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Quand les chefs prennent le large

Quand les chefs prennent le large

04/01/2025 09:02

Paquebots de croisière et gastronomie forment un duo bien connu. L’un et l’autre naviguent sur l’horizon depuis le début du xxe siècle. Aujourd’hui, alors que le secteur ne semble connaître ni crise ni ralentissement, les compagnies font de plus en plus souvent appel à des chefs à la carrière déjà très ancrée sur la terre ferme pour séduire une clientèle forcément volatile.

Plus de 95000 euros. C’est le prix d’un exemplaire du menu du Titanic du 11 avril 1912, vendu aux enchères l’an dernier. Trois jours avant le dramatique naufrage, les passagers de première classe se régalaient encore : huîtres, consommé Renaissance, crème d’asperges, saumon sauce hollandaise, tournedos de bœuf, poulet rôti, agneau à la menthe, petit pois, purée de panais, pudding Victoria et crème glacée française… Le paquebot le plus luxueux de l’époque ne lésinait sur rien, et encore moins sur les assiettes. Pour preuve, même la troisième classe avait son restaurant. Bien sûr, les autres navires transatlantiques mettaient eux aussi les petits plats dans les grands. L’objectif, alors, était de chasser l’ennui des voyageurs et, éventuellement, la peur de la longue traversée. Un siècle plus tard, les bateaux de croisière remettent le cap sur la gastronomie. On ne compte plus les chefs qui se jettent à l’eau : Stéphanie Le Quellec avec Rivages du Monde, Marco Pierre White avec P&O Cruises, Michel Roux avec Cunard, Hélène Darroze, Bruno Barbieri et Ángel León avec Costa, Denny Imbroisi avec Ponant, Thierry Marx avec Explora Journeys… ou encore les restaurants Umi Uma de Nobuyuki Matsuhisa (plus connu sous le nom « Nobu ») sur Crystal Cruises, Seta su Ilma du chef Fabio Trabocchi sur Ritz‑Carlton Yacht Collection ou encore Le Voyage de Daniel Boulud sur Celebrity Cruises…

Star aux États-Unis, le chef français à la tête de 24 restaurants explique : « C'est Cornelius Gallagher, mon sous-chef il y a vingt-deux ans et aujourd’hui vice-président d’Hotel Operations de Celebrity Cruises, qui est venu me proposer d’être l’ambassadeur culinaire de la marque. Nous avons d’abord fait du marketing et des événements ensemble avant qu’il ne m’invite à ouvrir cette table en 2019 [puis une seconde sur un autre bateau, NDLR]. » Aménagées toutes deux par le cabinet d’architecture français Jouin Manku, elles comptent 40 places chacune. « Nous ne faisons pas de cuisine spontanée, mais des plats qui sont parfois dérivés de mes autres restaurants – Café Boulud, Pavillon, Daniel – ou d’un bistrot et qui peuvent bien s’adapter à bord. » Pour Daniel Boulud, la gastronomie a toujours fait partie de l’expérience en mer. « Je me souviens des croisières Paquet lorsque j’étais chez Roger Vergé au Moulin de Mougins. À la fin des années 1970, il y avait des semaines gastronomiques à bord et des rotations de chefs dans les cuisines quand les navires croisaient en Méditerranée. J’ai toujours apprécié le service sur les bateaux. J’ai d’ailleurs employé beaucoup de jeunes ayant eu une expérience à bord. Talentueux et courageux, ils comprennent l’importance de la relation avec le client en le côtoyant durant une semaine, deux semaines ou un mois. Ils savent fidéliser, ce qui est crucial pour un restaurant, et ils sont aussi à l’aise avec une clientèle internationale. »

Restaurant Gastronomique Ponant Explorers©ponant Nicolas Matheus
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Nicolas Matheus

La compagnie Ponant s’est inscrite dans une autre démarche et s’est associée dès 2016 à Ducasse Conseil pour faire rayonner l’art de vivre à la française. « Le but n’était pas de refaire ce que nous faisions déjà dans nos restaurants Alain Ducasse, mais de s’en inspirer, souligne Jérôme Lacressonnière, directeur de Ducasse Conseil. Nous avons développé l’identité culinaire de Ponant avec la création de près de 800 recettes. En parallèle, ayant aussi une école Ducasse à Manille [le personnel à bord de nombreuses compagnies est très souvent philippin, NDLR], nous avons lancé des formations puis assuré un suivi qualité. » La révolution dans les cuisines ne s’est pas faite du jour au lendemain, mais sur le long terme. Entre-temps, la clientèle a évolué. « Ponant, c’était 80% de Français et 20% d’étrangers. Aujourd’hui, nous avons 20% de Français et 80% d’Américains et de Chinois. Mais ce n’est pas la même chose de (les) mettre dans la même salle. L’Américain parle fort et mange différemment. Le Français prend l’apéro sur le canapé et passe à table à 20h30. Tout cela, il faut le prendre en compte. » Avec le Commandant Charcot, arrivé en 2021, « Ponant voulait un palace flottant pour des destinations arctiques et antarctiques. Il fallait se distinguer des autres navires et apporter un positionnement plus luxe. » Avec, notamment, le restaurant Nuna d’Alain Ducasse. Ponant multiplie en outre les partenariats avec d’autres grands chefs – Jean‑François Piège, Pierre Hermé, Mitsuru Tsukada ou encore Christian Le Squer et même l’association Relais&Châteaux. C’est à se demander si la table ne vole pas un peu la vedette à la destination… « Non, c’est un tout », appuie Jérôme Lacressonnière.

À bord du MSC World Europa, le chef suédois Niklas Ekstedt, connu pour sa cuisine au feu de bois à Stockholm, a récemment ouvert une table. « Les plats mettent à l’honneur les micropousses cultivées à bord, dans la salle de restauration, explique‑t‑il. Ces ingrédients de choix viennent enrichir les saveurs, les textures et les couleurs. » Las, ce jour‑là, les micropousses avaient disparu des étagères, laissant les « fermes » bio vides. Le regard porte alors sur les plantes de décoration… en plastique. Le restaurant compte parmi les nombreuses offres culinaires à bord – dont un agréable salon de thé et un étonnant bar speakeasy. Chaque semaine, il faut nourrir jusqu’à 6000 bouches de passagers (2633 cabines) et 2138 membres d’équipage, soit 9370 kg de fruits de mer, 22230 kg de fruits frais, 17970 kg de viande, 44570 œufs… La liste donne le tournis. Se pose alors la question du gaspillage, sujet sensible à bord. « Nous calculons chaque jour la quantité de nourriture nécessaire pour éviter la surproduction et les restes alimentaires, sur la base de nos données historiques des mois et années précédents, avance Bernhard Stacher, vice‑président senior hôtellerie et restauration de MSC Croisières. Au buffet, pour réduire les déchets, nous ouvrons et fermons les sections en fonction du flux de passagers et nous réduisons la taille de la vaisselle. » L’an dernier, le groupe MSC lançait la marque de luxe et art de vivre Explora Journeys se distinguant par une offre culinaire plus pointue et un choix de restaurants sans supplément (hormis au gastronomique Anthology). Et puisque les passagers sont captifs, le chef Jean-Louis Dumonet, maître cuisinier de France, a concocté un cours de cuisine avec une vue phénoménale sur l’horizon d’où, parfois, surgissent des dauphins.

Ici ou là, les compagnies de croisière semblent jouer des noms et du prestige des chefs pour faire venir en mer une clientèle de fines bouches. « Le recours à de grandes figures médiatiques du monde de la gastronomie permet aux croisiéristes de construire une image de marque et une identité autour de leur “branding”. Pour les chefs de renommée internationale, cela permet d’atteindre un large public qui ne va pas forcément dans les restaurants de luxe. » Et de toucher des honoraires confortables (montants classés secrets défense) qui viendront financer le fonctionnement de plus en plus lourd de leurs restaurants. Michel Roth travaille depuis 2012 avec Les Voyages de Sophie (LVDS), un électron libre sur l’eau. Sophie Vives Apy a approché le chef alors qu’il était encore au Ritz, en lui présentant son concept : louer un bateau entier et amener sa propre équipe. Michel Roth a embarqué dans l’aventure en emmenant Franck Meyer, qui le suit depuis plus de vingt ans. Le pâtissier Philippe Rigollot, Meilleur ouvrier de France, les a rejoints. Ce trio s’entend à merveille, au point de s’entraider mutuellement lors des dîners gastronomiques qu’ils organisent deux ou trois fois par croisière selon l’itinéraire. « C’est assez rare, admet Michel Roth. Parfois nous faisons le dressage des desserts avec Philippe. » Leur bienveillance et leur gaieté rejaillissent dans les assiettes, mais aussi dans l’ambiance. Sur la dernière croisière sur le Danube, il fallait voir les applaudissements et les serviettes qui volaient dans les airs lors de leur premier repas ! Parfois, ils réalisent des buffets et servent eux-mêmes les passagers. Les trois chefs restent accessibles durant toute la durée de la croisière. « Cruise un jour, cruise toujours » est leur slogan. Mais à qui cela profite-t-il le plus ? Au croisiériste ou aux chefs ? « Aux deux », reconnaît Michel Roth. Et comme si des oreilles nous avaient entendus, un couple vient alors saluer le chef. « Vous voyez, nous sommes là ! » clament-ils. Ce sont des habitués de la table du chef en Suisse (Bayview, à Genève, 4 toques au Gault&Millau Suisse). « Nous avons suivi vos recommandations. » Parfois, c’est l’inverse qui se produit. Les passagers vont rendre visite au cuisinier ou au pâtissier découverts à bord.

Cel Eg Magic Carpet 3

Tout le monde semble profiter de ces « cartes de visite ». Mais tout dépend de la taille du navire. Michel Roth se souvient des débuts avec LVDS. « C’était sur un bateau de 1400 personnes. Nous avons fait deux services de 700 personnes. Les gens partaient et nous redressions juste après. Il n’était pas possible d’avoir la qualité que nous souhaitions. Nous avons arrêté. » Quid des ingrédients interdits? « Par superstition, le lapin ne sera jamais servi à table. L’animal rongeait autrefois les cordes et cordages et faisait couler les bateaux, raconte Alexis Quaretti, maître cuisinier de France 2023 et directeur exécutif chez Oceania Cruises. J’ai contourné en créant un lièvre à la royale en le remplaçant par du bœuf.» Il a vingt ans de mer au sein de la compagnie et est passé par tous les restaurants. « Une seule fois, nous avons dû changer le menu et proposer du froid. La mer était agitée près du cap Horn. Les casseroles volaient. C’était dangereux. » Car c’est cela aussi les croisières en mer. Une flexibilité à toute épreuve est indispensable. Est-ce la raison pour laquelle les croisiéristes se reposent sur des têtes connues plutôt que d’essayer de dénicher des talents de demain et de surfer sur une nouvelle gastronomie ?

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