G&M : Êtes-vous à la recherche d'espèces un peu rares ou anciennes ? 

F. R. :  Je le fais beaucoup pour les tomates, en travaillant avec le conservatoire de la tomate du château de la Bourdaisière, qui a une collection incroyable. Là, j’ai choisi une quinzaine de variétés. On peut dire que j’en ai fait un peu une spécialité. En cuisine, elles sont utilisées en carpaccio, en gaspacho… Et le supplément de production, les cuisiniers réussissent à le transformer.   

T. B. L'année dernière, on avait au moins dix variétés, c'était énorme ! Et en plus, ce n’était pas forcément ma spécialité ! Mais on a fait une assiette autour de la tomate avec un ketchup de tomates jaunes tout en concentration, une belle rondelle qu'on venait juste brûler à la flamme et un jus gazéifié très concentré aussi.  

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G&M : Comment gérez-vous les quantités produites ? Avez-vous des manques ou des surplus ? 

T. B. : En ce moment, je dirais que nous sommes à près de 50 % de produits utilisés qui viennent de notre potager, mais il est arrivé qu’en plein été nous soyons à 80 %. Ça varie beaucoup. On a la chance d’avoir plusieurs offres : le restaurant gastronomique, la carte Finger Food et le service en chambre, où on propose des salades composées de jeunes pousses et de légumes qu'on a en petites quantités. En début de repas, on sert toujours un bouillon fait avec nos épluchures, celles qu’on a envie de valoriser. On fait beaucoup sécher pour des poudres. On fait également une betterave confite dans une huile fumée saupoudrée d’une poudre de betterave qui va tapisser le palais et intensifier le goût. La lacto-fermentation, je n’en fais pas encore, mais c’est envisagé.  

F. R. : L'année dernière, on a eu trop de courges butternut. Le personnel en a pris, mais ça ne suffisait pas à les écouler. Donc on a appelé la Croix-Rouge, qui les a récupérées. C'était une super idée plutôt que de les jeter dans le compost. Cette année, j’en ferai moins ! En revanche, il y a des choses pour lesquelles je ne pourrai jamais fournir tout ce dont la cuisine a besoin. Par exemple, les fraises. Il faudrait que je plante un champ entier pour satisfaire les besoins de la cuisine, qui doit s’en procurer ailleurs. Mais j'essaie de faire le maximum pour en fournir. 

G&M : Avez connu déjà des échecs dans vos plantations ?   

F. R. : La première année, il a tellement plu que toutes mes tomates ont attrapé le mildiou : 250 pieds perdus en deux jours, c’est-à-dire deux semaines de boulot à la poubelle. L’année suivante ça a été l’inverse ! La pluie a beaucoup manqué, et elles ont eu du mal à pousser. J’ai dû revoir mon système d’irrigation. J’avais aussi planté du wasabi, mais je n'avais pas vraiment regardé comment ça se faisait. Je me suis renseigné sur le tard et j’ai découvert que sa culture nécessite beaucoup d’eau. Alors j’en ai mis en serre. Enfin, je ne peux pas vraiment appeler ça vraiment une serre… C’est un couloir entre deux bâtiments, qui me permet de faire tous mes semis et quelques agrumes.   

G&M : Quel est le plaisir particulier de cette relation entre le jardinier et le chef ?  

F. R. : C’est d’entendre le chef me dire : tes légumes ne sont pas forcément les plus gros ou les plus beaux, mais ils ont du goût ! C'est extrêmement valorisant. Même si ce n’est pas moi qui fais pousser les légumes. C'est la terre, l’eau et le soleil. 

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