Le bonheur est dans Les Prés d’Eugénie
Il y a 50 ans tout juste, Michel Guérard faisait la révolution aux Prés d’Eugénie, donnant lieu à un long article dans le magazine Gault&Millau en juin 1974. En juin 2024, on s’y rendait avec la sensation curieuse de toucher du doigt ce qui est devenu avec les années un véritable mythe.
Quelques notes de musique résonnent et semblent rebondir au milieu des arbres centenaires du parc. Les cloches du Couvent des Herbes jouent les premières mesures d’Une petite musique de nuit. Il est 13 heures. C’est l’heure de la promenade dans le parc pour certains, celle du tennis ou des thermes pour d’autres, du bain de soleil au bord de la piscine ou du déjeuner à La Ferme aux Grives ou à La Maison Rose, à moins que ce soit à L’Orangerie. D’autres encore s’assoient sur un banc au pied des gigantesques magnolias et écoutent le chant des oiseaux… Aux Prés d’Eugénie, le temps semble suspendu. À votre seule volonté. Et à celle de Monsieur. « Monsieur », c’est ainsi que tout le monde parle du chef Michel Guérard. Ce n’est pas le « chef » (comme partout ailleurs) ni « Monsieur Michel » (comme « Monsieur Paul », chez Paul Bocuse). Non, c’est « Monsieur », comme dans une maison de couture, comme Yves Saint Laurent, Hubert de Givenchy, Cristóbal Balanciaga ou Christian Dior… « L'un des premiers livres de recettes que j’ai achetés aux puces était celui, annoté, de Christian Dior », souligne justement Michel Guérard. « Monsieur », signe à la fois de respect et d’admiration, signe surtout que Michel Guérard est de la trempe des grands, de l’étoffe de ceux qui laisseront sans aucun doute une trace indélébile – rappelons qu’il fait partie des académiciens Gault&Millau auréolés de 5 toques d’or. « Monsieur » n’est pas seulement un chef ; il a, avec Christine – qu’il a rejointe par amour dans ce « Far West », il y a cinquante ans tout ronds –, imaginé une œuvre totale au cœur d’un parc de 15 hectares.
Pâtissier de formation, cuisinier par passion, Michel Guérard s’est fait connaître – et reconnaître – avec une table, créée « sans un rond », à Asnières-sur-Seine, au milieu des années 1960. Repéré et soutenu par les meilleurs critiques gastronomiques, imaginant – avec les Troigros ou Paul Bocuse – ce que Gault&Millau baptisera en 1973 la « nouvelle cuisine », son établissement Le Pot au Feu attire gangsters et malfrats (Asnières est alors le QG des margoulins), ouvriers et contremaîtres (c’est encore au cœur d’une ceinture industrielle), grands patrons et le Tout-Paris (qui ne refusent alors pas les grands frissons au-delà du périphérique) dans un joyeux maelstrom gourmand de seulement 26 places. Las, il est exproprié, le monde bouge, la banlieue rouge aussi. Christine Barthélémy, fille du très visionnaire fondateur des Chaînes Thermales du Soleil, est alors aux commandes d’une nouvelle station thermale acquise par le groupe, au cœur de la Chalosse. On venait déjà y prendre les eaux sous Henri de Navarre (futur Henri IV) ; l’impératrice Joséphine de Beauharnais y venait régulièrement, puis Eugénie de Montijo, qui alla jusqu’à autoriser le village à porter son nom. Il suffit parfois d’une rencontre, quand c’est la bonne…
« Il n’y avait rien, il fallait tout inventer ou réinventer. » Malin et visionnaire, pragmatique et habile, Michel Guérard est un peu tout ça à la fois. « Il fallait bien que je trouve un moyen pour faire parler de nous, pour faire venir les gens jusqu’à nous ; les thermes, ce n’était pas suffisant… J’ai pensé qu’imaginer une cuisine saine et minceur allait bien avec le thermalisme. » Avec ses sauces allégées et ses mayonnaises aériennes, il marque les esprits et pose Eugénie-les-Bains sur toutes les cartes des gastronomes. Nous sommes en 1974, il y a tout juste 50 ans. Christian Millau – qui avait, selon lui, « quelques kilos en trop » – y va immédiatement. Naturellement conquis, le journaliste consacre un long papier à la nouvelle aventure du couple Guérard dans le numéro de juin 1974 (no 62) de notre magazine: « Avec ses recettes et ses inventions, Michel Guérard est en train, tout simplement, de ridiculiser à jamais l’épouvantable, la consternante, la désespérante “cuisine diététique”. Maigrir, oui, mais dans la joie… » Michel Guérard, lui, la malice plein les yeux, confie : « Enfant, je voulais être prêtre, puis médecin, puis comédien ; finalement en étant cuisinier, je suis un peu tout ça à la fois : je fais du bien… » Il fait du bien, aussi bien avec sa cuisine diététique qu’avec sa cuisine gastronomique ; mais pas seulement.
Le succès est toujours le fruit d’une alchimie compliquée. Il y a donc la cuisine de « Monsieur », assurément, et son goût à elle, Madame Guérard, pour l’architecture intérieure, la décoration et l’art du jardin, leur goût commun pour la chine, les antiquaires et les galeries. Ils restaurent, rehaussent, construisent, agrandissent, déplacent, achètent, décorent… Ensemble, ils vont créer une maison de famille en plusieurs opus : une maison principale (« La Grande Maison »), un couvent, une auberge, une ferme thermale… où se répartissent joyeusement portraits impériaux, panoramas, bonheurs du jour, cabriolets, commodes et curiosités. Pionniers, résolument, ils ajoutent la santé à la haute gastronomie, le bien-être au soin, le chic au médical (les cures aux thermes sont prescrites par des médecins et la plupart du temps prises en charge). Aventuriers, sûrement, ils inventent, testent, recommencent, remettent en cause, s’affirment. Visionnaires, ils jettent les bases d’une institution qui, à en croire Éléonore et Adeline, leurs filles désormais aux commandes du groupe, « incarne aujourd’hui la permanence et la juvénilité » ; et qui, selon Hugo Souchet, chef des cuisines, « peut vivre encore au moins 50 ans ». Si elles pensent déjà « le futur de la maison, notamment d’un point de vue écologique », lui « continue de se nourrir de l’inventivité de “Monsieur”. »
Une inventivité qui a su toujours aller au-delà de l’assiette, mais qui y revient sans cesse. Et de citer Auguste Escoffier dans son Guide culinaire : « Alors que tout se modifie et se transforme, il serait absurde de prétendre fixer les destinées d’un art qui relève par tant de côtés de la mode, et est instable comme elle. Mais ce qui existait déjà au temps de Carême, qui existe encore de nos jours, et qui existera aussi longtemps que la cuisine elle-même, c’est le fonds de cette cuisine ; car si elle se simplifie extérieurement, elle ne perd pas sa valeur, au contraire. Et les goûts s’affinant sans cesse, elle-même s’affine perpétuellement pour les satisfaire (…) elle deviendra même plus scientifique et précise. » Et nous de penser comme Christian Millau, à l’heure du départ : « Tout y est si beau, si calme, tout y respire tellement le bonheur, que dès le premier réveil, ponctué par le chant des oiseaux, on se sent déjà un autre homme… »
Cet article est extrait du magazine Gault&Millau #4. Pour ne pas manquer les prochains, abonnez-vous.Ces actualités pourraient vous intéresser
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