Veuillez patienter...

Contact

37-39 rue Boissière
75016 Paris
France

Appeler : 01 41 40 99 80

GaultMillau © 2025 Tous droits réservés

Pour une pincée de sel

Pour une pincée de sel

Ina Chong | 30/12/2024 12:00

Longtemps synonyme de richesse, d’expansion et de puissance pour ceux qui ont maîtrisé sa production, le sel est exploité depuis les temps préhistoriques. Ses nombreuses propriétés lui ont permis de rester à la fois un indispensable du quotidien et une matière première précieuse pour de nombreuses industries de pointe.

Le sel est le nom courant utilisé pour désigner le chlorure de sodium (NaCl), un minéral d’origine marine présent dans l’eau lorsque les océans recouvraient encore la Terre. Il s’est déposé en couches de sédiments à chaque retrait de la mer. Denrée inépuisable, elle se retrouve en abondance dans la nature, mais selon une répartition inégale et sous des formes différentes – à l’état de roche enfouie dans le sol ou à l’état liquide en dissolution dans la mer. « Il s’agit de l’une des premières matières premières que l’homme a extraites et utilisées massivement dans tous les aspects de sa vie, souligne Raphaël Haumont, enseignant-chercheur à l’université Paris Sud-Paris Saclay et cofondateur du Centre français d’innovation culinaire (CFIC). Le sel, qui a mis des millions d’années à se fabriquer, est en ce sens fascinant, car il est affaire de vie et de survie. Il permet notamment la régulation de l’eau dans les cellules et constitue une source de vie précieuse. »

L’exploitation du sel dépend de techniques diverses correspondant aux différentes formes que prend le minéral. Le plus souvent, son extraction revient à soumettre l’eau salée à une évaporation naturelle ou artificielle jusqu’à la cristallisation, un phénomène qui se produit lorsque la densité du sel se situe autour de 330 grammes par litre. On transforme ainsi une saumure naturelle en sel. Dans l’histoire, les sociétés ont combiné ces opérations selon des systèmes techniques qui leur étaient propres : le briquetage au premier âge du fer, les fourneaux à sel gaulois ou encore les marais salants et salins qui datent du Moyen Âge, voire de l’époque romaine. L’exploitation directe des dépôts salins relève quant à elle des techniques minières d’extraction. Le sel gemme (ou la halite) provient de gisements issus de l’évaporation de mers ou de lacs salés qui peuvent constituer des couches de plusieurs mètres d’épaisseur. En France, les plus anciens gisements de sels gemme se sont formés il y a 250 à 200 millions d’années. Aujourd’hui, la dernière mine encore en activité est située à Varangéville, en Lorraine.

Au XIXe siècle, le sel devient une matière première incontournable pour une industrie chimique en plein essor. On découvre qu’à partir du sel il est possible d’obtenir de la soude, du chlore, de l’acide chlorhydrique ou encore du carbonate de sodium. L’utilisation de ces produits chimiques concerne de nombreuses industries allant du verre au savon, en passant par le papier, la lessive, les nettoyants divers ou encore l’eau de Javel, dont les propriétés désinfectantes sont découvertes à cette période. « Aujourd’hui, le sel est principalement utilisé par des industries en dehors du secteur de la consommation alimentaire, explique Annah de Roquefeuil, responsable marketing des sels de table pour le groupe Salins, l’un des leaders européens. L’industrie chimique est incontestablement la plus grande consommatrice, car le sel est précurseur de plusieurs éléments, comme le plastique ou l’élasthanne. » En 2021, la France a produit plus de 5 millions de tonnes de sel, dont 1 million de tonnes de sel marin et seulement 200 000 tonnes dédiées à la consommation alimentaire. À lui seul, le groupe Salins produit en moyenne chaque année 4 millions de tonnes de sel, dont 30 % sont destinés à l’industrie chimique, suivie du déneigement (17 %) et de l’alimentaire (10 %). La trajectoire de l’entreprise, l’un des principaux saliniers européens, est caractéristique de l’évolution de la filière industrielle qui s’est mise en place à partir du XIXe siècle.

« La Compagnie des salins du Midi a été créée à Aigues-Mortes en 1856, raconte Annah de Roquefeuil. Face à la difficulté de vendre leur production de sel, les sauniers indépendants répartis dans le sud de la France se sont associés à des négociants de Montpellier pour créer une sorte de groupement afin de rendre possible un commerce national. L’objectif commun était de produire le sel et de le commercialiser pour toutes les applications possibles. »

Tout au long du XXe siècle, la Compagnie des salins du Midi étend sa présence sur tout le territoire au gré d’acquisitions et de fusions pour devenir la Compagnie des salins du Midi et des salines de l’Est (CSME), principale composante du groupe Salins. Il est aujourd’hui l’unique acteur européen à maîtriser et mettre en œuvre les trois techniques de production – solaire, thermique et minière –, lui donnant la possibilité de fournir du sel sous toutes ses formes et pour toutes les applications. « En fonction des usages souhaités, nous produisons différents types de sels dans nos sites, poursuit la responsable. Nous exploitons nos marais salants d’Aigues-Mortes pour le sel de mer alimentaire – le sel de table tel qu’on le connaît – ainsi que dans certaines applications industrielles. Le sel gemme issu de la mine de sel de Varangéville est exclusivement destiné au déneigement. Nous avons également une raffinerie à Varangéville et une autre plus petite à Dax qui nous permettent de produire le sel le plus pur – avec un taux de chlorure de sodium supérieur à 99,9 % – pour diverses industries, telles l’agroalimentaire qui a besoin de sel pur pour la fabrication du pain ou du fromage, les industries chimique ou pharmaceutique. »

Face à la diversification des usages industriels, qui a bouleversé et structuré la filière, le métier de producteur a également dû s’adapter. « Le débouché millénaire du sel a été la conservation, explique Tanguy Ménoret, président de l’Association française des producteurs de sel marin de l’Atlantique (AFPS), administrateur de la coopérative Le Guérandais et paludier. Avec sa disparition, il a fallu trouver de nouveaux débouchés. » Alors qu’elle était dynamique jusque-là, la production de sel sur la façade atlantique commence en effet à décliner à l’aube du xxe siècle. Le froid remplace le sel dans les techniques de conservation, et le développement de l’industrie chimique bouleverse le secteur. Les marais salants de Camargue s’industrialisent, les techniques d’exploitation de sel se perfectionnent, jusqu’à devenir presque entièrement mécanisées vers 1950. « L’essor de l’industrie chimique a transformé le marché avec une demande pour du sel chimiquement pur de plus en plus élevée là où les impuretés étaient de moins en moins tolérées, analyse Louis Merlin, vice-président de l’AFPS, administrateur de la Coopérative de l’île de Ré et paludier. Là où l’industrialisation et la mécanisation ont été possibles, comme en Méditerranée ou au Portugal, les changements ont été faits. Sur la façade atlantique, les caractéristiques du sol rendaient difficile l’implantation de machines. Il y a eu davantage de résistances locales pour protéger le territoire et défendre un savoir-faire millénaire. »

À partir des années 1970, une nouvelle génération soucieuse de faire perdurer les savoir-faire et les terroirs investit alors le métier. En 1979, une formation inédite en Europe, le brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole option saliculture voit le jour à La Turballe. La production de sel est relancée avec, notamment, une valorisation de la fleur de sel, qui représente aujourd’hui 50 % des revenus des petits producteurs. L’AFPS voit le jour dans les années 1990 et regroupe les principales coopératives de Guérande, Noirmoutier et l’île de Ré. « Notre débouché a été de nous orienter vers les nouvelles économies artisanales en travaillant sur la qualité du produit, confirme Tanguy Ménoret. Il s’agit d’un produit assez brut, sans additif. Nous avons essayé de nous démarquer en cherchant des labels de qualité comme le Label rouge ou encore l’IGP de Guérande, qui impose une certaine méthode de récolte traditionnelle et manuelle. » L’AFPS indique qu’aujourd’hui 25 000 tonnes de sel marin sont produites sur la façade atlantique par des petits producteurs selon des méthodes traditionnelles, exclusivement à destination de la consommation humaine. Le défi de proposer un produit misant sur la qualité plutôt que le volume induit un équilibre certes fragile, mais qui permet de maintenir des filières vertueuses. « Aujourd’hui, on vient véritablement à ce métier par passion du marais, confie Louis Merlin. Nous proposons un produit vivant qui présente des caractéristiques différentes selon la récolte ou la météo. C’est toute l’ambivalence de notre secteur. » Le sel est non seulement un produit indispensable du quotidien, présent dans chaque foyer, mais on estime qu’il existe près de 14 000 usages différents, démontrant ainsi son caractère incontournable.

Trois questions à Raphaël Haumont, enseignant-chercheur à l’université Paris Sud-Paris Saclay et cofondateur du Centre français d’innovation culinaire (CFIC)

Raphael Haumont @christophe Peus Upsaclay

Gault&Millau : Qu'est-ce que le sel ?

Raphaël Haumont : Le sel est un cristal ionique NaCl. Il est simplement constitué d’ions sodium et chlorure. Lorsque le sel est pur, c’est-à-dire à 99,9 %, il se présente sous la forme d’un cristal de roche parfaitement transparent et blanc à la lumière. Lorsqu’on parle des sels roses, gris, bleus ou noirs, ce sont en réalité des sels qui présentent des impuretés. Ces dernières dépendent d’une variété de critères comme le territoire, la manière dont la cristallisation s’est faite, les terroirs, etc. Au Japon, vous trouvez du sel noir issu d’une terre riche en soufre qui présente une odeur particulière d’œuf. On peut faire une analogie avec les pierres précieuses par exemple. Un diamant africain est différent d’un diamant américain. C’est la même chose pour les cristaux de sel. Ces impuretés qui peuvent compter pour seulement un millionième de la composition du sel sont suffisantes pour colorer le cristal. C’est le cas du fer, qui donne la couleur rose. Ces impuretés peuvent également se mélanger à NaCl, tels le zinc ou le magnésium, et donner un sel un peu plus complet comme dans le cas du sel du Guérande. À l’inverse, lorsqu’on raffine le sel, on élimine ces impuretés qui peuvent être bonnes ou mauvaises. Tout l’enjeu est de garder les petits défauts sans qu’ils ne soient trop en excès.

Quelles sont les propriétés du sel ?

R.H. : Dans l’alimentation, le sel a toujours été un excellent moyen de conservation. Il empêche les bactéries de proliférer. Lors des processus de fermentation ou de lactofermentation par exemple, le sel permet aux ferments intéressants de se développer comme il se doit. Ou lorsqu’on effectue des salages de poisson. Le sel est utilisé pour se débarrasser de l’eau superflue. Il va déshydrater le produit à cœur et donc participer à sa conservation. D’autres industries trouvent des intérêts aux propriétés du sel. À l’instar de la chimie organique et de la pharmaceutique, qui l’utilisent pour séparer les corps gras et les huiles.

Quelles sont les propriétés organoleptiques du sel ?

R.H. : Ce qui est intéressant avec le sel est d’avoir une sensation plus ou moins salée en fonction de la taille et de la forme des cristaux plus qu’au goût. Une dégustation à l’aveugle de sels différents donnerait peu de résultats concluants. Alors que les effets de surface donnent vraiment des impressions de goûts différents. La fleur de sel et ses plaquettes croustillantes en bouche peuvent créer une certaine émotion. Un sel glace provoquera quelque chose de différent. Plus la texture est fine, plus il y a de saveur.

Trois questions à François Perret, chef pâtissier du Ritz Paris

François Perret ©alterego

Gault&Millau : Quelle est votre approche du sel en pâtisserie ? 

François Perret : Le sel n’est pas réservé à la cuisine, de même que le sucre ne l’est pas à la pâtisserie. Je trouve dommage d’utiliser le sucre sans une pointe de sel. L’important en pâtisserie est de créer un équilibre du « juste sucre ». On joue avec, voire on le défie. Cela peut se faire grâce à l’acidité d’un fruit, l’amertume d’un produit comme le chocolat ou encore en le contrebalançant avec du sel. Il ne faut pas oublier que le sucre n’est pas juste un assaisonnement, c’est aussi un structurant. Une meringue sans sucre ne marche pas, mais lorsqu’on vient lui ajouter quelques grains de sel, la sensation de dessert est perturbée tout en étant plus aboutie. L’idée n’est pas de cacher le sucre en excès, mais plutôt de temporiser celui qu’on est obligé de mettre. La fleur de sel, par exemple, coupe la sensation de gras, elle perturbe un peu le palais et brouille le message du sucre.

Quel type de sel aimez-vous utiliser ? 

F.P. : Principalement la fleur de sel. Le sel de Maldon présente de petits cristaux très fins comme de la rosée qui aurait gelé. La fleur de sel réveille les papilles et crée une excitation gustative. Elle sera particulièrement percutante sur une tarte aux pommes ou en association avec du cacao torréfié et du poivre, ou encore dans un pain suisse avec un chocolat noir amer. L’assaisonnement permet de rythmer la dégustation. Pour moi, il n’y a vraiment pas de règle, la seule limite est l’équilibre des goûts.

 Qu’est-ce qu’un bon sel selon vous ? 

F.P. : Une fleur de sel à la texture un peu humide et aux cristaux ni trop gros ni trop durs, sinon elle colle à la dent et la dégustation peut être ratée. Des cristaux fins pas forcément blancs ou purs et, si possible, une fleur de sel française puisqu’il y a une riche tradition et des produits de grande qualité. Ce serait dommage de passer à côté.

Ces actualités pourraient vous intéresser

Les 6 paris-brest à goûter une fois dans sa vie Artisans & Savoir-faire

Les 6 paris-brest à goûter une fois dans sa vie

Gault&Millau traverse l’hexagone à la recherche des plus grands classiques de la pâtisserie française et de leurs plus brillants défenseurs. Voyage en quête de paris-brest d’exception.
La crème brûlée, son histoire et nos bonnes adresses Artisans & Savoir-faire

La crème brûlée, son histoire et nos bonnes adresses

Surface caramélisée légèrement craquante, la crème brûlée invite parfois à la fantaisie. Traditionnellement à la vanille, les Chefs ne manquent pas d’imagination pour en proposer de multiples variantes. Gault&Millau vous partage son histoire et les meilleures adresses du moment.
Paludiers solaires Actus & Rendez-vous

Paludiers solaires

Depuis près d’une dizaine d’années, Matthieu Le Chantoux produit et récolte du sel sur le bassin du Mès, dans le pittoresque décor des marais salants de Guérande. Paludier indépendant et producteur-récoltant, il lance L’Atelier du Sel en 2013 avec son oncle, puis poursuit l’activité avec Hughes Martineau, son cousin. S’inscrivant dans la tradition des paludiers, gestes et savoir-faire ancestraux sont perpétués, tout comme la fierté de proposer un produit naturel récolté à la main, selon des méthodes artisanales.
Pourquoi mange-t-on des huîtres à Noël ? Actus & Rendez-vous

Pourquoi mange-t-on des huîtres à Noël ?

Pourquoi les huîtres sont-elles devenues incontournables à Noël ? Découvrez l’histoire derrière cette tradition, ainsi que nos meilleures adresses pour en profiter !
Le panettone, son histoire et nos bonnes adresses Artisans & Savoir-faire

Le panettone, son histoire et nos bonnes adresses

Gault&Millau vous embarque à la découverte de ce fascinant croisement entre gâteau et pâte levée, incontournable des fêtes de fin d’année en Italie.
Horl : l'art de l'aiguisage réinventé par une famille passionnée Artisans & Savoir-faire

Horl : l'art de l'aiguisage réinventé par une famille passionnée

Dans la Forêt-Noire, Horl réinvente l’aiguisage avec élégance et efficacité. Alliant savoir-faire artisanal, design novateur et durabilité, cette marque familiale allemande séduit chefs et amateurs passionnés.

Produit de bouche, équipement de cuisine, art de la table, solution de service ...

Retrouvez la liste complète des partenaires qui font confiance à Gault&Millau

Tous nos partenaires