L’olive des dieux et des champions en Messénie
La légende dit que les champions d’Olympie étaient récompensés d’une couronne tressée à partir de feuillage d’un olivier qui poussait à côté du temple de Zeus. Une symbolique que reprit Pierre de Coubertin quand il imagina les Jeux modernes, avant de finalement l’abandonner au profit des anneaux. Les champions recevaient alors également des jarres d’huile d’olive. Une huile qui venait de Messénie, où l’on cultive l’olivier depuis le xve siècle avant notre ère.
Le 16 mai dernier, Alexandros Rallis était à Olympie pour suivre la cérémonie d’allumage de la flamme olympique. Ce n’est ni un athlète, ni un politique, encore moins un touriste. Ce Franco‑Grec est importateur, en France, de produits grecs. Et principalement d’huile d’olive de Messénie, région du sud-ouest du Péloponnèse, deuxième productrice du pays après la Crète, dont la principale ville est Kalamata. On y cultive l’olive depuis l’Antiquité. Celle de variété Koroneïki pour fabriquer l’huile, l’autre, la fameuse Kalamata, étant réservée à la table. C’est dans un paysage grandiose composé de champs d’oliviers surplombant la mer que nous retrouvons Alexandros Rallis quelques jours plus tard. Ils sont partout, grimpant même à l’assaut des reliefs, plantés jusqu’à la hauteur leur permettant de survivre. Plantés aussi dans les arrière-cours des maisons, dans le moindre recoin disponible.
Manque de valorisation
Car c’est une richesse. Pour le pays, pour la région, pour tous et chacun – il y a ici autant de producteurs que de familles. « Nous avons des terroirs d’exception. Mais le problème est que notre huile d’olive n’a jamais été valorisée. Elle a toujours été vendue en vrac en Italie », déclare l’importateur d’emblée. Afin de comprendre le marché de l’huile d’olive, quelques chiffres s’imposent : l’Espagne fournit 50% du marché mondial, suivie de l’Italie et de la Grèce, à peu près dans les mêmes proportions. Le hic ? L’Italie, qui produit environ 350000 tonnes par an, en exporte le double. Et c’est en Grèce qu’elle trouve le solde.
70% de la production grecque est ainsi vendue en Italie, acheminée dans des camions‑citernes. « Aucune valorisation, aucune notion de terroir. Du vrac, mélangé, reconditionné, déplore Alexandros Rallis. L’huile d’olive, c’est à la fois un marché mondial et un marché ultra‑local. Il ne faut pas réfléchir en termes de pays, mais en termes de régions. L’huile d’olive italienne, ça ne veut rien dire. Mais l’huile d’olive de Toscane, de Sicile ou des Pouilles, ça me parle. Alors qu’on a en Grèce des terroirs d’exception, c’est quand même terrible de constater que ce produit est aussi peu valorisé. D’autant plus qu’ici l’huile d’olive, c’est vital. Si tu n’en as pas, tu ne peux rien faire. Alors qu’en Grèce la consommation est de 20 litres par personne par an, à Kalamata, elle est de 40 litres ! Ici, tous sont agriculteurs. Tous ont travaillé dans les champs. Tous savent comment mener l’olivier. Au moment de la récolte, quatre générations travaillent en même temps dans un champ. Où cela existe‑t‑il encore en Europe ? »
Cette mauvaise valorisation tient à un manque de vision à long terme et au faible effort collectif pour défendre le produit. Les raisons ont pris racine dans les années 1980, au moment de l’ouverture du marché européen, alors que se répand la vente en vrac et en citerne. À cette époque, selon Alexandros Rallis, le pays, encore à la traîne économiquement, n’était pas prêt à recevoir autant d’argent et de subventions. La crise de 2008 ne fut finalement que l’apogée de l’apogée de ce système. Si, aujourd’hui, la Grèce rattrape ce retard, si les produits helléniques ont actuellement le vent en poupe, c’est souvent grâce à des Grecs installés à l’étranger. Ce sont eux qui sélectionnent, importent et distribuent les meilleurs produits et qui, pour leurs clients hors de Grèce, en revampent l’image. « Les Français, les Italiens, les Espagnols sont très forts pour imaginer et créer des lieux. Si tu vas dans une oliverie française qui ne représente rien en termes de volume, c’est fabuleux ! Il y a le musée de l’olivier, la route de l’olivier, la belle bâtisse… alors qu’ici, même si tu en vois partout, tu ne trouveras pas un endroit pour goûter de l’huile. » En effet, mission quasi impossible que celle de trouver de l’huile d’olive à Kalamata. En ville, il existe quelques rares boutiques pour touristes ; au marché, une poignée de marchands vendent le surplus de leur huile domestique dans des bouteilles d’eau en plastique. Si, pour certains, la production d’huile est l’activité principale, elle demeure pour la plupart une façon de mettre de l’huile dans les épinards – principalement vendue aux grossistes, elle est pour eux un bienvenu treizième ou quatorzième mois.
La primauté du sol
« Nous avons choisi l’antithèse de ce qui se faisait, explique Alexandros Rallis, c'est-à-dire acheter en gros, revendre, et faire du gros business. Nous avons commencé avec de toutes petites quantités dans l’idée de valoriser nos produits en France par la restauration et la gastronomie. Grâce à notre reconnaissance à l’étranger, notre huile est aujourd’hui demandée par des restaurants d’Athènes. Les gens commencent enfin à comprendre que nous avons un trésor dans les mains. » Fort de sa double culture franco-grecque, l’importateur décide, il y a quinze ans, de créer sa marque : Profil Grec. Des huiles de terroirs, de parcelles même, mettant en avant leur typicité, laquelle dépend avant tout du sol sur lequel l’olivier pousse. Il nous montre les champs qui, selon lui, donnent les meilleures huiles, des oliviers poussant dans des champs de pierres. « En plaine, les oliviers sont très gros et donnent beaucoup de fruits. Mais l’olivier a besoin de sols pauvres, de difficulté à se nourrir pour dégager des huiles très concentrées en goût. » Alexandros Rallis, qui a étudié l’histoire et la sociologie, est issu d’une famille d’écologistes, militants de la première heure. Né en France de parents grecs, il a passé toutes ses vacances à Kalamata, là où sa grand‑mère possédait un champ d’oliviers. Depuis deux ans, il s’est installé pour de bon avec sa famille en Grèce, s’occupant à distance de sa boutique parisienne, des livraisons aux restaurants, mais aussi prenant soin, quand elle n’est pas là, du champ acquis par sa mère. L’aguerrie ingénieure en environnement y met en pratique des principes d’agroécologie. Alors que la plupart des agriculteurs brûlent les rejets des tailles, elle les broie pour en faire un paillage qui préserve l’humidité sous les arbres, leur apportant des nutriments sans aucun ajout. Sur son terrain, le sol parle de lui-même : des fleurs en quantité, des insectes, de la vie… En sillonnant la montagne, il devient vite facile de repérer ceux qui traitent leurs oliviers (certains accrochent même un bidon à une branche pour le signifier) et ceux qui n’utilisent ni intrants ni pesticides. Sur les premiers terrains, le sol est mort, brûlé, rien ne pousse. Sur les autres, comme celui de la mère d’Alexandros, la vie abonde.
« Pourquoi l’Espagne assure-t-elle la moitié de la production mondiale ? lance-t-il. Parce que leurs oliviers sont bourrés d’engrais. Leurs olives sont ramassées à la machine. Il n’y a aucun savoir‑faire. » Outre le fait de ne pas utiliser d’intrants chimiques, faire une bonne huile d’olive dépend donc plus de la qualité du sol que de la variété. Autre élément important, la taille qui, chaque année, va revivifier l’arbre. Pour produire, l’olivier a besoin d’être stimulé. Il faut donc savoir lire ses branches, parier sur les bonnes, celles d’aujourd’hui mais aussi celles de demain. Sans oublier la récolte. « Toutes les écoles d’huile d’olive vont te dire qu’il existe à peu près trois stades en termes de goûts. Celui du début de récolte, en novembre, très intense, très vert, puis celui de décembre, un peu plus doux. Et enfin, celui de janvier‑février, quand les olives sont plus noires. Mais je constate, de façon empirique, que le sol a beaucoup plus d’importance que la date de récolte. J’ai pu parfois récolter très tard, mi-février, et avoir des huiles très vertes. Ce que je préfère, ce sont les récoltes tournantes, c’est-à-dire de toutes les couleurs. Dans ton filet, tu vas avoir toutes les nuances et, du coup, ça crée un équilibre intéressant. » Sur ces cartons d’huile, il affiche toujours la date de récolte, qui est aussi celle de la presse, car elle doit être faite la journée même, pour éviter toute oxydation. « La propreté du moulin et le temps de malaxage sont aussi des paramètres qui font que tu as une meilleure huile. Ça représente à peu près 70% de l’équation. »
Crise climatique et spéculation
Trouver les bons producteurs et de bons moulins n’est pas la plus grosse difficulté. Il existe dans la région ce qu’il appelle des « petits résistants », ceux qui travaillent bien. Plutôt que de vendre leur production au moulin, où elle est mélangée aux autres, ils repartent après la presse avec leur huile en bidons de 17 litres, qu’ils vendent en direct dans un marché autonome et parallèle à celui des grands grossistes. Car bien qu’invisible, l’huile est bien là, cachée dans des entrepôts, en attendant d’être expédiée ou, pire, dans l’attente d’une spéculation. Car aux crises économiques s’est ajoutée ces dernières années une crise climatique qui a fortement touché la culture des oliviers. Trois années de sécheresse en Espagne ont vidé les stocks d’huile. Et fait flamber les prix. Or, c’est l’Espagne qui fixe le cours du marché mondial. Lequel a triplé en deux ans. Certains, misant sur de nouvelles hausses, refusent donc de vendre leur huile et la stockent. Avec le risque qu’elle rancisse, car elle ne se conserve pas plus de deux ans. « Certaines familles font autour de 15‑20 tonnes d’huile, précise Alexandros Rallis. Imaginons que le litre passe de 2 à 10 euros. C’est une fortune pour eux ! Ça change donc leur rapport au produit. Je serais très heureux que les producteurs gagnent 9 euros du litre. Mais de préférence si leur huile est identifiée en tant qu’huile de la région, d’un producteur en particulier. Pour être compétitif, le seul petit espace qui reste, c’est de faire du qualitatif. »
Certes fragile, le mouvement est en marche. Comme d’autres, Alexandros Rallis croit fermement que la Grèce a plus à offrir que sa culture antique. Même si la cérémonie de la flamme lui a mis les larmes aux yeux. « C’était fabuleux. Il y avait les deux drapeaux – de la Grèce et de la France –, il y avait le site de l’Olympie. C’était une très belle cérémonie, sans flonflon, sans trucs dingues, avec des paroles fortes sur les valeurs de l’olympisme. Le sport en remplacement du côté belliqueux des hommes, tout ce qui a été oublié par l’argent, la surconsommation… Surtout, il y avait dans l’organisation une simplicité qui a été complètement perdue en France. J’ai été ému par cette capacité grecque à accueillir, à donner. Simplement.»
Cet article est extrait du magazine Gault&Millau #5. Pour ne pas manquer les prochains, abonnez-vous.
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